Rapport général de la Commission d’application des normes

Conférence internationale du travail - 104e session, Genève, juin 2015 par Yves Veyrier

Discours en assemblée plénière le 13 juin 2015 . © M. Alexandre

Yves Veyrier – Porte-Parole des travailleurs, Vice-Président Travailleur de la Commission d’application des normes - Discours en assemblée plénière – 13 juin 2015

Madame la Présidente,
Madame et Messieurs les Vice-Présidents,
Monsieur le Directeur général,
Mesdames et messieurs les délégués,

Je tiens en premier lieu à remercier les camarades du groupe des travailleurs qui m’ont fait l’honneur et la confiance de porter leur parole.

Je souhaite remercier notre présidente, Madame Gloria Gaviria Ramos, et notre rapporteur, Madame Cecilia Mulindeti, sans qui nous n’aurions pu conduire nos travaux aussi efficacement.

Je souhaite enfin, saluer les gouvernements et les employeurs qui sont engagés et se sont engagés pleinement dans des travaux denses, ramassés sur deux semaines.

Et je tiens à faire part de mon respect à Madame Sonia Regenbogen, porte-parole des employeurs, dont j’ai pu apprécier, je devrais dire éprouver, à la fois la ténacité, l’expertise, mais aussi le sens du débat et du consensus. Et je pense que l’on peut dire que nous venons encore de l’entendre. Il me revient donc, et il me revenait, de faire preuve de ténacité, de sens du débat et du consensus. J’espère avoir été aussi expert.

Contexte

Le groupe des travailleurs se félicite que la Commission d’applications des normes ait pu conduire ses travaux à bien et qu’elle soit donc en capacité de proposer l’adoption de son rapport comportant notamment les conclusions relatives aux 24 cas qu’elle a examinés.

Après trois conférences marquées par ce que l’on a appelé la « crise des normes », après d’intenses débats et discussions controversés, ayant impliqué tous les mandants, ils y avait urgence à ce que nous rétablissions la fonction d’examen et de contrôle de notre organisation.

Dans de nombreuses régions du monde la guerre, les conflits, leur cortège de terreur et de barbarie entre les hommes sévissent. « Des conditions de travail impliquant pour un grand nombre de personnes l’injustice, la misère et les privations », que l’OIT, dans sa constitution, aspire à faire disparaître, [de telles conditions] demeurent et n’épargnent aucun pays.

Jamais les inégalités n’ont été aussi hautes. Plus de 200 millions de travailleurs sont sans emploi. La précarité se généralise. En Europe, les systèmes de protection sociale sont percutés par les politiques d’austérité.

Or, la fonction essentielle de la commission d’application des normes est elle-même attachée au préambule de la constitution de l’OIT. Elle est d’œuvrer à ce qu’aucune nation ne puisse adopter de régime de travail qui ne soit réellement humain.

Il était donc un devoir impérieux de rétablir le fonctionnement de notre commission.

Accord et fonctionnement CAN

Nous ne pouvions mieux qu’ici même démontrer que la négociation bipartite et le dialogue social tripartite parvenaient à surmonter les conflits les plus difficiles.

La décision du Conseil d’administration de mars dernier, appuyée sur l’accord entre les employeurs et les travailleurs et les déclarations des gouvernements, nous appelait à franchir un premier pas important. Nous y sommes parvenus.

Le chemin est encore long. La feuille de route comporte encore des étapes qui seront difficiles.

CEACR

Cette feuille de route s’appuie, en particulier, sur le mandat de la commission des experts, rappelés au paragraphe 29 de son rapport.

Il tient compte des préoccupations de chacun, dont celle des employeurs ayant trait à la portée juridique des observations des experts.

La commission des experts doit ainsi pouvoir continuer ses travaux dans un esprit de collaboration avec la Commission d’application des normes, avec indépendance, objectivité et impartialité.

Et si les employeurs nous ont dit qu’ils n’étaient pas toujours en accord avec certaines observations, croyez bien que cela est aussi le cas des travailleurs qui attendraient, parfois, des observations plus fermes et plus précises, évidemment pas toujours dans le même sens que ce qu’expriment les employeurs ou les gouvernements.

Mais « toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution » disaient les révolutionnaires de 1789. C’est un principe universel qui vaut ici pour les travailleurs, comme pour les employeurs et les gouvernements.

Droit de grève

Les employeurs reconnaissent aux travailleurs le droit de mener des actions collectives – dont l’une des traductions est le droit de grève. Ils nous ont répété, cependant, et encore maintenant, qu’ils ne considéraient pas que le droit de grève découle de la convention 87.

Mais, la répétition n’est pas toujours bonne pédagogue.

Je peux vous dire qu’en l’occurrence cette répétition, de la part des employeurs, n’affaiblit en rien la conviction des travailleurs que le droit de grève est essentiellement attaché à la liberté syndicale et au droit de négociation collective tels qu’établis par les conventions 87 et 98.

Et, s’il faut que nous-mêmes le répétions, nous le répéterons ! Autant qu’il le faudra !

Car, le droit de grève, à l’instar de nombreux autres droits sociaux, avant d’avoir été reconnu et accepté comme un droit, souvent constitutionnel parce qu’attaché à l’exercice de la démocratie, est une conquête des travailleurs.

Le droit de grève est une conquête que la classe ouvrière a arrachée après de rudes combats.

L’histoire nous montre qu’interdire la jouissance de droits légitimes, jamais n’empêche la révolte. Et je peux même ajouter qu’interdire la jouissance de droits légitimes souvent provoque la révolte. Aujourd’hui encore, c’est plus souvent là où le droit de grève est, illégitimement, interdit, que les travailleurs y recourent, car ils n’ont d’autre choix pour se faire entendre.

Aussi, plutôt que répéter, j’invite à méditer.

Reconnaître le droit de grève, c’est reconnaître, pour les travailleurs, le droit d’organisation et de négociation collective, à égalité avec les employeurs.
Car, le droit de grève n’est pas un objectif en soi. C’est un moyen ultime, en dernier ressort.

Il met en péril le salaire du travailleur, sa seule ressource en échange de sa force de travail.

C’est pourquoi, j’insiste, reconnaître le droit de grève, c’est le courage d’une conviction, d’un réel engagement dans la négociation collective pour résoudre les conflits sociaux, par des accords porteurs de compromis, allant au progrès social en tenant compte des besoins de l’économie réelle, productive, portée par l’entreprise.

Examen des cas individuels et conclusions

A l’exception des cas qui font l’objet d’une attention particulière décidée de façon consensuelle, par un paragraphe spécial ou une mission de haut de niveau, je ne pointerai pas ici tel ou tel cas, car je ne souhaite pas établir ici d’autre hiérarchie que celle de notre système de supervision et de contrôle.

La commission d’application des normes propose ainsi à la conférence d’adopter ses conclusions sur plusieurs cas relatifs à la protection de la liberté syndicale. Ces conclusions visent d’abord à protéger une liberté réelle, effective, particulièrement là où les travailleurs subissent encore des discriminations, parfois une répression violente pour le seul fait d’avoir cru qu’ils étaient protégés au nom des principes et droits fondamentaux au travail. Nous ne pouvons qu’inviter les gouvernements concernés : qu’ils agissent ! D’urgence ! C’est un appel qui vous est fait : ne rester en marge de la communauté internationale attachée au respect des droits de l’homme !

De la même façon, nos conclusions pressent les pays, où subsistent de graves atteintes aux droits élémentaires – l’interdiction du travail forcé et de toute forme d’esclavage, l’interdiction du travail des enfants et de ses pires formes – nous les pressons d’agir sans délai. Ne tenter pas de vous réfugier derrière l’étonnement, l’incompréhension, les difficultés économiques ou culturelles. Aussi réelles soient elles, elles ne peuvent servir d’excuse à s’affranchir du respect des droits de l’homme. La communauté de l’OIT vous invite à recourir à tous les moyens de l’assistance qu’elle peut vous offrir et qu’elle vous offre. Ne lui faites pas défaut.

J’insiste particulièrement sur les cas qui font l’objet de paragraphes spéciaux concernant le Swaziland, où des syndicalistes sont emprisonnés, et le Kazakhstan pour la convention 87, la Mauritanie pour la convention 29, alors que nous venons de lancer la campagne pour la ratification de son protocole adopté l’année dernière. Une mission de haut niveau doit aussi être mise en place au Bangladesh, le plus rapidement.

« Tout membre appliquera, comme un objectif essentiel, une politique active visant à promouvoir le plein emploi, productif et librement choisi » : cela se lit comme les vers d’une poésie, sonne comme une utopie.

Ce sont pourtant les premiers termes de la convention 122 sur l’emploi adoptée, ici même, il y a plus de cinquante ans !

Que s’est-il donc passé pour que deux pays européens aient dû faire l’objet, cette année, de l’examen par la commission d’application des normes de leur politique en la matière ?

Je l’ai dit, aucun pays n’est aujourd’hui épargné par le chômage, la précarité, la pauvreté.

Il y a plus de 10 ans, l’OIT s’interrogeait sur les raisons de la faiblesse de la dimension sociale de la mondialisation. En 2008 elle réaffirmait son engagement d’agir pour la justice sociale. En 2009, en réaction la crise du système financier nous adoptions, à l’initiative des employeurs, le Pacte mondial pour l’emploi qui fixait l’objectif de rétablir une économie productive centrée sur la réponse aux besoins des populations et le travail décent.

Mais les gouvernements, aujourd’hui désemparés, pris dans le tourment de la crise économique, sous l’emprise de marchés financiers incontrôlés semblent avoir perdu de vue ces engagements.

Nos conclusions, sur ces cas, en appellent à ce que les hommes et les femmes, la justice sociale, l’emploi, en nombre et en qualité, soient remis au centre des objectifs des politiques économiques, plutôt que d’en devenir subsidiaire ou une simple variable d’ajustement. Ces conclusions invitent à ce que l’esprit qui anime l’OIT, celui d’un réel dialogue social, fondé sur la concertation, la négociation collective et la liberté syndicale, l’emporte sur les lectures comptables à court terme.

Les travailleurs n’entendent pas payer de leurs droits, de leur protection sociale, le coût d’une crise qui n’est pas de leur fait mais de celui d’un système, du système capitaliste.

Ce que nous disons pour ces deux pays, comme pour les autres cas, doit servir de pédagogie pour bien d’autres pays, qu’ils aient été inclus sur la liste des 24 cas, examinés cette année, ou non.

Le groupe des travailleurs, soyez en convaincus, se sent extraordinairement solidaire.

Etude d’ensemble

D’importantes conclusions ont été adoptées pour ce qui concerne le secteur rural et agricole qui représente une part très importante de la population mondiale, demeurant pour une grande partie à l’écart de l’application effective des normes du travail, mais en proie des risques spécifiques en matière de santé, de sécurité au travail, d’accès à l’éducation, de travail forcé et de travail des enfants. Et pourtant ce secteur se trouve au cœur d’enjeu majeurs, comme celui de la sécurité alimentaire, celui du changement climatique et ses impacts, ou encore celui des chaînes d’approvisionnement. Ces conclusions portent en particulier sur la promotion du droit d’organisation collective sur la base des principes de la liberté syndicale et de la négociation collective, déterminant pour que ces travailleurs soient consultés et écoutés pour toute politique les concernant.

Conclusion

Nous ne savions pas, il y a encore quelques semaines, ni même à l’ouverture de la commission d’application des normes, quel en serait le résultat, tant les tensions des années précédentes ont laissé de blessures.

Que nous soyons aujourd’hui en capacité de présenter pour adoption son rapport, au complet, est un succès. On le doit aux femmes et aux hommes ici assemblés, convaincus que les normes internationales du travail, élaborées et mises en œuvre par les moyens du tripartisme, portent l’espoir de la justice sociale.

Le groupe des travailleurs vous invite vivement à l’adopter.

Cléo

Je ne pouvais cependant pas terminer sans une mention à l’intention de Madame Cléopatra Dumbia Henry. Je dois dire d’abord que je suis très heureux qu’il me revienne de la faire au nom des travailleurs. Cléo a toujours fait preuve d’un engagement extrême, permanent, déterminé en faveur des normes internationales du travail, ce département au si beau nom qu’elle a dirigé.

Son autorité est faite aussi de la volonté acharnée à trouver les solutions aux plus difficiles situations et conflits, sans jamais perdre de vue le bien des droits établis par les normes du travail. Elle a joué un rôle sans doute aussi déterminant avec toute son équipe, pour le succès de nos travaux, en cette année si importante. Elle s’en va donc heureuse vers d’autres belles aventures avec le sentiment d’un devoir humaniste accompli.

Merci.

Yves Veyrier Ex-Secrétaire général de Force Ouvrière