Des drapeaux syndicaux de sorties, des slogans arborés, des prises de parole, des témoignages d’agents... Le 10 mars, à Paris, les agents des douanes et des droits indirects étaient quelques centaines à s’être réunis sous les fenêtres du ministère de l’Économie à Paris-Bercy. Et ce rassemblement à l’appel des sept organisations douanières dont l’USD-FO (comprenant le SND-FO et le syndicat des Cadres douaniers), inédit depuis 2017, traduisait l’humeur des agents, soit inversement proportionnelle au paisible soleil printanier accompagnant cette action syndicale ! Yves Veyrier est venu leur apporer le soutien de la confédération.
Les douaniers sont en effet vent debout contre cette nième réforme qui percute leurs missions et leurs emplois. Lancée en 2019, elle consiste à transférer d’ici 2024 (pendant la période du contrat d’objectif 2022-2025) la quasi-totalité des missions fiscales aux services des finances publiques, la DGFIP, par ailleurs elle-même aux prises avec des réformes qui détruisent aussi ses emplois et désorganisent ses missions. Sont visées par ce transfert les taxes sur les produits énergétiques (TICFE, TICGN, TIC) ou encore la taxe sur les droits annuels de francisation et de navigation (DAFN).
Depuis le conflit de près de trois mois en 2019, notamment pour les salaires et les conditions de travail, cela sur fond de préparation du Brexit, les tensions n’ont pas disparu dans le secteur douanier et les 17 000 agents ne cessent d’alerter.
Depuis 2002 (date aussi d’un conflit dur), le secteur est soumis à d’incessantes réformes (2002, 2012, 2015) se traduisant entre autres par des restructurations de services, des fusions d’unités territoriales pour aller vers la création de grandes régions douanières... Ces mesures décidées dans le cadre de la Réforme de l’État et au nom d’une nécessaire modernisation
des services ont déjà induit une perte massive d’emplois. A cela s’ajoute donc cette nouvelle réforme. A terme, en 2025, la douane aura perdu quelque 8000 agents en dix ans s’indigne l’USD-FO.
Mouvement massif à la hauteur de la colère douanière
Depuis des mois les douaniers ont demandé à être reçu par le ministère, en vain. Il n’y a pas eu de réunion depuis six mois
notait ainsi le 10 mars Philippe Grasset, secrétaire général de la fédération FO Finances, et lui-même douanier. Au cœur du rassemblement parisien, dense, et alors que de nombreux services avaient débrayé sur le territoire, affichant des taux de grévistes variant de 30% à 90% quand ils n’avaient pas simplement fermé leurs portes, les agents se montraient à la fois déterminés, en colère et effarés par cette réforme aux conséquences lourdes. Le ministère ne s’attendait pas à un tel taux de gréviste
indique Salvatore Lunesu, secrétaire général du syndicat FO des Cadres des douanes.
Participant au rassemblement, Emmanuelle, 49 ans dont 25 années à la douane caractérisait les crispations. Comme nombre de ses collègues, pour cet agent de catégorie B+, gestionnaire à Nancy dans le domaine de la fiscalité indirecte relative aux producteurs et vendeurs d’alcool, c’est le brouillard total. Je ne sais pas quel va être l’avenir de la mission
lance-t-elle. On nous parle d’interministérialité (transfert d’agents dans d’autres ministères), mais des collègues douaniers récemment arrivés venaient déjà d’autres ministères, alors que va-t-il se passer maintenant ? En étant versés à la DGFIP, on irait dans des Maisons France-Services ? (Maisons regroupant différents services dont parfois de la DGFIP laquelle a perdu des implantations locales de pleine compétence, Ndlr) Il n’y aurait plus de services douaniers dédiés ? Le but est de nous dégoûter. On est sur une ubérisation de nos compétences et savoirs
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Secrétaire régionale de la section FO douanes pour la Lorraine, la militante rappelle les nombreuses restructurations infligées aux douanes dont la création il y a quelques années de gros services centraux
, réforme via une régionalisation qui a notamment conduit à supprimer les implantations locales et donc le maillage douanier sur le territoire. Pour Emmanuelle, ce sont autant d’aberrations et s’y ajoute la réforme actuelle qui bafoue l’importance des missions fiscales, mettant par exemple sur la sellette celle relative à l’alcool, alors que l’État (à 75%) et les comptes sociaux (à 25%) bénéficient de recettes issues des taxes contrôlées et perçues par la douane.
Les agents laissés dans le flou par le transfert à 73% de la mission fiscale
Manque de gratitude du ministère vis-à-vis du travail réalisé par les agents, absence de hausses générales de salaires (comme pour l’ensemble des agents publics depuis cinq ans), disparition des services locaux, suppressions de brigades... dans une tribune improvisée place de Bercy, les témoignages de la colère douanière fusent...Nombreux.
Militant FO, Yannick est comptable, agent de catégorie B, à la direction interrégionales des douanes des aéroports de Paris (plate-forme de Roissy et Orly). Travaillant dans le secteur administratif, au service recouvrement des amendes douanières, -ce qui représente des dizaines de millions d’euros recouvrés par an, simplement concernant Roissy et Orly
indique-t-il,- lui aussi témoigne d’un avenir pour l’instant très flou. On ne sait pas si le bureau comptant 40 personnes, va fermer, ou pas !
Par cette journée de grève, le 10 mars, les syndicats, dont FO (3e syndicat dans le secteur douanier), ont donc voulu dire stop à ces situations sur les missions et les emplois qui angoissent légitimement les agents. Pour FO, il est inconcevable que ces derniers soient pris au piège de cette réforme contestée et qui représente le transfert à la DGFIP de taxes fiscales, à hauteur de soixante milliards d’euros sur les 82 milliards d’euros gérés actuellement par les douanes.
En transférant la mission fiscale à la DGFIP, on ôte à la douane sa mission de contrôle, alors que la DGFIP n’en fait pas
souligne l’USD-FO. Pour les syndicats de douaniers, par l’occultation de la mission de contrôle
, par exemple du trafic de cigarettes, et la mise à mal de la mission de surveillance, le risque est donc la perte de dizaines de milliards d’euro pour les caisses de l’État et des collectivités locales
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Revendications d’un accompagnement social et de mesures indemnitaires
La délégation syndicale a obtenu le 10 mars auprès du cabinet du ministre Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l’Économie et en charge des Comptes publics que des négociations s’ouvrent dès la semaine du 14 mars. Le calendrier électoral des Présidentielles impose son rythme, les négociations sont censées aboutir d’ici fin mars... Le calendrier est donc contraint
relève pour le syndicat FO des Cadres des douanes, Salvatore Lunesu qui participait à la délégation.
Les revendications sont nombreuses. Les syndicats demandent ainsi des avancées indemnitaires et pour toutes les catégories, A, B et C
indique le militant. Est demandée ainsi une augmentation pérenne de la prime IMT (indemnité mensuelle de technicité), qu’elle soit alignée sur celle des agents de la DGFIP. Cela représente une hausse de l’IMT de huit euros. Est revendiqué aussi, pour tous les agents exerçant au sein du versant opérations commerciales
, ceux, dédiés aux contrôles (environ 8500 agents), une augmentation de 60 euros nets par mois de l’allocation complémentaire de fonction (ACF). Pour les agents du versant surveillance (environ 8500 personnes), les syndicats demandent une augmentation de 60 euros de l’indemnité de risque ainsi que la hausse de l’IMT.
Les sept syndicats, dont l’USD-FO, exigent aussi un accompagnement social à cette réforme et cela ont-ils indiqué au ministère, passe par le maintien des douaniers à résidence, autrement dit le reclassement des agents, et si possible sur des postes douaniers, dans leur département de résidence...
Maintenir les agents dans leur lieu actuel de vie
Dans ce domaine de l’accompagnement, est demandé aussi que le préavis (avant la suppression matérielle d’un poste) soit allongé. Il faut maintenir dans leur zone de vie actuelle les agents qui seront transférés à la DGFIP
insiste Salvatore Lunesu, soulignant la difficulté que cela induit en termes de postes possibles sachant que les agents de la DGFIP sont sept fois plus nombreux que ceux des douanes
. Signe encore des mauvais traitements subis ces dernières années par les services douaniers : une quinzaine de départements ne disposent plus du tout d’implantations douanières. Une difficulté de plus pour maintenir les agents dans leurs zones actuelles de vie.
A Toulon illustre le militant, dans le service dédié aux droits annuels de francisation et de navigation (DAFN) et comptant 28 agents, seuls douze resteraient en poste. Que deviendront les seize autres ?
Et les exemples se multiplient. A Metz, le service créé en 2013 pour la gestion de l’écotaxe sur le transport routier a subi quatre restructurations en huit ans. Soixante agents, des locaux, avaient été recrutés sur dossiers. Maintenant, le gouvernement ne sait plus que faire d’eux !
Promotions, conditions de travail, retraites...
Plus largement insiste Salvatore Lunesu on veut des mesures de compensation (à cette réforme, Ndlr) pour tous les agents
. Dans la liste des revendications, les syndicats ont ainsi inscrit l’amélioration significative des taux de promotion. Il faut une augmentation de ces promotions, et à hauteur de plusieurs centaines et qu’elles concernent toutes les catégories de personnels
appuie le militant, s’exprimant le 10 mars au nom de l’union douanière USD-FO tandis que la secrétaire générale du SND-FO, Marie-Jeanne Catala, positive au Covid, ne pouvait participer au rassemblement syndical.
Dans les revendications, il est question aussi de l’amélioration des conditions de vie et de travail. Cela comprend tant l’amélioration de différentes primes que l’octroi de matériel supplémentaires, le remplacement de véhicule de travail...
La question de la retraite, et son amélioration, prend aussi toute sa place dans cette liste. Les agents de surveillance qui ont effectué un service actif pendant 27 ans peuvent partir en retraite à 57 ans. Mais pour l’instant, conséquences des réformes, s’ils continuent de travailler au-delà de cet âge, ils perdent, à partir de 60 ans, le bénéfice de leurs trimestres cotisés en plus. On a surcotisé, on veut donc récupérer ce qui a été surcotisé
résume Salvatore Lunesu. Le ministère doit dès à présent entendre et répondre à toutes ces revendications portées notamment par FO.