Finalement, comme l’a résumé Pascal Samouth (UD Haute-Loire) à la tribune du Comité confédéral de FO : Ce CCN tombe bien !
. Il ne pouvait y avoir meilleures dates que ces 29 et 30 mars pour rassembler, pour la première fois en 2023, l’ensemble des secrétaires généraux d’Unions départementales (UD) et de ses 22 fédérations professionnelles, au siège de la confédération à Paris. Au lendemain de la dixième journée de mobilisations interprofessionnelles - toujours massives - contre la réforme des retraites, à une semaine de la rencontre prévue le 5 avril entre l’intersyndicale et la Première ministre, il a permis de mesurer la combativité inchangée de toute l’organisation, et sa détermination résolue à poursuivre, en les amplifiant, les mobilisations jusqu’au bout. Et il n’y a qu’une issue pour FO : le retrait de l’ensemble de la réforme des retraites, qui ne doit son adoption qu’au passage en force de l’exécutif via l’arme constitutionnelle du 49-3.
Un mouvement social historique
Symptomatiques, les 43 interventions à la tribune, consacrées quasi-exclusivement à la réforme et aux modalités d’actions, ont été particulièrement ramassées, à l’image d’une organisation pleinement dans l’action, déjà tournée vers la prochaine mobilisation le 6 avril. Laquelle sera capitale, à quelques jours de la décision du Conseil constitutionnel (attendue le 14 avril) qui pourrait censurer tout ou partie du texte. Il ne pouvait en être autrement en ce moment, jugé par tous déterminant, des luttes sociales et du mouvement syndical qui mobilise sur le rejet de la réforme.
Le moment oblige : plusieurs millions d’actifs, de retraités et de jeunes mobilisés dans les manifestations les 31 janvier et 11 février, 3,5 millions les 7 et 23 mars, dépassant les pics de 2010, et encore plus de 2 millions la veille du CCN.
Ainsi que s’en est félicité le secrétaire général Frédéric Souillot dans son intervention présentant le rapport d’activité depuis septembre : Vous avez réussi, nous avons réussi à mobiliser tous les secteurs de l’interprofessionnel
. Mes camarades, a-t-il poursuivi, il y aura un avant et un après de ce mouvement social. Il est déjà historique (…). Il est une réussite. Pour le rôle et la place du syndicalisme, que l’on disait dépassé, ringard, déclinant et parfois même mortel. Nous avons démontré la vitalité du syndicalisme, de notre syndicalisme. Nous avons démontré que les organisations que nous représentons, pour lesquelles nous militons, sont incontournables
.
Ce sont les revendications de FO qui apparaissent dans les mots d’ordre
Tour à tour, les intervenants ont témoigné du niveau exceptionnel des mobilisations, y compris dans les villes moyennes et petites. Lesquelles confirment le bien-fondé des revendications FO, qui refuse tout report de l’âge légal et tout allongement de la durée de cotisation. Et qui défend le maintien de tous les régimes, et résolument la retraite par répartition. Cette situation exceptionnelle, ce mouvement extraordinaire, partent de nous, de notre Congrès. Ce sont nos revendications qui apparaissent dans les mots d’ordre (…). FO est bien là
, a martelé Frédéric Bochard (UD du Puy-de-Dôme). On n’a jamais vu autant de monde dans les mobilisations : près de la moitié des habitants de Blois étaient hier dans la rue. On doit poursuivre l’opposition à cette réforme inique, montrer que la victoire est possible !
, a appuyé Eric Gondry (UD du Loir-et-Cher). 80.000 manifestants hier, plus de 100.000 le 23 mars. Et des grèves reconduites chez les cheminots, à la raffinerie de Donges...
, a résumé Michel Le Roc’h (UD Loire-Atlantique). Je n’ai pas le souvenir d’avoir vu autant de manifestants sur une telle durée
, a confirmé Henri Lalouette (UD de la Charente).
En Dordogne, a poursuivi Pierre Courrèges Clercq, on a eu des records de mobilisation jamais constatées, sauf à remonter au siècle dernier, soit 1995
. Dans l’Orne, les mobilisations ont rassemblé 12.000 manifestants au plus haut, contre 5.000 manifestants en 2001 dans la bagarre contre la fermeture de Moulinex
, a rappelé Liza-France Paroisse. En Haute-Corse, les militants FO sont plus nombreux généralement que ceux des autres syndicats. Nous avons une bonne couverture médiatique et les jeunes nous rejoignent en masse
, a expliqué Christophe Bertin. Dans l’Eure, les mobilisations sont énormes, voire historiques, et les cortèges FO d’ampleur jamais vue (…) Les jeunes ont constaté les dangers du projet et refusent de travailler deux ans de plus
, a appuyé David Lecomte.
Pascal Samouth (UD de Haute-Loire) a aussi souligné l’inédit du moment : Ce que nous avons réussi, c’est énorme : des millions de travailleurs dans les manifs, des jeunes qui prennent les autocollants syndicaux pour se battre à nos côtés. Même des petits patrons qui emmènent leurs gars à la manif et des commerçants qui ferment leur vitrine (…) En 1995, les opposants à la réforme étaient surtout des fonctionnaires. Aujourd’hui, il y a des masses de salariés du privé
. En Isère, l’UD enregistre déjà les résultats concrets de la combativité de FO : Nous avons 20 demandes d’adhésion par semaine, via la confédération, le site internet de l’UD, les candidatures spontanées. En cette année de renouvellement des CSE (comités sociaux et économiques, NDLR), on voit se monter les listes FO. C’est aussi ça l’effet des revendications justes que nous portons et qui sont entendues et reconnues. Plus de camarades s’investissent dans l’UD et on ne les laissera pas tomber !
, a détaillé Philippe Beaufort.
Continuons à massifier les mobilisations !
, y compris par la grève
Mais les comparaisons historiques ont leurs limites. Si les dix journées nationales d’action depuis le 19 janvier ont connu un niveau de participation inédit depuis trente ans, les mobilisations par la grève marquent le pas. Rien de surprenant au regard des fins de mois difficiles, alors que l’inflation élevée (5,6 % en mars sur un an, NDLR) entame salaires et traitements. L’intersyndicale a ouvert la voie dans ses communiqués aux grèves reconductibles mais cela n’a pas pris
, a constaté Philippe Beaufort. Déjà, pour tenir dans la durée les mobilisations, les travailleurs doivent s’organiser. Les cortèges se renouvellent de journée en journée, avec des organisations dans les familles où l’on se relaie pour pouvoir y participer
, a constaté Reynald Millot (UD Yonne) qui a néanmoins fait part des remontées des cortèges icaunais après la dernière journée : l’attente d’un appel à la grève générale.
La grève générale, on a le droit d’y penser. Mais c’est un challenge par rapport au taux de grévistes dans les administrations et les entreprises
, a expliqué de son côté Dominique Ruffié (UD des Yvelines). Sur ce sujet, laissons le pouvoir de décision aux syndicats de terrain
, a suggéré Laurent Rescanières (FGTA-FO) qui a qualifié de réussite
les mobilisations nationale. Malheureusement, la grève n’a pas pris comme nous le souhaitions. Mais, c’est à la base de le décider
, a souligné Eric Keller, pour FO Métaux.
Tous les jours, il y a de l’action
, a rappelé Gabriel Gaudry (URIF FO), évoquant l’implication des militants FO dans la poursuite du mouvement des éboueurs et ripeurs franciliens, malgré la levée de la grève. Entre autres actions de protestation, qui se poursuivent : piquets de grève, blocages de périphériques dans les grandes villes, ronds-points, opérations-escargots. Certains sont lassés des manifestations classiques. Certains réclament une manifestation nationale à Paris...
, a résumé Philippe Grasset (Fédération des Finances), rappelant par ailleurs la difficulté de tenir des grèves dans la durée, cela par l’impact des retenues immédiates des jours de grèves sur les traitements des agents, et sans parler de l’effet du télétravail.
Dans le secteur de l’Energie, il y a des agents en grève générale depuis vingt jours
, a rappelé Alain André (FNEM-FO). Par exemple, au Centre de production nucléaire EDF de Chinon (Indre-et-Loire). Depuis le 7 mars, plus de 20 % des trains supprimés, et 50 à 80 % lors des journées de mobilisation interprofessionnelles. Les cheminots sont entrés dans la grève. Ils veulent gagner dans l’interprofessionnel (…) Continuons à massifier les mobilisations !
, a lancé de son côté Philippe Herbeck.
FO a tenu l’intersyndicale et en sortira grandie
Le rôle de l’intersyndicale, qui a réussi à s’inscrire dans la durée, sur le refus commun du recul à 64 ans de l’âge légal de départ en retraite et de l’allongement de la durée de cotisations, a été de quasi toutes les interventions, sans que celles-ci ne taisent les difficultés parfois rencontrées. Mais ce front commun restera historique pour le mouvement syndical
, a souligné Frédéric Souillot dans son intervention sur le rapport d’activité : On a fait bloc tout en assumant nos différences. Le maintien de notre unité a incontestablement contribué à la force du mouvement et à l’ampleur des manifestations
. Et, a-t-il rappelé, cette unité ne date pas de l’annonce le 10 janvier de la réforme des retraites par l’exécutif : elle s’est forgée, construite pas à pas, avec des revendications communes dès juillet 2022 sur le pouvoir d’achat, puis sur l’assurance-chômage, puis sur le droit de grève et, dès octobre, sur les retraites.
Pour autant, tout n’a pas été simple et des difficultés, en matière de coordination ou de modalités d’actions, ont pu apparaître, selon les secteurs ou les configurations départementales. En Charente, dans l’Orne, le Jura, la Sarthe. Il y a eu peu d’actions coordonnées sur le terrain en intersyndicale départementale
, a expliqué Loïc Boyard (UD de la Sarthe) qui a repris les choses en main : On a fait de la médiation auprès de 140 sections. Et une vraie intersyndicale a vu le jour lors de la journée du 28 mars. Le mouvement se durcit
. A la Défense, il n’y avait pas de contact inter-fédérations. Macron a réussi une chose : reconstituer l’intersyndicale qui n’existait plus
, a témoigné Gilles Goulm (fédération de la Défense).
Plusieurs fois, le rôle-pivot de FO a été souligné, au plan national comme dans les départements. Dans l’Yonne, l’intersyndicale tient car FO la fait tenir
, a martelé Reynald Millot. Dans la tête des salariés, a renchéri Henri Lalouette (UD de la Charente), on va se souvenir de FO comme l’organisation tenant les revendications
. Toutes. Le plus important, ce ne sont pas les médias ni les temps de passage sur les ondes qui ne dépendent pas de nous, mais notre rôle dans l’intersyndicale. Nous sommes les plus déterminés à obtenir le retrait
, a appuyé Michel Le Roc’h (UD Loire-Atlantique) qui constate lui aussi une hausse des adhésions. FO est la pierre angulaire de l’intersyndicale. Notre organisation gagne en autorité
, a appuyé Frédéric Bochard (Puy-de-Dôme). FO a tenu l’intersyndicale et en sortira grandie, y compris en interne
, a poursuivi Dominique Ruffié (UD Yvelines).
Il n’y aura pas de compromission
Dans sa réponse aux interventions, jeudi 30 mars, le secrétaire général Frédéric Souillot est revenu sur le rôle de l’intersyndicale qui permet la mobilisation, et pas autre chose
. Sous-entendu, avec cette intersyndicale, il n’est pas question de syndicalisme unifié. Il est revenu aussi sur la stratégie payante déployée. Par les concertations de l’automne, avec lesquelles on a gagné du temps
. Du temps pour construire la mobilisation, affiner la communication
: Si l’exécutif était passé par un amendement dans le projet de loi des finances (sur la Sécurité sociale, Ndlr), la réforme serait passée. Un mois après l’adoption (de celui-ci), il a été obligé d’en passer par un projet de loi de financement rectificative de la Sécurité sociale (PLRSS) (un véhicule que FO pointe en tant que choix comme contraire à la Constitution dans l’argumentaire auprès du Conseil constitutionnel, NDLR)
. Du temps gagné aussi pour les dizaines de milliers d’actifs qui prennent aujourd’hui leur retraite, selon des modalités inchangées. On a envoyé l’exécutif dans le corner. Et c’est 1-0 pour les syndicats. L’exécutif s’est décrédibilisé
, a tonné le secrétaire général de FO. Il a réaffirmé que FO n’aurait qu’un seul mot d’ordre
lors de la rencontre prévue le 5 avril entre la Première ministre et l’intersyndicale : pas de recul à 64 ans ni de hausse de la durée de cotisations
. Il n’y aura pas de compromissions
, a-t-il conclu. La mère des batailles
ne se négocie pas.
Adoptée à l’unanimité moins cinq abstentions, la résolution est sans ambiguïtés. Le CCN y réitère son opposition à tout allongement de la durée de cotisation, au recul de l’âge de départ à la retraite et à toute disparition des régimes spéciaux
. Il condamne la contre-réforme principalement destinée à satisfaire les exigences des marchés financiers et de la Commission européenne
. Il dénonce l’usage de l’article 49-3 de la Constitution, totalement inapproprié et inacceptable
. Il soutient que l’exécutif, par son entêtement, son arrogance et son mépris des travailleurs et de leurs représentants porte la responsabilité de la situation du pays
. Il réaffirme sa condamnation de toute forme de violences
. Il exige le retrait de ce texte
et appelle les militants et salariés à poursuivre et amplifier toutes les actions de mobilisation et de grèves avec détermination jusqu’au retrait, dans les valeurs que nous portons
.
Enfin, il se félicite qu’à l’occasion des mobilisations contre la réforme des retraites, le président de la République ait renoncé au service national universel obligatoire (SNU) face à la mobilisation massive de la jeunesse aux côtés des salariés avec leurs syndicats
. Ce premier recul en appelle d’autres
, note le CCN. Et le 6 avril sera le prochain rendez-vous.