Saisonniers : des travailleurs qui exigent aussi des droits

Les Dossiers de L’inFO militante par Chloé Bouvier, L’inFO militante

Ils sont serveurs, réceptionnistes, employés des remontées mécaniques... Ces travailleurs saisonniers, notamment dans le secteur du tourisme, cumulent moult difficultés.
Précaires, ils ont été particulièrement impactés par la crise sanitaire, eux qui en amont souffraient déjà de faibles salaires et de conditions de travail difficiles.
Deux paramètres qui pèsent d’ailleurs de plus en plus lourd sur le recrutement. Comme si cela ne suffisait pas, la réforme de l’Assurance chômage les précarise un peu plus.
Auprès d’eux, FO les accompagne dans la défense de leurs droits et la lutte pour en acquérir de nouveaux.

La réforme de l’Assurance chômage va faire passer les saisonniers de la précarité à la pauvreté, fulmine Priscilla Marini, déléguée syndicale FO pour la Société d’exploitation des remontées mécaniques de Morzine-Avoriaz. Avec le changement de calcul du salaire journalier de référence (SJR) que le gouvernement s’entête à imposer, les saisonniers vont perdre 17 % de leurs indemnités, estime l’Unédic. Je pense que ce sera plus entre 20 % et 30 %, craint de son côté Nabil Azzouz, secrétaire fédéral de la FGTA-FO, chargé du secteur des hôtels, cafés et restaurants (HCR). Jusqu’au 1er octobre dernier, le SJR s’obtenait en divisant les salaires brut perçus durant les douze derniers mois par le nombre de jours travaillés. Avec la réforme de l’Assurance chômage, une partie des jours non travaillés au cours des vingt-quatre derniers mois seront pris en compte pour calculer le SJR. Ce changement pénalise les personnes qui alternent contrats courts et périodes d’inactivité, dont les saisonniers qui travaillent au rythme des saisons touristiques. La réforme exige également de travailler au moins six mois entiers sur deux ans pour toucher une indemnité, or ce n’est pas le cas de tous ces travailleurs. La saison touristique en hiver ne dure pas six mois. Avec le réchauffement climatique, les périodes de neige diminuent et avec elles la durée des contrats saisonniers, remplacés par des contrats courts. Ceux qui sont concernés risquent de ne pouvoir ouvrir des droits, se désole Éric Becker pour le secteur des remontées mécaniques, rattaché à la fédération FO-Transports et Logistique.

La violence de la réforme apparaît comme un dernier coup de couteau pour des professions qui peinent encore à se relever de la crise sanitaire. La pandémie et les confinements ont mis à l’arrêt le secteur du tourisme. N’étant pas des salariés « intégrés » aux entreprises, les salariés saisonniers se sont souvent retrouvés sur le carreau, écartés des mesures destinées à maintenir ce secteur à flot. Au début, ils n’étaient pas concernés par l’activité partielle. Et lorsque les syndicats ont obtenu de l’État la garantie que cette aide concerne tous les salariés, seuls les travailleurs qui avaient une promesse d’embauche écrite ont pu en bénéficier, explique Nabil Azzouz. Certains sont également passés par les trous de la raquette des mesures relatives aux indemnités chômage, souligne Priscilla Marini. Le décret prolongeant les droits au chômage a été publié le 29 juillet. Or, beaucoup de saisonniers étaient arrivés à la fin de leurs droits au printemps 2020 et n’ont donc pas pu être concernés par cette mesure. On en a vu certains pointer au RSA...

Des conditions de travail complexes

Ces travailleurs, se sentant abandonnés par un secteur qui ne les prend pas en compte, risquent de quitter définitivement le statut de saisonnier, déjà vu comme un statut précaire et avec des conditions de travail difficiles. C’est dans les hôtels, cafés, restaurants que c’est le plus marquant :  Dans ce secteur, il y a tout à faire, insiste Nabil Azzouz. Il y a par exemple la question de la reconduction des contrats, indique Éric Becker :  Si le contrat est reconduit d’une année sur l’autre dans les remontées mécaniques, ce n’est pas le cas dans les HCR. Imaginez l’incertitude que cela représente pour des travailleurs qui ne peuvent prévoir sur le long terme... Et par ailleurs, lorsque les saisonniers dans la restauration sont repris par la même entreprise l’année suivante, ils sont souvent considérés comme nouveaux, pointe Nabil Azzouz. Il y a une injustice de traitement entre ces travailleurs et les autres salariés, s’indigne le militant, rappelant que les droits doivent être les mêmes pour tous.

La question du salaire est également souvent évoquée comme un problème. C’est peu dire. Dans la restauration, la rémunération des saisonniers est en moyenne inférieure de 600 euros à celle de la grande distribution, un autre secteur que nous suivons à la FGTA-FO, indique-t-il. Depuis 2009 et la baisse de la TVA, il n’y a eu aucune revalorisation de la grille de la branche, seules quelques négociations annuelles à la marge. Les rythmes de travail constituent un autre problème et notamment les plages horaires distinctes dans la même journée, induisant de fait, au final, une grande amplitude de présence pour ces salariés ainsi coupés de toute vie sociale et familiale  Entre deux services, ils ont à peine le temps de rentrer chez eux. En fait, même s’ils ne gagnent pas d’argent dans ces moments-là, ils restent à la disposition de leur employeur. Dans les HCR, lorsque la coupure entre deux services est inférieure à deux heures il n’y a pas de contreparties, d’où la revendication de la FGTA-FO, demandant la création d’une prime de coupure.

Outre le fait de travailler en décalé et avec de faibles rémunérations, les saisonniers connaissent aussi d’importants problèmes de logement. Mobiles, ils arrivent pour assurer leur contrat dans des lieux touristiques à une saison où l’immobilier locatif est le plus cher. On en a vu loger dans des conditions d’insalubrité, à plusieurs dans des espaces très étroits, s’insurge Éric Becker. Face à ce problème, dans certaines régions sont apparues des maisons des saisonniers, mises en place avec les collectivités territoriales et les employeurs. Pour environ 250 euros par mois, les saisonniers peuvent se loger convenablement, précise Nabil Azzouz pour qui ces dispositifs devraient être généralisés.

Un risque de désertification de ces professions

Avec ces problèmes structurels et conjoncturels, le statut de saisonnier fait de moins en moins rêver et les secteurs n’attirent plus. On le voit, ces secteurs souffrent d’un manque d’attractivité et le premier indicateur, et le plus pertinent, ce sont les difficultés à recruter, indique Nabil Azzouz. On a vu des offres de postes dont le salaire, initialement de 1 200 euros par mois, est passé à 2 000 euros car sinon elles ne trouvaient pas de candidats, abonde Éric Becker. Alors qu’une étude de la Dares, publiée le 1er octobre, démontre le lien entre défaut d’attractivité et difficultés de recrutement, le secteur de la restauration s’est retrouvé dernièrement au centre de déclarations gouvernementales. La ministre Élisabeth Borne a invité certains secteurs, notamment les hôtels, cafés et restaurants, à se remettre en question pour améliorer leur attractivité.

Alors qu’arrive la saison d’hiver, les inquiétudes se font sentir quant à la pénurie de professionnels sur les lieux touristiques. Comment en vouloir aux travailleurs qui ne voient plus de sens dans ce statut et qui choisissent de le quitter, pointe Priscilla Marini. Il y a un risque de désertification de ces professions. Pourtant, celles-ci sont plus que nécessaires au secteur touristique, notamment celui lié à l’hiver et qui s’est construit autour d’elles. Pour FO, favoriser le recrutement dans les multiples professions concernées passe à l’évidence par l’amélioration des droits, des salaires et des conditions de travail de ces saisonniers.

 

Qui sont les saisonniers ?

Entre 2018 et 2019, ils étaient plus d’un million en France à bénéficier d’un contrat saisonnier. Pourtant, il est difficile de mettre des visages et des situations concrètes sur ce chiffre tant ce statut recouvre des réalités différentes et peu connues des autorités. Je rêve de connaître la typologie des saisonniers dans l’hôtellerie, les cafés et la restauration (HCR), indique ainsi Nabil Azzouz, secrétaire fédéral HCR à la FGTA-FO. Plus de la moitié de ces travailleurs saisonniers sont employés dans les secteurs de la restauration (200 000), l’hébergement (180 000) et les divertissements (140 000), estimait la Dares dans une étude publiée en 2019.

Des profils « jeunes »

En majorité, ces salariés sont jeunes, avec une moyenne d’âge autour de 31 ans. Il y a un rajeunissement, remarque Éric Becker pour le secteur des remontées mécaniques, relevant de la Fédération FO des Transports et de la Logistique. Presque la moitié (44 %) des saisonniers dans cette activité de zone de montagne ont entre 15 et 24 ans. Beaucoup sont des étudiants qui travaillent durant leurs congés ou en pause dans leurs études, remarque Nabil Azzouz. De fait, ils ont tendance à accepter des conditions de travail difficiles et à ne pas être considérés comme de vrais travailleurs. Sur les remontées mécaniques, on voit arriver des jeunes qui n’ont pas ou peu de diplômes ou de formation, précise de son côté Éric Becker.

 

Le travail de FO pour sortir les saisonniers de leur isolement

© Pierre MERIMEE/REA

Les militants passent par les réseaux sociaux et les rencontres de terrain sur les lieux de travail. Objectif : aider et accompagner les saisonniers.

Parvenir à atteindre les travailleurs saisonniers afin de les sensibiliser à la lutte pour leurs droits est un casse-tête pour les fédérations syndicales. Mobiles et enchaînant les contrats plus ou moins courts, ces salariés sont hors de la structure habituelle de l’entreprise où il y a les représentants du personnel, souligne Éric Becker de FO-Transports et Logistique. Et cela complique bien sûr les choses. En effet, si elles ne sont pas averties des abus dans le cadre du travail, les organisations syndicales n’ont aucun moyen d’agir. Autre difficulté, celle des garde-fous affaiblis : Les inspecteurs du travail, déjà sur-sollicités, dirigent les travailleurs vers nous. On pallie une défaillance importante de l’État quant à la protection des droits des travailleurs, poursuit le militant. Pour ceux qui signalent des abus, les confédérations mettent à leur disposition des avocats pour les conseiller et les accompagner dans leurs démarches. Mais cela ne suffit pas. Ceux qui ne se manifestent pas auprès des syndicats restent majoritaires, c’est la majorité silencieuse, comme les appelle Nabil Azzouz, secrétaire fédéral de la FGTA-FO. Si on ne connaît pas le taux de syndicalisation chez les saisonniers, il semble très faible.

On est là pour eux

Dès lors, comment accéder à ces travailleurs pour les aider ? Depuis deux ans, je me suis inscrit sur les groupes Facebook qui rassemblent les saisonniers, raconte Éric Becker. Cela a commencé avec la pandémie, lorsqu’il a mesuré l’ampleur de l’isolement de ces travailleurs. J’écris des posts pour les informer de changements [dans la législation, NDLR] ou répondre à leurs questions. Cela ne se traduit pas par des personnes qui se syndiquent mais ce travail permet de montrer que l’on est là pour eux, estime le militant, qualifiant cette activité de terrain virtuel. Pour Nabil Azzouz, rien ne remplace la création de liens IRL (in real life), concrètement en vrai : Ce qui compte c’est la proximité et la présence, mais cela demande des moyens financiers et humains importants. Si chaque été les UD organisent des événements sur le terrain, ceux-ci ont été rendus difficiles avec la crise sanitaire. Raison de plus pour redoubler d’efforts en allant plus à la rencontre des saisonniers !, lance le militant.

Chloé Bouvier

L’inFO militante Le bimensuel de la Confédération