Alors qu’elles étaient reçues le 5 septembre par le secrétaire d’État Olivier Dussopt à propos de l’agenda social 2019-2020, les organisations de la Fonction publique se rencontraient le même jour en intersyndicale. Huit d’entre elles (sur neuf), dont FO-Fonction publique, ont signé un communiqué commun rappelant au gouvernement « leur opposition au contenu et à la philosophie » de la loi de transformation de la Fonction publique adoptée par le Parlement au cœur de l’été (le 23 juillet) et promulguée le 6 août. Dans le cadre de l’agenda social, le ministère a prévu l’ouverture de discussions avec les syndicats concernant les textes réglementaires (une cinquantaine) nécessaires à la mise en œuvre, dès 2020, des principales et plus contestées mesures de cette loi.
Les organisations qui ont combattu depuis plus d’un an les mesures qui étaient contenues dans le projet de réforme et ont rejeté très officiellement le texte en mars dernier lors d’un Conseil commun de la Fonction publique ont déploré depuis que le texte de la loi n’ait pas vraiment évolué par rapport au projet portant moult mesures contestables : recours accru aux contractuels, création d’un contrat de projet (sur le style du contrat de mission dans le secteur privé), création d’un dispositif de rupture conventionnelle, perte de prérogatives pour les CAP qui ne seront plus consultées en ce qui concerne les carrières des agents, fusion des instances comités techniques et CHSCT…
Par leur communiqué commun, les organisations qui « réaffirment leur volonté d’un service public fort, doté des moyens humains et matériels nécessaires pour garantir l’accessibilité de tous les citoyens et le meilleur service rendu (…) confirment leur attachement à l’emploi statutaire et au principe de carrière en opposition à une Fonction publique précarisée telle que prévue dans la loi ».
Elles rappellent encore « leur attachement à l’égalité de traitement des agents pour tous les éléments de leur carrière, égalité qui ne peut être garantie que par le maintien de toutes les compétences des Commissions Administratives Paritaires (CAP). Dans le même esprit, elles rappellent le rôle essentiel des CHSCT et de leurs compétences, instances permettant de suivre la santé et sécurité au travail des agents ».
Appelant le gouvernement à « s’engager dans un véritable dialogue social », les syndicats soulignent qu’il est « urgent de sortir d’une vision budgétaire strictement comptable et de recentrer les débats en faveur d’un service public prenant en compte les besoins des usagers, les revendications des organisations syndicales et la situation des 5,5 millions d’agents ».
Le versant territorial « particulièrement visé »
Comme les autres secteurs FO de la Fonction publique, les territoriaux FO contestent la philosophie de la loi de transformation. Cette dernière « vise particulièrement la fonction publique territoriale » indiquaient le 10 septembre Dominique Régnier et Didier Pirot pour la branche territoriale de la fédération FO des services publics et de santé (SPS-FO).
Ainsi et « afin d’apporter aux militants FO dont les « responsables » syndicaux, une information précise concernant les différentes mesures de la loi, les territoriaux FO ont décidé d’organiser des conférences inter-régionales ». Au nombre de huit, celles-ci se tiendront dans différentes villes (Lyon, Nantes, Mulhouse Toulouse, Lille, Marseille, Bordeaux et Paris) du 17 septembre au 2 octobre. La dernière conférence aura lieu à Paris, au siège de la Confédération FO et avec la participation du Secrétaire général, Yves Veyrier.
Quid du dialogue social ?
Ces conférences ont pour but aussi de participer à l’élaboration d’une « stratégie syndicale » en développant la présence de FO auprès des agents « lesquels par les mesures de cette loi vont être seuls devant leurs employeurs, notamment au plan de leur carrière et notamment dans les petites collectivités locales » analysent les deux militants.
La création du CST (conseil social de territoire) en lieu et place des comités techniques et des CHSCT va constituer une difficulté quant à la défense des droits des agents de même que la modification des compétences des CAP en matière de carrière (elles ne conserveront qu’une compétence en matière disciplinaire). « Il faut donc que les responsables syndicaux soient présents, aillent davantage encore à la rencontre des agents. Ces conférences inter-régionales qui seront un lieu pour que chacun s’exprime vont permettre aussi de lancer ensuite des cahiers de revendications. Nous souhaitons mettre en place un plan de développement syndical en lien avec les structures FO départementales et régionales ».
Le recrutement de contractuels (la territoriale compte actuellement entre 18% et 20% de contractuels dans ses effectifs) sur les postes de direction comportant des objectifs de management liés à une volonté de réaliser toujours plus d’économies sur la dépense publique « risque d’avoir des effets dangereux en matière de gestion des personnels » relèvent les territoriaux FO. Ils s’inquiètent plus largement du « risque de problèmes de dialogue social dans les instances » puisque existe désormais de nouveau concept de « ligne directrice de gestion ».
Le gouvernement vise toujours d’ici 2022 à supprimer 70 000 emplois de fonctionnaires dans la territoriale alors que ce versant remplit moult missions. « Le service territorial est auprès des citoyens de la naissance à la mort » indique avec humour Dominique Régnier. « Cependant, s’irrite le militant, le but de cette loi de transformation est entre autres de se doter d’outils pour liquider 70 000 fonctionnaires territoriaux ». Et FO craint que soient mis en œuvre bientôt de nouveaux transferts de compétences publiques (gestion de l’eau, ordures ménagères, piscines publiques…) vers le secteur privé lequel embaucherait des « agents » mais sous contrat et non plus sous Statut.
Une volonté de casser les grèves ?
Le temps de travail dans la Fonction publique est aussi attaqué à travers la volonté d’imposer les 1607h/an au sein des trois versants, y compris donc au sein de la territoriale et ce malgré ses spécificités de métiers porteurs de contraintes. « Seule la mobilisation des agents pourra peser. Il faut réaffirmer nos valeurs de revendications, insiste Dominique Régnier, fustigeant cette volonté des pouvoirs publics de « casser des accords locaux » sur le temps de travail.
Concernant encore une des mesures -étonnamment précise- de la loi, soit la limitation du droit de grève avec une mise en place d’un service minimum, il faudra « des négociations au sein des collectivités » mais si ces négociations n’aboutissent pas, il y aura un sérieux problème soulignent les territoriaux FO. « L’esprit de la loi est de casser l’action de grève et de lister les services qui posaient aux autorités un problème d’organisation en cas de grève (cantines, service de petite-enfance, ordures ménagères…). Or si par la loi les agents n’ont plus de moyens de pression, cela pose un problème » fulmine Didier Pirot.
La suppression par la loi des Conseils de discipline de recours réduit aussi les droits des agents. Alors que « ces conseils constituaient l’instance supérieure avant la possibilité de saisir le tribunal administratif », leur disparition va « laisser une grande latitude de décisions aux maires, tel un nouveau levier de management », s’inquiète FO déplorant que « les droits des agents sautent les uns après les autres ».
Le risque d’une précarisation de l’emploi
Concernant les modifications que la loi de transformation induit pour la situation des agents privés d’emploi (temps réduit pour retrouver un travail dans sa collectivité, dégressivité de la rémunération…), la branche territoriale de la fédération SPS-FO fulmine : « mais qui a pris la décision de les priver d’emploi ? C’est quand même l’autorité territoriale ! »
La loi permettra désormais aussi un élargissement du recours à des emplois à temps non complet. Pour FO qui rappelle les termes du Statut général, « cela est très inquiétant car la précarisation de l’emploi va s’installer. Dans la territoriale, les salaires des agents de catégorie C sont au niveau du Smic. Au lieu de recruter une personne au Smic, la collectivité territoriale va-t-elle recruter alors deux personnes en temps non complet et rémunérées chacune la moitié d’un Smic ? Cela reviendrait à un partage de la misère ! »
Alors que les agents territoriaux souffrent comme les agents des deux autres versants de l’absence d’augmentation générale de leurs salaires indiciaires (le point d’indice est gelé depuis 2011 hormis sur les années 2016/2017 avec une hausse de 1,2% en deux temps), les agents des collectivités locales ont cherché à négocier là où il n’en existait pas des régimes indemnitaires. Et là où il en existait déjà, à les améliorer. Depuis quelques années toutefois, les employeurs des collectivités territoriales remettent en cause nombre de ces régimes. Concrètement, les acquis des agents.
Des militants mobilisés
Ce nouveau phénomène ne doit rien au hasard. En effet, depuis 2012, les collectivités ont dû faire face à une baisse des dotations (notamment la dotation globale de fonctionnement) puis, depuis 2018, à l’établissement de « pactes de confiance » entre certaines entités territoriales et l’État, ce dernier les amenant à consentir à des économies drastiques sur leurs dépenses. Or, cette situation d’austérité budgétaire a bien sûr des conséquences sur les personnels.
« Par cette transformation de la Fonction publique, le gouvernement a voulu apporter aux employeurs une souplesse, les moyens d’une gestion des ressources humaines s’appuyant sur des contraintes placées sur les personnels. Ce qui leur permet ainsi d’agir sur la masse salariale, pour la faire reculer ».
Plus largement, les territoriaux FO craignent que la loi de transformation conduise par différentes mesures « à un retour en quelque sorte aux baronnies de l’ancien régime, renfermées sur elles-mêmes et édictant des règles locales ». Sur ces différentes menaces, la branche territoriale de FO compte « informer » et « mobiliser » ses militants afin que ces derniers puissent mieux défendre encore les agents. Elle compte aussi se faire entendre à l’occasion des négociations qui se tiendront au plan local et en prolongement de la loi de transformation. « Là où les maires veulent négocier, ils nous trouveront. Et ceux qui ne veulent pas négocier nous trouveront aussi ! »