Responsabilité sociétale des entreprises : un concept flou au service des employeurs ?

Concertation par Nadia Djabali

Des pourparlers autour de la responsabilité sociétale des entreprises ont débuté le 1er février entre les interlocuteurs sociaux. La CPME souhaite obtenir un allègement des contraintes administratives pour les entreprises qui jouent le jeu de la RSE. Pas d’accord répond FO.

Encourageons la vertu, encourageons les vertueux, s’est exclamé François Asselin, président de la CPME (Ex-CGPME) qui a proposé aux interlocuteurs sociaux de mettre sur la table de la concertation la question de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Un premier rendez-vous, boudé par le Medef et l’U2P, a eu lieu le 1er février 2017 à Puteaux, dans les locaux de la CPME.

Une concertation qui ne sera pas si simple tant la RSE souffre d’un flou dans sa définition. Le « S » du sigle a d’abord désigné le terme « social », qui ensuite s’est transformé en « sociétal ». Et le « E », selon les utilisateurs peut intégrer ou non le terme « environnemental ».

Marginalisation des syndicats de salariés ?

En juin 2013, Jean-Marc Ayrault, alors Premier ministre a intégré une Plateforme nationale d’actions globales pour la responsabilité sociétale des entreprises au sein du nouveau commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP).

Force ouvrière a rappelé à l’époque qu’elle ne participerait pas aux différents groupes de travail de cette plateforme mais qu’elle serait présente aux réunions plénières.

Pourquoi ce refus de participer ? Parce que la démarche RSE incite l’entreprise à élargir le cercle de ses interlocuteurs, indique Pascal Pavageau, secrétaire confédéral. Un grand nombre d’interlocuteurs venant d’horizon divers et représentant des intérêts souvent divergents, voire opposés à ceux des salariés, font basculer le dialogue social dans le dialogue sociétal. Une manière de marginaliser le rôle des syndicats de salariés face aux employeurs. Avec le danger que les instances paritaires ou les instances représentatives du personnel soient modifiées et intègrent ces autres acteurs et associations.

Affaiblissement de la réglementation et de la négociation

Quoi qu’il en soit, FO s’est rendue au rendez-vous du 1er février. Le point positif de cette réunion : nous avons pu parler de RSE entre partenaires sociaux en dehors de la plateforme, résume Pascal Pavageau. Mais rappelle-t-il, Force Ouvrière reste défavorable à la RSE dès lors qu’elle affaiblit la réglementation et la négociation.

Toutefois ajoute le secrétaire confédéral, Force Ouvrière est prête à discuter sur des sujets comme la santé et l’environnement, qui ne relève pas directement de la négociation collective, à partir du moment où cela permet aux branches d’avancer.

Des labels pour être moins contrôlé

De son côté, la CPME souhaite que les petites et moyennes entreprises labellisées RSE soient dispensées de certains contrôles de l’Urssaf ou de la Direccte. Aujourd’hui, une entreprise de plus de cinquante salariés doit négocier un plan égalité hommes-femmes, un plan senior, un plan pénibilité. Elle doit aussi mener des entretiens individuels professionnels tous les deux ans, a développé François Asselin. En cas de manquements, il y a potentiellement des pénalités. Et ce alors que par ailleurs, l’entreprise peut être engagée dans une démarche RSE beaucoup plus profonde.

Une position qui n’enchante guère FO qui considère qu’une charte d’autorégulation ne doit en aucun cas remplacer le droit. Et si c’est pour alléger les contraintes administratives, on dira non, prévient Pascal Pavageau. Les labels RSE ne peuvent pas remplacer des obligations légales du code du travail, et simplification des démarches administratives ne veut pas dire suppression des visites de l’inspecteur du travail.

Sociétés privées de certification

D’autant que la question des organismes délivrant ces labels RSE pose problème. Les sociétés privées de certification ont actuellement le vent en poupe. Elles interviennent notamment quand une entreprise a besoin de certifier les matières premières qu’elle achète ou que ses fournisseurs et sous-traitants respectent les droits humains. Or les sociétés de certification n’ont pas intérêt à refuser un label à une entreprise car cette dernière pourrait aller voir un concurrent.

L’effondrement du Rana Plaza survenu en 2013 à Dacca (Bangladesh), qui a entraîné la mort de plus de 1 000 ouvrières, a mis en évidence les failles de la certification. Un an avant, deux des cinq usines du bâtiment avaient été certifiées par TÜV, le leader mondial de la certification sociale et environnementale.

Des normes élaborées par les entreprises

Les coupes drastiques qu’ont subi les douanes, l’inspection du travail ou la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) en France ne calment pas les inquiétudes de ceux qui voient la certification privée se substituer aux contrôles naguère du ressort des fonctionnaires.

Force Ouvrière alerte depuis plusieurs années du danger réel de voir une norme privée élaborée par l’entreprise pour la sauvegarde de ses seuls intérêts se substituer aux normes de l’OIT, au droit du travail, à la règlementation, à une convention collective nationale ou à un statut.

Rendez-vous a cependant été pris pour le 29 mars pour entrer dans le dur de la discussion. D’ici là, les organisations syndicales devraient recevoir les propositions écrites de la CPME qui souhaite que cette concertation débouche avant l’été sur une délibération interprofessionnelle.

Nadia Djabali Journaliste à L’inFO militante