Le blocage des négociations annuelles obligatoires (NAO) pour 2025 a mis le feu aux poudres à l’usine Saint-Frères Enduction, spécialiste de la toile PVC à Flexicourt, près d’Amiens dans la Somme. Face au refus de la direction d’accorder une hausse du taux horaire d’un euro brut, portée par l’intersyndicale comprenant FO, majoritaire, la totalité des 80 ouvriers du site – qui compte au total 90 salariés – se sont prononcés pour la grève illimitée le 16 janvier, à l’issue de la troisième séance de négociation.
Du jamais-vu dans cet établissement, héritier de l’ex-empire Saint-Frères qui fut l’un des premiers employeurs du département. Depuis son rachat par le groupe familial belge Sioen Industries en 1996, il est en effet peu connu pour ses débrayages. On n’a jamais vécu une mobilisation aussi importante
, témoigne Philippe Varin, délégué syndical FO, également secrétaire du CSE (comité social et économique). La dernière grève remonte à 2008, pour contrer des licenciements
. Ce 16 janvier, les ouvriers ont pris eux-mêmes la décision de débrayer
. Dans l’après-midi, les piquets de grève étaient installés, les braseros sortis et une large banderole jaune barrait les grilles de l’usine, revendiquant un partage équitable de la valeur. Non sans humour. Production bloquée, valeur partagée !
, y lisait-on, en lettres rouges.
On prend comme référence le plus bas salaire
Par leur action d’ampleur, les ouvriers ont ainsi répliqué à la direction de la filiale française arcboutée sur sa proposition d’une augmentation générale des salaires de 2,5%, jugée défavorable pour les bas salaires. Une hausse de 2,5%, c’est bien pour les cadres, vu l’importance de leur salaire. Par contre, cela représente beaucoup moins pour les ouvriers. Ils veulent des NAO avec des résultats équitables.
, appuie Philippe Varin.
Depuis plusieurs années, le syndicat FO revendique une alternance, une année sur deux, dans les modalités de calcul des augmentations générales – hausse en pourcentage ou en valeur absolue (par rapport au taux horaire).« Pour bâtir nos revendications, on prend comme référence le plus bas salaire, celui du laveur de pompe qui passe ses journées les mains dans le white spirit
, explique le militant. En 2023, FO avait ainsi décroché une hausse de 90 centimes d’euros brut du taux horaire, pour tous.
La question de la santé des ouvriers reste entière
Cette fois, dans cette usine qui tourne en continu, en 3x8, il a fallu en passer par ces cinq jours de grève des ouvriers, et donc l’arrêt de la production, pour que la revendication soit entendue. Le numéro deux du groupe Sioen Industries est venu, en personne, s’asseoir à la table des négociations, pour les reprendre à la place de la direction de la filiale française. Il a consenti à augmenter le taux horaire, de 50 centimes d’euros bruts, et accordé une prime de partage de la valeur de 300 euros (PPV, ex-prime dite Macron). La demande était de 1 000 euros. Le paiement des jours de grève a été refusé : ils seront déduits des salaires, entre février et avril.
Si cette ultime proposition d’accord est certes encore en deçà des demandes initiales, la revalorisation de 50 centimes d’euros brut du taux horaire en 2025 est à l’évidence plus favorable pour les bas salaires que la proposition de la direction. 80% des salariés grévistes ont voté la reprise du travail
, indique le militant FO. Pour autant, les tensions ne sont pas apaisées. Le fait d’être restés unis, de communiquer directement avec la direction du groupe qui n’était pas informée de la totalité des problèmes sur le site ont mis du baume au cœur. Mais il faut que ça bouge maintenant. Les ouvriers attendent que le groupe fasse le nécessaire pour préserver la santé et la sécurité des salariés. Et vite !
, prévient Philippe Varin.
11 droits de retrait exercés par les salariés depuis novembre 2023
Le profond mécontentement concernant les conditions de travail, dénoncées de manière récurrente par les ouvriers, a en effet pesé lourd aussi dans la décision de débrayage total à la production. Les ouvriers se plaignent notamment de la présence de fumées dans les ateliers, qui entraînent irritations des yeux, quintes de toux, maux de tête... Cela pousse à bout les ouvriers, qui sont inquiets au quotidien pour leur santé
précise Philippe Varin. Entre novembre 2023 et octobre 2024, à onze reprises, les ouvriers ont exercé leur droit de retrait. Le dernier d’entre eux, en octobre 2024, a même été notifié dans le registre des dangers graves et imminents par FO, et a provoqué l’arrêt de la production.
L’inspection du travail est intervenue plusieurs fois. Fumées irritantes dans le secteur Enduction, forte odeur de solvant dans la zone de préparation de vernis, laquelle a été jugée « non-conforme », mais aussi dans le secteur Enduction, présence de poudre au sol aussi dans la zone de préparation de vernis… Lors de sa contre-visite en septembre dernier, l’inspection du travail a notifié à la direction qu’elle envisageait une mise en demeure, à moins de travaux. Si des mesures ont été prises depuis l’automne (dont le port d’équipements de protection individuelle, en particulier de masques), les travaux tardent, leur finalisation ayant été promise en avril 2025 pour l’absorption des fumées et en juin 2025 pour la zone de préparation des vernis.
L’inquiétude des salariés reste donc au plus haut. D’autant que l’analyse des fumées irritantes demandée par la CSSCT (commission santé, sécurité et conditions de travail) du CSE s’est révélée incomplète
. On s’est rendu compte qu’elle a été réduite à une analyse des solvants. Résultat, on ne connaît toujours pas la composition complète des fumées, et les risques éventuels pour les salariés qui les ont respirées
, appuie le militant FO. Le 12 février, lors de la prochaine réunion du CSSCT, FO va exiger un calendrier précisant le début et la fin des travaux. Aujourd’hui, on est toujours dans le flou. Il est hors de question de continuer comme ça !
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