Retraites : trente ans de lutte pour la défense de nos droits

InFO militante par Sandra Déraillot, Ariane Dupré, Clarisse Josselin, L’inFO militante

Si la mobilisation massive de 2019-2020 contre le régime de retraite universel par points est encore dans toutes les mémoires, un nouveau projet de réforme pointe déjà son nez. Pressé, le gouvernement vise l’entrée en vigueur d’une réforme, structurelle, aux motivations strictement budgétaires, à l’été prochain. Mais c’est sans compter sur la combativité syndicale. FO, en tête, a déjà prévenu qu’elle ne tolérerait ni un recul de l’âge légal de départ à la retraite, ni un allongement de la durée de cotisation. Et depuis trente ans, les travailleurs ont montré leur détermination à combattre les contre-réformes engagées par les exécutifs successifs. Toutes ont voulu, notamment, abaisser la part des dépenses que représentent les retraites dans la richesse nationale produite (PIB). Après la réforme Balladur en 1993, deux ans après le livre blanc sur les retraites, le plan Juppé, mis en échec, les textes Raffarin, Fillon, Woerth, Touraine, Macron... La lutte perdure pour défendre nos retraites, éléments majeurs de la république sociale. Plus que jamais et s’il le faut, par des grèves et des manifestations.

En 2019, FO était fer de lance du combat contre le régime universel à points

Le mouvement social de 2019 contre la mise en place du régime de retraite universel par points est un combat syndical entré dans l’Histoire, tant par son intensité que par sa durée, et dans lequel FO avait joué un rôle de meneur. Les grandes lignes de la réforme avaient été dévoilées en juillet 2019 : système unique de retraite par points, suppression des régimes spéciaux, introduction d’un âge pivot à 64 ans…

La confédération, refusant d’aller négocier les réglages d’un système qu’elle rejetait, avait appelé à un premier rassemblement national à Paris le 21 septembre. Demandant l’abandon immédiat du projet de réforme, le CCN de FO avait proposé quelques jours plus tard de rejoindre l’appel à la grève des syndicats des transports à compter du 5 décembre 2019, et d’ici là d’œuvrer à l’unité d’action syndicale la plus large.

Le message avait été entendu. Le 5 décembre, un appel interprofessionnel, lancé par quatre organisations syndicales dont FO et des organisations de jeunesse, avait réuni plus d’un million de manifestants et marqué le début du combat. Neuf autres appels nationaux à manifester avaient suivi jusqu’au 20 février 2020. Des grèves avaient été reconduites dans plusieurs secteurs, notamment les transports publics, les raffineries ou l’Éducation nationale, avec des taux de grévistes pouvant dépasser 80 %.

Baisse considérable du niveau des pensions

FO refusait la mise en place d’un système unique supprimant les quarante-deux régimes spéciaux et imposant de cotiser par le biais de points et non plus de trimestres. La confédération pointait notamment la baisse considérable du niveau des pensions, puisque toute la carrière serait à l’avenir prise en compte, contre les vingt-cinq meilleures années de carrière pour le régime général et les six derniers mois pour les fonctionnaires dans le système actuel. Autre danger, le gouvernement aurait eu tout pouvoir pour déterminer chaque année la valeur (d’achat et de vente) du point en fonction de contraintes économiques et budgétaires. Il n’y avait donc aucune garantie sur le montant de la pension avant le départ en retraite.

FO s’opposait aussi au recul de l’âge de départ pour une retraite à taux plein. Si la réforme maintenait un âge légal de départ à 62 ans, elle introduisait la notion d’âge pivot à 64 ans, en deçà duquel la pension subirait une décote par année manquante.

Malgré la franche opposition de la population, le gouvernement avait annoncé fin février recourir au 49-3 pour tenter de faire passer en force son régime unique. Une nouvelle journée de mobilisation nationale était programmée le 31 mars. Le confinement mis en place le 16 mars, en raison de l’épidémie de Covid-19, contraindra l’exécutif à suspendre sa réforme, qui au final n’a jamais vu le jour.

CLARISSE JOSSELIN

 

 

2022 : le retour inacceptable du débat sur le recul de l’âge de départ

O n la croyait enterrée avec le Covid, mais à peine réélu, Emmanuel Macron a annoncé vouloir réaliser sa promesse de campagne : une nouvelle réforme des retraites. Non plus à points, mais repoussant encore l’âge légal de départ, à 64 ans en 2027, puis à 65 ans en 2031. Inadmissible pour les syndicats, FO en tête. Depuis septembre, le gouvernement dramatise la situation, s’appuyant sur le dernier rapport du Comité d’orientation des retraites (COR), qui prévoit, après l’embellie de 2021 (un excédent de 900 millions d’euros) que le système des retraites pourrait replonger dans le rouge. Or, pour FO, il n’y a aucun péril en la demeure.  La part des retraites restera stable, entre 13 % et 14 % du poids du PIB d’ici 2070, tempère Michel Beaugas, négociateur pour FO. Et le système serait à nouveau à l’équilibre, voire bénéficiaire à partir de 2040, même sans allongement de la durée de la cotisation, analyse FO. Alors, pourquoi réformer ? Le véritable objectif du gouvernement, fustige Michel Beaugas, est de diminuer les dépenses publiques, celle des retraites en particulier, comme il s’y est engagé dans son programme de stabilité, la trajectoire des finances publiques de la France d’ici 2027 adressée à l’Europe. Cette réforme des retraites est d’ailleurs inscrite noir sur blanc dans le projet de loi de finances de 2023 comme un moyen de maîtriser les dépenses, de poursuivre  les baisses de prélèvements, notamment sur les entreprises. Cela, donc, en obligeant les salariés à travailler plus longtemps… Par ailleurs, ces derniers mois, l’exécutif a évoqué l’idée que les ressources dégagées par la réforme servent à financer des politiques publiques (santé, école, ... ). Une sorte de vase communicant qui reviendrait à une double peine pour les travailleurs lesquels, par une perte de droits en matière de retraite, auto-financeraient donc des projets dans des secteurs souffrant actuellement de budgets insuffisants. Une situation qui est particulièrement la résultante des pratiques d’exonérations sociales et fiscales, massives, au bénéfice des entreprises, créant pour les comptes publics un énorme manque à gagner en termes de recettes.

Pour FO, discuter ne signifie pas cautionner

Le gouvernement entend mener cette réforme au pas de charge. Après avoir menacé d’agir par un amendement au PLFSS 2023, il a finalement opté pour un projet de loi qui serait présenté dès cet hiver. Le 5 octobre, le ministre du Travail, Olivier Dussopt, a précisé aux interlocuteurs sociaux le calendrier de cette concertation express comptant des réunions bilatérales avec les onze syndicats et les organisations patronales prévues jusqu’à mi-décembre, dernier carat. À partir du 10 octobre, les discussions porteront sur « L’emploi des seniors et la prévention de l’usure professionnelle », puis, à partir du 7 novembre, sur « L’équité et la justice sociale ». Ce thème comprend l’égalité femmes-hommes, mais aussi, un grand retour, sur l’avenir des régimes spéciaux… S’ouvrirait, le 28 novembre, le débat sur l’équilibre des systèmes de retraite. Explosif s’il porte les questions d’un éventuel report de l’âge de départ et/ou d’un allongement des cotisations. Pour les syndicats, ce calendrier est bien trop serré pour être crédible. FO participera aux séances sur l’emploi des salariés âgés : Il faut aborder les conditions de travail et la question du maintien dans l’emploi des seniors, car actuellement la moitié d’entre eux est au chômage ou en invalidité avant l’âge de la retraite. Améliorer leur taux d’emploi conduirait à plus de cotisations, rappelle Michel Beaugas. Mais attention, discuter ne signifie pas cautionner, prévient-il. Le corollaire ne peut pas être de repousser l’âge légal de départ ou d’allonger la durée de cotisation. Nous ne sommes pas dupes de cette méthode.

Et FO a déjà mis en garde le gouvernement : s’il franchit ces lignes rouges, elle appellera à une mobilisation.

ARIANE DUPRÉ
© Stéphane AUDRAS/REA

 

En Europe, la retraite toujours plus tard

Le mouvement de relèvement de l’âge réel de départ en retraite se constate en Europe et depuis de nombreuses années. Qu’il s’agisse de déplacer l’âge légal, d’augmenter la durée de cotisation pour une pension à taux plein, ou de verser des « bonus » aux salariés qui acceptent de retarder leur sortie de la vie active. La France et la Belgique demeurent dans des moyennes à 62 ans, quand la Suède, elle, a dépassé les 65 ans. Quant au Danemark, où l’âge de départ pour bénéficier d’une retraite à taux plein est actuellement fixé à 67 ans, il devra atteindre 69 ans en 2035. Prétendue compensation, le taux de remplacement moyen y serait le meilleur d’Europe, soit 80 % du salaire moyen des préretraités. Si toutes ces réformes sont présentées par les gouvernements comme incontournables pour sauver les finances publiques, elles ne satisfont pas les travailleurs. En Italie, où l’âge officiel de départ s’élève réforme après réforme, pour atteindre 67 ans en 2026, malgré la difficulté de mobiliser due à un droit de grève restreint par l’obligation d’un service minimum dans les services, quelque 1,5 million de manifestants sont descendus dans les rues pour s’opposer au projet berlusconien en la matière à l’automne 2003. Quant à l’Espagne, la dernière manifestation sur le sujet des retraites date de 2010, alors qu’un projet, qui sera adopté l’année suivante, visait à décaler progressivement l’âge de la retraite jusqu’à 67 ans en 2027.

Pas de quoi vanter le modèle suédois !

La Belgique a connu elle des mouvements durs : 2016, 2017 et 2018 ont vu en effet les salariés descendre dans la rue contre un projet de retraite à points, finalement abandonné. Cet été, un nouveau projet, fruit d’un accord entre gouvernement et syndicats, a vu le jour, incluant un bonus de 300 à 500 euros par an aux salariés qui acceptent de reporter leur départ. En Suède, la dernière refonte date de 1998. Le pays est passé d’un système prenant en compte les quinze meilleures années de salaire et accessible à partir de trente ans de cotisation, à un système à points dans lequel chaque année compte. Plus les Suédois partent tard, plus élevée est censée être leur pension. Son montant est calculé notamment en fonction du nombre de points cumulés, de l’espérance de vie restante au moment de la liquidation et de la situation économique... Le tout est complété par un compte individuel de capitalisation et souvent une retraite professionnelle d’entreprise (à partir de 65 ans). Bilan de la réforme ? Une enquête de l’Office suédois des pensions a montré une baisse des montants moyens versés, cela pour 92 % des femmes et 73 % des hommes. Selon le même office, la réforme a conduit à une baisse du taux de remplacement. Ce taux est passé de 75 % à 70 %, en intégrant la retraite professionnelle. Or celle-ci a reculé de 60 % à 50 %...

SANDRA DÉRAILLOT

 

Manifestation le 19 décembre 2017 à Bruxelles contre la réforme des pensions. ©Danny GYS/REPORTERS-REA

Sandra Déraillot Journaliste à L’inFO militante

Ariane Dupré Journaliste à L’inFO militante

Clarisse Josselin Journaliste à L’inFO militante

L’inFO militante Le bimensuel de la Confédération