Cherchant à dénigrer du fonctionnaire, certains médias ont saisi quelques chiffres de ce rapport qui, assorti de 34 propositions, apporte au contraire nombre d’indications sur la complexité du temps de travail dans la fonction publique.
Depuis sa remise, jeudi 26 mai, à la ministre de la Fonction publique, Mme Annick Girardin, et non au Premier ministre comme cela était prévu initialement, avant le conflit sur le projet de loi Travail, l’auteur du rapport a tenu à préciser que cette enquête vise en effet à dresser un « état des lieux » du temps de travail dans les trois versants (État, territoriale, hospitalière) de la fonction publique.
« Ce rapport n’est ni à charge, ni à décharge » mais « s’inscrit au contraire dans une approche objective et sérieuse, afin d’apaiser les débats ». Le temps de travail rappelle ainsi Philippe Laurent, cela concerne notamment « la durée légale, les congés, les absences de natures juridiques diverses, les heures supplémentaires… »
Les contraintes spécifiques des missions
Nombre d’articles de presse n’ont retenu que deux éléments chiffrés du rapport et émanant d’ailleurs de l’Insee, soit en moyenne 1584 heures de travail par an dans la fonction publique, donc un niveau inférieur de 1.4% à la durée réglementaire de 1607 heures qui est l’équivalent annuel défini dans le code du travail d’une durée de 35 heures hebdomadaire.
Or, ce rapport souligne « l’extrême diversité des situations » sur le temps de travail. Il explique notamment les raisons d’un temps de travail parfois inférieur à la norme mise en place il y a quinze ans à travers l’ARTT, l’aménagement et la réduction du temps de travail. Concrètement la déclinaison des 35 heures dans la fonction publique.
L’annualisation du temps de travail est assortie de nombre de jours de RTT compensant un dépassement des 35 heures de travail hebdomadaire, ou de son équivalent annuel de 1607 heures.
Cette différence entre le public et le privé sur la moyenne d’heures de travail par an « s’explique principalement par la nature des missions confiées au secteur public » indique Philippe Laurent qui, pour cette étude, a auditionné notamment les organisations syndicales dont les fonctionnaires FO.
L’auteur du rapport souligne ainsi que « les exigences du service public entraînent des contraintes spécifiques dont la contrepartie a porté plus souvent sur la durée du travail que sur les rémunérations, faisant du temps de travail un élément essentiel de compensation des sujétions. »
Astreints au service public…
« Ainsi, à titre d’exemple, les infirmiers(ères) hospitaliers(ères) travaillant la nuit ont une durée de travail hebdomadaire ramenée à 32h30 et les policiers(ères) bénéficient d’un régime d’heures plus favorable lié à leurs horaires de travail atypiques. De même, les astreintes sont deux fois plus importantes pour les agents publics que pour les salariés du secteur privé. »
A sa façon, Philippe Laurent rend hommage aux fonctionnaires en déclarant « qu’il faut qu’adviennent des catastrophes ou attentats pour qu’alors on prenne conscience de leur action, et pour tout dire de leur nécessité ».
Ils travaillent la nuit et le dimanche
De son côté, recevant le rapport, la ministre de la fonction publique soulignait en substance que ce rapport est loin de renvoyer à « l’image du fonctionnaire fainéant ». Il rétablit même des vérités commente la ministre citant elle-même quelques exemples, « 36,7% des fonctionnaires travaillent le dimanche contre 25,8% des salariés du privé. 17,5% des fonctionnaires travaillent la nuit contre 14,9% dans le privé ».
Le rapport précise que 64% des personnels hospitaliers travaillent le dimanche, même occasionnellement. Quant-au travail de nuit, 32,3% d’agents hospitaliers sont concernés. 50% des policiers travaillent eux, de nuit et/ou le dimanche.
Plus largement, de multiples secteurs sont concernés par des horaires « atypiques » souligne encore le rapport.
« Les personnels territoriaux travaillant dans les établissements scolaires effectuent régulièrement plus de 39 heures par semaine en période scolaire et récupèrent ces heures durant les vacances scolaires. Leurs horaires varient donc selon les besoins du service » rappelle Philippe Laurent.
Zones grises et compressions d’effectifs
Pour des raisons de sécurité que chacun comprendra, le temps de travail hebdomadaire des contrôleurs aériens peut varier quant à lui « de 32 heures à un maximum de 36 heures et est organisé par vacations de 11 heures maximum incluant 25% de temps de repos (dont le temps de repas) afin que les agents ne passent pas plus de 2h30 de suite en poste. »
Au-delà de ces constations, le rapport estime que la gestion du temps de travail est devenue au fil du temps très compliquée. Il y aurait ainsi un temps « gris » bouleversant cette gestion : « les heures manquantes du fait des autorisations spéciales d’absence répondant aux besoins de la vie quotidienne des agents mais aussi le forfait-jour devenu extensible. »
Le rapport pointe du doigt les modalités très diverses de la gestion des autorisations spéciales d’absences (décès, mariage, présentation de concours…). « Cet ensemble hétéroclite représente aussi une voie de dépense « invisible » de masse salariale, indolore en apparence, alors que parallèlement de nombreux efforts sont faits en matière de réduction d’effectifs. »
La tentation du mauvais procès
Le rapport pointe l’absence de maîtrise des heures supplémentaires, notamment à l’hôpital et dans la police. Sans évoquer le problème de l’insuffisance chronique des effectifs, il indique que « ces heures supplémentaires ont un impact sur le temps de travail effectif qui n’est pas mesuré. »
L’étude épingle la confusion entre les jours de congés et les RTT, les fractionnements de congés, les dérogations pour les jours de congés exceptionnels…
In fine, cependant, le rapporteur n’échappe pas à un procès a priori estimant que : « globalement en France les trois versants de la fonction publique bénéficient (…) d’un socle réglementaire parmi les plus favorables en Europe et dans les pays de l’OCDE. Il est permis de s’interroger sur la soutenabilité à long terme de cette situation. »
Pour FO la négociation ne peut avoir pour objectif de mettre en cause les droits
La ministre de la Fonction publique a annoncé, sans donné de date, qu’elle allait « ouvrir le débat avec les organisations syndicales pour avancer sur les différents sujets. »
Les fonctionnaires FO insistent pour leur part que ce rapport n’engage que son auteur et met en avant d’autres aspects non pris en compte.
Ainsi, indique Christian Groslier pour l’UIAFP-FO (l’union interfédérale des fonctionnaires) « depuis ces dernières années les fonctionnaires ont déjà subi un gel des salaires, des suppressions d’effectifs, des réformes impactant les emplois et les conditions de travail alors si des négociations sur le temps de travail doivent s’ouvrir, elles devront respecter le principe d’un maintien des droits en matière de temps de travail, de congés, de RTT… »
Le projet de loi travail et son article 2 sont toujours dans les esprits… Si des négociations sur le temps de travail devaient s’ouvrir dans la fonction publique, les fonctionnaires FO rappellent d’emblée « leur attachement à des accords de portée nationale. »