Retraites : la colère des travailleuses face une réforme qui les pénalise

InFO militante par Elie Hiesse, L’inFO militante

© F. BLANC

Carrières hachées avec l’arrivée des enfants, salaires plus faibles, temps partiels subis… Dans le cortège parisien, l’absence de prise en compte des inégalités persistantes de carrière et de salaire que subissent les travailleuses était un sujet omniprésent. Si on y ajoute l’invisibilisation des facteurs de pénibilité qui affectent les emplois majoritairement occupés par des femmes, la coupe est pleine

62 ans, c’est déjà trop. Son refus du projet de réforme des retraites, elle l’affiche haut et fort, d’un autocollant rouge et jaune collée sur la pommette ! Alors que la presque quadra se faufile dans le cortège parisien du 31 janvier, plus dense encore que celui du 19 janvier pour exiger le retrait du texte gouvernemental, elle s’arrête sans hésitation pour expliquer sa colère. Mélissa, 39 ans, est infirmière dans un service de soins en addictologie dans le secteur privé et a deux enfants. Avec cette réforme, je devrais travailler jusqu’à 67 ans, juste pour avoir une retraite à taux plein ! Elle se résume à faire travailler les Français jusqu’à l’épuisement, d’abord les femmes. Je suis là pour défendre les acquis sociaux, martèle la militante FO, qui fustige un exécutif déconnecté des réalités. Les Ehpad sont accessibles à partir de 60 ans. Demain le personnel infirmier y sera plus âgé que les résidents !, lâche-t-elle.

Trimestres « maternité » et « éducation » : un acquis ébranlé

Car sa situation est partagée par les nombreuses femmes avec enfant (près de 9 Françaises sur 10). Le report de deux ans de l’âge légal de départ en retraite, de 62 à 64 ans, lui ferait perdre le bénéfice d’une partie de la majoration de trimestres accordée pour la naissance et l’éducation des enfants (huit trimestres par enfant). En 2020, 123 000 mères de famille ont utilisé le dispositif pour partir à 62 ans, en ayant tous les trimestres requis, et donc à taux plein. Avec la réforme, elles devraient attendre 64 ans pour liquider leur retraite : le report efface tout ou partie du bénéfice du dispositif. Franck Riester, ministre chargé des relations avec le Parlement, a fini par reconnaître que les femmes étaient un peu pénalisées. Le sujet est si sensible que la Première ministre s’est dit ouverte à une discussion au Parlement sur une meilleure utilisation des trimestres « maternité » et « éducation ». Un retour en arrière : ils ont été accordés en 1972 pour compenser la carrière profondément modifiée des femmes au moment des naissances : interruptions, temps partiel, moindre progression et, au bout du bout, salaire plus faible.

Des contraintes familiales qui n’ont pas disparu. Aujourd’hui encore, une femme sur deux réduit ou arrête complètement son activité professionnelle à l’arrivée d’un enfant. Comme Mélissa, qui a pris deux congés parentaux. Double peine, le projet ne les prend pas en compte, explique-t-elle. (Il ne les considère que dans le dispositif « carrière longue » et dans le calcul du minimum de pension de ceux ayant travaillé plus de 30 ans, NDLR). Ajoutez-y la pénibilité de son métier, non reconnue aussi, et la coupe est pleine. Pourtant, l’espérance de vie d’une infirmière est de sept ans inférieure à celle de la moyenne des femmes. 20 % partent à la retraite en incapacité.

A même pas 40 ans, Melissa se dit déjà épuisée par son métier qu’elle adore. Les conditions de travail dégradées n’aident pas. Un tiers des postes d’infirmières sont vacants dans mon service. Il faut faire sans. Avec pour horizon de tenir jusqu’à 67 ans, pour avoir tous ses trimestres et une pension aux alentours de 1 300 euros bruts. Impossible de faire autrement : mon mari a eu une carrière hachée, avec de longues périodes de chômage. On sait déjà qu’on va vieillir pauvres, confie-t-elle.

L’insuffisante revalorisation du minimum de pension

A cinquante mètres de là, sous son bonnet beige, Nassira ne décolère pas non plus. A 61 ans, cette aide-ménagère, mère de trois enfants, qui travaille en sous-traitance dans un hôpital sait depuis longtemps qu’il lui faudra travailler tard, pour avoir une retraite un peu décente, du fait de la faiblesse de ses salaires, de son parcours marqué par un licenciement, deux congés parentaux. La réforme – qui repousserait pour elle, d’un trimestre, l’âge légal de départ – ne changera rien à cette situation, explique-t-elle. Avant la présentation du texte, elle avait fait ses calculs. Si je pars à 62 ans, c’est pour 1 000 euros brut alors que j’ai travaillé toute ma vie. J’ai 189 trimestres (169 seraient exigés pour un départ à 62 ans et 3 mois) mais qu’est-ce que je vais faire avec 1 000 euros par mois ? Je suis locataire, ma dernière fille est encore étudiante. Pour autant, elle ne pourra pas bénéficier de la revalorisation du minimum de pension à 1 200 euros brut (85 % du Smic), qui est présentée comme une avancée par l’exécutif. Sauf que celle-ci n’est pas garantie quelle que soit la carrière du retraité : elle est circonscrite aux chanceux ayant eu une carrière complète au Smic.

Pour améliorer ses revenus de retraitée, Nassira table sur la surcote de sa pension, laquelle sera augmentée d’un certain pourcentage par trimestre travaillé au-delà de la durée requise de cotisation. Appartenant aux premières générations impactées par la réforme, elle espère bien passer entre les mailles du filet : il me faut la surcote, dit-elle. Car, avec la réforme, la possibilité d’améliorer sa pension en travaillant au-delà de l’âge légal va être différée, disparaître logiquement entre 62 et 64 ans. Un point sur lequel l’exécutif reste silencieux.

Mais il ne passe pas, surtout chez les femmes proches de la retraite. Je vais devoir travailler un an de plus, jusqu’à 63 ans, sans bonus, rien que pour eux !, souffle Cathy, 59 ans, agent administratif qui avait programmé de liquider sa retraite à 62 ans, ayant tous ses trimestres.

Silencieux sur le report de la surcote, l’exécutif préfère mettre en avant le maintien à 67 ans de l’âge d’annulation de la décote, particulièrement favorable aux femmes qui sont deux fois plus nombreuses à devoir attendre cet âge en raison d’interruption de carrière, rappelle le dossier de presse, qui présente comme une amélioration ce qui n’est qu’un statu quo.

Pénibilité des métiers occupés par des femmes : la grande oubliée

Horizon éloigné, la retraite n’en est pas moins un gros sujet pour Noémie, 31 ans, caissière dans un hypermarché Carrefour du Val-d’Oise. La jeune femme blonde explique qu’elle est en temps partiel contraint (30 heures par semaine) et dans l’impossibilité de travailler davantage dans son emploi. L’Observatoire des inégalités estimait, en 2022, que près d’un million de femmes étaient dans ce cas, contre environ 400 000 hommes. J’aurai préféré être embauchée aux 35 heures il y a six ans. Je le veux toujours. Ça permet de gagner plus, de cotiser plus pour la retraite. Mais l’employeur limite les temps-plein, il préfère embaucher des contrats pro ou des étudiants, commente-t-elle.

Sa préoccupation première reste néanmoins la pénibilité du travail qui ronge le quotidien, fait gonfler (s)es mains le soir. Je serre les dents, confie cette ancienne aide-soignante, qui a dû abandonner le métier prématurément, peu après sa sortie de formation, arrêtée nette par trois perforations des tendons de la main.

Sa collègue Hélène à ses côtés, 38 ans et en mi-temps thérapeutique, travaille désormais à charger les rayons. Là aussi, ça tire. A 50 ans, je n’aurai plus de dos, c’est sûr, pronostique-t-elle.

En matière de reconnaissance, il n’y a aucune avancée dans le texte gouvernemental : les quatre facteurs d’exposition/pénibilité qui ont été sortis en 2017 du compte professionnel de prévention (C2P), et ne permettent donc plus d’alimenter celui-ci en points pour bénéficier de départs anticipés, n’y seront pas réintégrés par la réforme. Or la quasi-totalité des facteurs d’exposition exclus – postures pénibles, manutention manuelle de charges, vibrations mécaniques – concernent des métiers majoritairement occupés par les femmes.

Moins de 30 ans et déjà en burn-out ! La pancarte faite maison et tenue haut par Delphine attire le regard. A quel âge je pourrai partir à taux plein ? 70 ans ?, interroge la jeune femme brune, 29 ans et depuis cinq ans professeur dans un établissement en zone d’éducation prioritaire (ZEP) à Villeneuve-La-Garenne (Hauts-de-Seine). Elle raconte ses conditions de travail dégradées : chaque année, on se bat simplement pour maintenir les moyens. Entre la réforme des retraites et la réforme de l’Éducation nationale, je suis déjà dégoûtée. C’est démoralisant, dit-elle. Avant de lever encore plus haut sa pancarte.

Elie Hiesse Journaliste à L’inFO militante

L’inFO militante Le bimensuel de la Confédération