Quels fondements et rôles économiques pour le SMIC : Pascal Pavageau, Secrétaire confédéral

Actes du colloque « Regards pluridisciplinaires sur le SMIC et le pouvoir d’achat des salariés en France » par Pascal Pavageau

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Comme l’a dit Marie-Alice en introduction de la journée, je remercie à nouveau nos trois intervenants qui ont accepté ces échanges ce matin. Ils auraient dû être quatre, nous regrettons l’absence de Gilbert Cette. Et merci cet après-midi, à celles et ceux qui interviennent sur le deuxième volet des échanges qui sera plus sur l’aspect d’ordre social.

Je réponds d’emblée à la question parce que je sens que le suspens est intense dans la salle : FO est pour une augmentation massive du Smic !

Sur l’aspect économique de ce matin, cela a été dit par les interventions des camarades des syndicats ou des fédérations, il est bien évident que le caractère social du Smic, nous le mesurons pleinement au travers des délégués, mais de manière générale, des salariés que nous croisons dans les entreprises, mais également au niveau des assemblées générales, des colloques ou des meetings que nous pouvons mener à tous les niveaux de nos fédérations, de nos syndicats ou de nos UD et, bien évidemment, au niveau de la Confédération.

Pour autant, les données macroéconomiques sur ces sujets-là sont importantes : on a besoin d’analyses macroéconomiques, pas forcément « Macron-économiques » vu l’orientation actuelle, pour pouvoir, y compris sur un plan social, caler avec le plus de justesse possible nos positions en appui de nos revendications. On est entièrement d’accord, et d’ailleurs on ne l’a jamais porté comme cela, sur le fait que le Smic n’est pas un outil de lutte contre la pauvreté. C’est quelque chose qu’on a toujours dit. En même temps, le fait que le Smic français, soi-disant élevé, ne soit qu’à 150 euros du seuil de pauvreté, montre néanmoins que le fait d’avoir une augmentation correcte de ce salaire minimum est un enjeu de lutte contre les inégalités, la pauvreté et la paupérisation car il sert alors de levier.

Concernant le comité d’experts sur le Smic, nous avions demandé l’intégration, au niveau de cette nouvelle configuration des experts, d’un sociologue. Nous l’avons obtenu, cela a été fait. Pour autant, le cadre social dans leur rapport reste complètement absent. Il n’existe toujours pas, en l’occurrence, malheureusement, donc cela nous pose un premier problème.

« Il y a des économistes « atterrés », mais il y a des politiques qu’il faudrait enterrer sur un certain nombre d’orientations telles qu’on peut les lire... »

Il y a des économistes « atterrés », mais il y a des politiques qu’il faudrait enterrer sur un certain nombre d’orientations telles qu’on peut les lire. On a demandé au niveau de la Commission le fait de pouvoir fonctionner comme le comité de suivi du CICE. L’avantage du comité de suivi du CICE est qu’on arrive à un moment donné à faire part, en tant que « maître d’ouvrage », si je puis dire, des demandes en l’occurrence syndicales, en disant : nous souhaitons que soit étudiée telle chose et ensuite les différents services de l’État, la DARES, l’Insee, Bercy, une fois que la commande a été co-construite au niveau de plusieurs intervenants, on a la réponse à la question que l’on a été libre de poser. Au niveau du comité d’experts, on est uniquement dans la réaction d’un comité avec des hypothèses de base et de réflexion puisqu’on n’a pas demandé de regarder telle ou telle chose. Le fait qu’aujourd’hui sur les branches de moins de 5 000 salariés, on ne dispose d’aucun élément en matière de suivi du Smic, c’est une vieille demande de FO qui nous semble légitime eu égard au nombre de branches qui sont concernées et de la nécessité de disposer de ces éléments. Le projet de rapport 2014 est assez intéressant. C’est le deuxième rapport rendu par le nouveau comité d’experts. Quand on le lit, peut-être qu’on n’a pas mis les bonnes lunettes pour le lire, on a vraiment l’impression, à plusieurs chapitres, que la réponse à la question relative à un coup de pouce significatif du Smic est nécessaire ou se justifie. Et assez régulièrement, on a même des arguments qui arrivent en ce sens. Puis, arrive la conclusion : et là, comme c’est la rigueur budgétaire, pas d’augmentation !

Cela montre aussi un élément dont on n’a pas véritablement parlé ici. S’agissant d’un dispositif légal et règlementaire, une politique d’austérité, comme celle menée actuellement, conduit à bloquer une augmentation du Smic alors que celle-ci se justifie pleinement sur le fond et face à la réalité.

Sur le plan européen, nous défendons au niveau de la CES, (le secteur d’Andrée Thomas de notre confédération) depuis longtemps l’instauration d’un salaire minimum calé autour de 60% du salaire médian dans un premier temps, évidemment surtout pas selon une logique d’alignement par le bas, comme toujours dans les revendications, avec une logique qui soit un point d’appui ou un démarrage de manière à ce que, dans les pays où il n’y en a pas, on est plus sur de la modération salariale et des salaires très bas, on puisse démarrer avec un plancher significatif de l’ordre de 60% de ce salaire médian. Après légal et/ou négocié, cela peut dépendre des pays.

Ce qui est aussi intéressant de notre point de vue, c’est que les deux éléments majeurs de nos camarades allemands sur leur revendication d’un salaire minimum, il y a une donnée importante, c’est que si on est à 8% de travailleurs pauvres en France, eux sont à 14% avec une explosion liée aux lois Hartz sur ces 10 dernières années qui semblent servir de modèle à la politique économique du gouvernement, et donc cette explosion-là fait que cela à créé en matière de paupérisation y compris chez ceux qui ont la chance d’avoir un job une situation insupportable.

Deuxième point, aidé par les politiques d’austérité, le patronat allemand a systématiquement bloqué ces dernières années toute capacité dynamique de négociation salariale.

Donc, ces deux éléments là, la paupérisation et l’augmentation du nombre de travailleurs pauvres, plus un patronat qui a utilisé la politique publique d’austérité pour dire : l’État lui-même fait des économies, nous aussi, on doit en faire, en l’occurrence sur le mode salarial, a conduit nos camarades allemands à changer leur approche sur le plan économique.

« Ce serait un outil de notre point de vue si chaque pays européen dispose d’un salaire minimum (au minimum 60% du salaire médian national) ... »

Dernier élément sur l’Europe, par rapport à ce qu’on disait sur le transport tout à l’heure. Ce serait un outil de notre point de vue si chaque pays européen dispose d’un salaire minimum (au minimum 60% du salaire médian national), ce serait pour nous un outil de lutte contre le dumping social mais aussi un moyen d’éviter les trous dans la raquette de la directive détachement.

Après, la question, c’est la capacité à le construire et c’est quelque chose qui est en vrai débat au niveau de la CES.

Sur l’histoire du Smic comme frein à la négociation, vous avez longuement répondu sur le fait qu’on a des utilisations détournées, notamment sur un plan patronal et parfois sur un plan politique de la logique du Smic. Nous restons évidemment sur une demande de Smic qui s’inscrive véritablement dans la logique de voiture balai. Le problème de la voiture balai, c’est qu’il y a plein de trous dans le balai, donc, il faudrait qu’on le remplace par une lame un peu plus large et qu’on n’hésite pas à passer la deuxième, voire la cinquième. Le problème c’est que, parfois, on a le sentiment, qu’y compris sur un plan gouvernemental et politique, on reste en première avec les trous du balai, mais en plus, on est à la remorque. Donc, être à la remorque de la voiture balai qui a plein de trous et n’avance pas, c’est une difficulté. On a cette revendication extrêmement forte qui est de dire : il faut aller sur 80% du salaire médian, ce qui représentait 1780 euros bruts par mois.

« Sur l’histoire de la suppression de la PPE, pour nous cela doit entraîner une revalorisation significative du Smic ... »

Sur l’histoire de la suppression de la PPE, pour nous cela doit entraîner une revalorisation significative du Smic. Lors du groupe de travail du député Lefebvre en février/mars de cette année, dans le cadre des assises sur la fiscalité, il avait été évoqué cette fusion PPE/RSA et notamment la suppression de la PPE. À l’époque, on avait déjà rappelé la revendication qui est la nôtre qui est que, dans ce cas-là, cela doit se traduire par une augmentation du Smic.

J’ajoute par contre que notre revendication, c’est en cas de suppression de la PPE, transformation par l’évolution et l’augmentation du Smic sans exonération de cotisation, puisque, pour ce qui est des exonérations de cotisation, le fait qu’on puisse avoir des difficultés en termes de négociation n’est pas lié au montant du Smic, mais à la somme des exonérations fiscales ou de cotisation qui, toutes, sont systématiquement rattachées au Smic avec maintenant un spectre très large puisqu’on va jusqu’à 2,5 avec l’instauration du CICE. On est dans une logique de trappe à bas salaires et d’application de la loi y compris de la part du gouvernement, faute de contrôle du fait qu’en moyenne, on est régulièrement à 13% de nos branches qui sont avec un niveau salarial de grille inférieur à celui du Smic après revalorisation. J’ai envie de dire que c’est presque pire à l’État. Sur les statuts particuliers, dans la territoriale ou dans l’hospitalière, on a plus de 13%, de façon régulière, de grilles qui sont inférieures au Smic parfois plus de deux ans après la revalorisation. Cela pose un véritable problème.

Dernier point, vous en avez peu parlé d’un élément mais extrêmement inquiétant pour nous : la régionalisation. Cela peut déboucher sur le retour à un Smic de régions, voire d’entreprises. Certains au niveau patronal le revendiquent, avec une logique d’inversion de la hiérarchie des normes. L’histoire du passage de 22 à 13 régions est une chose. Nous y sommes opposés. Par contre, sur la troisième loi de la réforme territoriale, qui démarre son chemin parlementaire actuellement au Sénat, il est clairement écrit que les 13 régions futures auraient un pouvoir d’adaptation normatif et réglementaire y compris sur des champs sociaux. Le fait d’avoir transféré un très grand nombre de missions de l’État vers 13 régions et de prévoir une capacité d’adaptation normative ou réglementaire, on nous a expliqué, au Sénat, à l’Assemblée Nationale, au Conseil constitutionnel et au Conseil d’État, que la logique pourrait être d’avoir demain un Smic théorique à 1, mais avec une capacité d’adaptation de 0,8 à 1,2 par chaque nouvelle région. On peut penser que cela montera rarement à 1,2 mais que cela descendra assez vite à 0,8. D’ailleurs, dans la revendication des élus en Alsace pour fusionner le conseil général du Bas-Rhin et du Haut-Rhin afin de faire une collectivité unique d’Alsace, le deuxième argument que l’ensemble des élus revendiquait, consistait à dire : on est à côté de l’Allemagne et de la Suisse, ce sont des pays qui n’ont pas de salaire minimum donc on a besoin, pour être compétitif, de pouvoir adapter le Smic national. En l’occurrence, le faire tendre vers zéro …

C’est un argument que l’on commence à voir et qui serait potentiellement possible de par la réforme territoriale. Ce serait un retour en arrière vers le SMIG, qui était luimême régionalisé.

Cela emporte notre opposition totale.

« Nous défendons un salaire minimum qui permette d’avoir une bonne répartition des richesses, qui soit uniquement sur le salaire, pas sur des aides parallèles ou sur des leviers qui sont des politiques publiques, le logement ou autre, qui sont des régulations par la loi ... »

Pour terminer sur ces différents points, Marie-Alice l’a dit dans sa dernière question, le point des critères peut être bloquant. Nous défendons un salaire minimum qui permette d’avoir une bonne répartition des richesses, qui soit uniquement sur le salaire, pas sur des aides parallèles ou sur des leviers qui sont des politiques publiques, le logement ou autre, qui sont des régulations par la loi. Le Smic doit permettre effectivement que l’ensemble des salariés puissent avoir un niveau minimal correct et intégrant ce à quoi ils contribuent en matière de productivité, de production et donc de développement de la richesse collective au niveau du fruit de leur travail. C’est fondamental pour nous et on est y attaché plus qu’à certains critères.

Heureusement, qu’on n’est pas passé comme le Président de la République l’avait proposé à un critère basé sur la croissance, sinon on serait très embêté. En revanche, on est persuadé que le Smic qui augmente est un outil pour créer de la croissance !

Pascal Pavageau Ex-Secrétaire général de Force Ouvrière