Safran se sépare de sa filiale spécialisée dans la biométrie

Emploi par Nadia Djabali

Stand Safran Morpho, systeme de contrôle automatise aux frontières lors du 50e Salon international aéronautique du Bourget. ©Gilles ROLLE/REA

Attention, dossier très sensible. Le groupe Safran a annoncé le 29 septembre être entré en négociation exclusive avec le fond de capital investissement américain Advent International, associé à la Banque publique d’investissement (Bpifrance), pour la cession de ses activités d’Identité et Sécurité. La vente est dans les tuyaux depuis le printemps dernier et cinq repreneurs s’étaient mis sur les rangs. Oberthur Technologies, filiale d’Advent International a remporté la mise en posant 2,425 milliards d’euros sur la table.

Safran Identity & Security (Safran I&S) est une très belle affaire. Répondant au nom de Morpho jusqu’à mai 2016, l’entreprise est le n°1 mondial de l’identification biométrique : reconnaissance faciale, scan de l’iris, empreintes digitales. Un savoir-faire qui permet d’identifier les individus en temps réel. Une technologie très sensible dans le contexte de la lutte contre le terrorisme, les trafics d’armes, de drogue et d’êtres humains.

L’État actionnaire de Safran à hauteur de 15,5 % du capital dispose de 24% des droits de vote au conseil d’administration où siègent deux de ses représentants. L’Agence de participation de l’État, le ministère de l’Economie, le ministère de la Défense ainsi que celui de l’Intérieur ont surveillé comme le lait sur le feu le choix du repreneur. Et pour cause, parmi les activités de Safran I&S, on trouve la fourniture, à de nombreux aéroports, de portiques Parafe pour le contrôle automatisé du passeport biométrique.

Des marchés prestigieux

Autre marché obtenu qui renforce son prestige : la création d’une base de données biométrique géante commandée par le gouvernement de New Delhi, rassemblant 1,3 milliards d’Indiens, soit 18% de la population mondiale.

À la demande du gouvernement kenyan, l’entreprise a participé à la création de listes électorales en enregistrant 14 millions de personnes.

Enfin, aux États-Unis, c’est une filiale de Safran I&S qui gère la base d’empreinte digitales du FBI et de la police newyorkaise. L’entreprise a également dans son escarcelle la fourniture de permis de conduire pour une quarantaine d’États américains.

L’entreprise est également le numéro 2 mondial de la fabrication des terminaux de jeux et paris et numéro 3 mondial pour la production de cartes à puces.

Un chiffre d’affaires de près de 1,9 milliard d’euros

Beau tableau de chasse pour une société qui affiche en 2015 un chiffre d’affaires de 1,878 milliard d’euros, soit 11% du chiffre d’affaires de Safran pour un résultat opérationnel de 151 millions d’euros.

Pourquoi le groupe Safran a-t-il voulu se séparer d’un de ses fleurons ? Et pourquoi le céder à un fond de capital investissement ? C’est la question que se pose Daniel Barberot. Coordinateur syndical FO chez Safran, il aurait bien voulu que l’activité identité et sécurité demeure au sein du groupe. « La direction nous a expliqué que le groupe souhaitait se renforcer dans sa branche aéronautique et de défense », déplore-t-il. Une orientation qui prend un virage à 180 degrés puisque ces dernières années le groupe s’était lancé dans une diversification de ses activités. « Céder [Safran I&S], c’est prendre le risque pour la France du gâchis d’un formidable potentiel productif et d’innovation. »

Des standards sociaux qui diffèrent

La signature de la vente devrait avoir lieu courant 2017. Safran I&S sera alors la propriété d’Oberthur Technologies, filiale d’Advent International. Un changement de propriétaire qui aura un impact sur les 87 00 salariés dont 1 600 en France. Ces derniers sont dans l’expectative. D’autant qu’Oberthur n’a pas les mêmes standards que Safran en termes de salaires, de prévoyance et de protection sociale.

Helene Fiquet, Julien Le Pape et Daniel Barberot, représentants FO chez Morpho et Safran s’en sont émus dans un courrier adressé à Christophe Sirugue, le secrétaire d’État chargé de l’Industrie. Ils se font également du souci sur le sort qui sera réservé aux droits liés à la formation professionnelle, au dialogue social ainsi qu’à la prévention du harcèlement et du stress au travail. « En terme social, tout reste à écrire avec Oberthur, même s’ils ont promis de faire des efforts », remarque Daniel Barberot.

De nombreuses questions demeurent

Les interrogations sont multiples. Advent s’est endetté pour acquérir Safran I&S. Et le remboursement de cette dette pourrait avoir un impact sur l’intéressement des salariés.
« Combien de temps Advent gardera l’entreprise dans son giron, quand on sait que les fonds de capital investissement les conservent en moyenne entre 5 et 7 ans ? », s’inquiète Daniel Barberot. Qu’en sera-t-il du maintien des sites en France ?

Deux ans d’emplois garantis

Pour renforcer la crédibilité de son offre, Oberthur a suspendu l’an dernier son projet d’introduction en Bourse. La société a pris plusieurs engagements auprès du gouvernement français, notamment celui de maintenir en France les sites industriels de Safran I&S.

« Dans la conjoncture actuelle, les perspectives de développement dont nous disposons nous permettent d’envisager une création d’emplois sur le territoire français », ont indiqué Cédric Chateau, le directeur associé d’Advent et Didier Lamouche, le P-DG d’Oberthur, dans une lettre adressée au gouvernement et dont l’agence de presse Reuters a obtenu une copie. « Cela nous permet de garantir un niveau global d’emplois permanents en France pendant une période d’au moins deux ans. »

Mais deux ans, cela passe très vite, que se passera-t-il ensuite ?

Nadia Djabali Journaliste à L’inFO militante