Ryanair : son modèle social désavoué par la justice européenne

Low cost par Valérie Forgeront

Retards de vols, pilotes indisponibles, annulations de vols, chute en bourse, recadrage de la commission européenne… Les tracas se multiplient en ce mois de septembre pour Ryanair. Et cela ne fait peut-être que commencer. Une décision de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) dans une affaire mettant en cause la compagnie à propos des conditions d’emplois faites à des salariés vient de contredire les méthodes de la low cost irlandaise. Celle-ci ne peut imposer le droit irlandais à tout son personnel navigant, pilotes, hôtesses et stewards déclare la Cour dans un arrêt dont la portée est saluée par l’association européenne de navigants commerciaux EurEcca dont le syndicat SNPNC-FO est membre fondateur.

Sale temps sur la compagnie low cost irlandaise Ryanair. D’abord d’un point de vue de son image vis-à-vis de ses clients, les passagers. En fin de semaine dernière pour tenter d’expliquer le retard de nombre de ses vols en septembre, la compagnie européenne arguait du mauvais temps, d’une grève du contrôle aérien en France et d’un « plantage » dans l’organisation des plannings des vacances des pilotes. Faisant face à une soudaine pénurie de disponibilité de pilotes Ryanair a décidé d’annuler purement et simplement 40 à 50 vols par jour et ce jusqu’à la fin octobre… Soit au total la suppression de 2 000 vols.

Objectif : remettre de l’ordre dans l’organisation des plannings, la ponctualité des vols et surtout faire en sorte d’avoir des pilotes disponibles. La compagnie s’est excusée auprès de ses clients en colère. Cela ne chasse pas pour autant ce gros nuage venant ternir une image déjà altérée… Notamment par ses méthodes commerciales et sociales.

Depuis cette décision impromptue la compagnie est en pleine opération séduction vis-à-vis de ses navigants. Elle propose des bonus —6 000 euros pour les copilotes et 12 000 euros pour les commandants de bord— afin qu’ils renoncent à dix jours de congés et puissent donc assurer des vols.

Le patron de Ryanair, Michael O’Leary, assure de son côté qu’avec moins d’une centaine de pilotes ayant quitté récemment la compagnie, celle-ci ne connaît aucun déficit en personnels navigants. Une compagnie concurrente norvégienne assure elle que 140 pilotes ont quitté Ryanair pour venir chez elle en début d’année...

L’arrêt qui fera date

Entre des avions immobilisés sur les tarmacs, donc plus coûteux et les critiques musclées du public sur la gestion calamiteuse de la crise inhérente à ces annulations de vols, Ryanair a dû faire face aussi ces derniers jours à un rappel à l’ordre de la commissaire européenne chargée des Transports enjoignant la compagnie de respecter pleinement les droits de ses clients. Autrement dit de les indemniser correctement selon les règles du droit européen. Pour clore le tout, Ryanair perdait près de 2% de sa valeur en bourse le 18 septembre sur le marché de Dublin…

Fin de l’overdose de désagréments pour Ryanair ? Pas vraiment. Si une autre nouvelle est passée inaperçue des passagers, elle ne l’a pas été des navigants de la compagnie et plus largement de ceux de l’aviation civile européenne, les pilotes, hôtesses et stewards.

Le 14 septembre, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu en effet un arrêt qui pourrait troubler à l’avenir les méthodes de Ryanair en matière de gestion des contrats de travail de ses personnels.

La clause irlandaise anéantie

La Cour examinait à la demande d’une juridiction belge (la Cour du travail de Mons) deux affaires jointes mettant en scène six anciens salariés de différentes nationalités s’opposant à leur ancien employeur, Ryanair. Le litige amené par cette juridiction belge devant la CJUE portait sur les conditions d’emploi et de licenciement appliquées à ces personnels navigants commerciaux (PNC). Le problème consistait aussi à déterminer la nationalité de la juridiction compétente en la matière.

Et pour cause. La compagnie low cost considère que tous ses salariés pilotes et PNC employés à bord de ses avions travaillent en Irlande et dépendent du droit irlandais… Puisque les avions Ryanair sont immatriculés en Irlande, pays du siège social de la compagnie laquelle compte toutefois de nombreuses bases en Europe.

Cette situation est dénoncée depuis des années par le syndicat FO des PNC (SNPNC) de même que par l’association EurEcca (European cabin crew association) dont le SNPNC-FO est membre fondateur.

Ils fustigent tous deux le caractère moins disant des conditions d’emplois et de salaires pratiquées par Ryanair et condamnent le dumping social que cette situation entraîne au plan européen.

Les contrats, rédigés en anglais, de ces six PNC donc les cas ont été examinés par la Cour stipulaient que la base d’affectation de ces salariés était en Belgique, en l’occurrence à Charleroi. Ces contrats établissaient aussi une clause attributive en faveur des juridictions irlandaises.

Peu importe la nationalité de l’avion

Par son arrêt la Cour de justice de l’Union européenne fait voler en éclat les méthodes prétendument légitimes appliquées par la low cost en matière de contrats de travail.

Ainsi estime la Cour l’État membre à partir duquel un membre du personnel navigant d’une compagnie aérienne ou mis à sa disposition accomplit habituellement son travail n’est pas assimilable au territoire de l’État membre dont les aéronefs de cette compagnie aérienne ont la nationalité.

Si, explique encore la Cour, la notion de lieu où le travailleur accomplit habituellement son travail ne peut être assimilable à celle de « base d’affectation » du salarié, cela ne signifie pas pour autant que cette dernière notion soit dénuée de toute pertinence afin de déterminer […] le lieu à partir duquel un travailleur accomplit habituellement son travail. La notion de lieu à partir duquel des salariés PNC prennent habituellement ou finissent leur service est donc essentielle et liée à celle de « base d’affectation ».

La cour rappelle encore les règles européennes encadrant notion de base d’affectation. C’est le lieu à partir duquel le personnel navigant débute systématiquement sa journée de travail et la termine à cet endroit en y organisant son travail quotidien et à proximité duquel les employés ont, durant la période d’exécution de leur contrat de travail, établi leur résidence et sont à la disposition du transporteur aérien.

Quand la base d’affectation devient un indice…

Concrètement, la notion de base d’affectation, par exemple Charleroi, constitue un élément susceptible de jouer un rôle significatif dans l’identification des indices permettant […] de déterminer le lieu à partir duquel des travailleurs accomplissent habituellement leur travail et partant, la compétence d’une juridiction susceptible d’avoir à connaître un recours formé par eux.

En cas de litige avec leur employeur, les salariés sont donc tout à fait en droit de se tourner vers une juridiction du pays de leur base d’affectation.

Pour l’association de navigants commerciaux EurEccan créée en 2014 et qui représente 40 000 PNC syndiqués en Europe le modèle social de Ryanair est remis en cause par la CJUE. La compagnie prétendait que seuls les tribunaux irlandais avaient compétence sur des milliers de pilotes et d’équipages de cabine en privant nombre d’entre eux d’accéder à l’aide juridique à l’endroit où réellement ils travaillent rappelle EurEccan.

Mettre un terme au dumping social

Cette décision est d’autant plus importante que la nouvelle Directive sur les travailleurs détachés est à l’ordre du jour s’inquiète l’association européenne qui réitère sa demande d’une définition plus claire de la notion de base d’affectation afin de mettre un terme au dumping social et au flou juridique largement exploité par certaines compagnies.

L’arrêt de la CJUE garantit toutefois la sécurité juridique nécessaire pour tous les équipages en Europe. Cette décision rend possible de contester des clauses d’emploi douteuses et aidera à briser les échappatoires juridiques qui ont permis à de nombreuses compagnies aériennes de pratiquer du dumping social en toute impunité.

Valérie Forgeront Journaliste à L’inFO militante