Salaire : poursuite des mobilisations inédites pour un partage équitable des profits

InFO militante par Elie Hiesse, L’inFO militante

Dans les groupes côtés au CAC 40, la demande d’une juste revalorisation salariale, compensant l’inflation et reflétant un meilleur partage des bénéfices réalisés, continue de générer des mouvements d’ampleur historique. Comme l’avait annoncé, fin 2022, celui qui a tenu pendant près de quatre semaines Sanofi. Comme l’ont encore illustré, mardi 17 janvier, les mobilisations massives de salariés chez Schneider Electric et chez LCL, en réponse aux appels nationaux à la mobilisation lancés par les syndicats FO notamment, dans le cadre des négociations salariales pour 2023.

La pression des salariés pour obtenir des revalorisations de salaires, compensant l’inflation, le renchérissement des prix de l’énergie, et reflétant un partage équitable des bénéfices réalisés, ne faiblit pas dans les groupes côtés au CAC 40. Elle continue de se traduire par des mobilisations d’ampleur inédite. Comme l’avait annoncé le mouvement social historique, qui a tenu le géant pharmaceutique Sanofi près d’un mois durant, entre mi-novembre et mi-décembre dernier. Mardi 17 janvier, les appels nationaux à la mobilisation lancés par FO chez Schneider Electric et chez LCL, face à la faiblesse des propositions lors des NAO 2023, ont été massivement suivis. Explications.

Schneider Electric : FO gagne son bras-de-fer après trois jours de grève, dont le 19 janvier

Tous les sites industriels et logistiques mobilisés et une participation proche de 50 % parmi les 11 000 salariés de la maison-mère ! Mardi 17 janvier, les salariés de Schneider Electric ont répondu en masse à l’appel à la mobilisation de FO, premier syndicat chez le géant français des équipements électriques, rejointe par trois autres organisations dans le cadre d’une intersyndicale. S’il était inédit dans le cadre de négociations annuelles obligatoires, ce mouvement d’ampleur n’a pas été une surprise pour Emmanuel Da Cruz, coordinateur national FO qui pointait les propositions honteuses de la direction pour 2023. Car 2022 se confirme être une nouvelle année-record pour le groupe, qui avait déjà enregistré d’excellents résultats 2021 avec un bénéfice net annuel en hausse de 51 % (à 3,2 milliards d’euros).

Dans ce contexte, l’augmentation générale de 2 % proposée aux non-cadres pour les NAO 2023 a été vécu comme une déclaration de guerre. Comment croire qu’un groupe comme Schneider Electric, avec le niveau de bénéfices réalisés, ne peut pas maintenir les salaires de tous ses salariés à hauteur de l’inflation ? Les salariés, qui ont tous contribué activement aux résultats 2022, exigent une redistribution équitable des profits générés en France et des mesures compensant la perte de pouvoir d’achat due à l’inflation (5,2 % en 2022) !, appuyait le militant. Lequel rappelait que Schneider Electric bat des records de profitabilité avec un Ebitda (profit généré indépendamment de la politique de financement, d’investissement et des dépenses fiscales, NDLR) proche de celui du secteur du luxe. La direction a sous-estimé le mécontentement, jugeait-il.

Les propositions formulées mardi, lors de la deuxième séance de négociations, l’ont confirmé : Schneider Electric a réévalué sa proposition d’augmentation générale pour les non-cadres de 2 % à 3 %, avec un talon (augmentation minimale) de 60 euros bruts, et porté l’enveloppe globale de 3,7 % à 4,5 %. Toujours inacceptable ! pour FO, qui revendiquait un talon de 100 euros bruts par mois pour tous (équivalant à 5 % d’augmentation générale pour les salaires inférieurs à 2 000 euros brut), ainsi qu’une enveloppe globale de 5,5 %. Les mesures de justice sociale manquent toujours, ajoutait le militant. Il pointait le déséquilibre des budgets alloués aux augmentations générales et individuelles pour les populations cadres et non-cadres. Un déséquilibre qui minore le travail et l’engagement de 90 % des salariés français. Les cadres dirigeants ont obtenu en 2022 des primes représentant entre 30 et 40 % de leur rémunération annuelle et notre P-DG a été augmenté de 30 %, rappelait-il.

Conséquence, l’appel national à la mobilisation —du 17 au 19 janvier, pour couvrir la journée nationale d’action contre la réforme des retraites— a été élargi aux 16 filiales (4 000 salariés). En l’absence de réponse de la direction, FO a menacé d’interventions la réunion annuelle des 1 200 cadres et commerciaux du groupe, en présence du P-DG, programmée les 24-25 janvier à Deauville (Calvados). Plusieurs bus sont en passe d’être affrétés, expliquait Emmanuel Da Cruz.

Le message a été entendu. Vendredi 20 janvier, Schneider Electric France a proposé un budget d’augmentations générales pour les non-cadres de 4 %, assorti d’un talon à 100 euros minimum. Cela garantit un AG supérieur à 4 % jusqu’à un salaire de base de 2 500 euros, se félicitait FO dans son communiqué. L’enveloppe globale d’augmentations salariales a aussi été portée à 5 % (contre 3,7 % initialement). Les salariés ont été entendus !, se réjouit FO. Le syndicat a annoncé qu’il signera cet accord acquis dans la douleur.

LCL : soutenue par plus de 30 % des salariés, FO exige la réouverture des NAO 2023

Du jamais-vu depuis plus de vingt ans chez LCL ! Il faut remonter à 1999 pour retrouver une mobilisation aussi importante. Le mouvement du 17 janvier a été historique, commente Danièle Gourdet, délégué syndicale nationale FO dans la filiale de Crédit Agricole SA. Pour exiger des hausses de salaire, 30 à 50% des 17 000 salariés, selon les régions, ont répondu le 17 janvier à l’appel national à la mobilisation lancé par FO, deuxième syndicat, et une autre organisation. Un taux de participation évidemment contesté par la direction, qui l’a minoré à 15% dans un communiqué de presse. Elle y estime à 7 % le nombre d’agences LCL fermées en raison du mouvement. La direction a tort de minimiser la grève et la colère des salariés, rétorque la militante, qui dénonce une manipulation des chiffres.

Le mécontentement gronde depuis la clôture le 21 décembre des négociations salariales 2023, explique-t-elle. Faute de trouver des organisations signataires, en raison de l’indigence de ses propositions, la direction a rouvert les négociations le 12 janvier pour trouver une issue commune. Sauf que LCL a maintenu son refus d’accorder une augmentation générale en 2023, invoquant celle accordée en juillet dernier, à titre d’avance pour 2023. Cette augmentation générale de juillet 2022 —2,9 % en moyenne— est bien inférieure au niveau de l’inflation 2022 (5,2 % selon l’Insee). Elle ne la compense pas. Rappelons qu’il s’agit de la première augmentation générale accordée depuis 2014 : 8 ans ! Conséquence, la moyenne des rémunérations chez LCL est inférieure de 21 % par rapport à la moyenne des rémunérations dans les banques de la branche AFB, martèle la déléguée syndicale nationale FO.

Dans sa bataille de communication, LCL met en avant les mesures individuelles 2022 (de l’ordre de 3,5 %), son offre de prime de partage de la valeur (1 200 euros pour les salaires inférieurs à 30 000 euros) et des montants d’intéressement/participation 2023 (versés au titre de 2022) qui devraient se maintenir aux mêmes très bons niveaux que ceux de 2022. Il y a eu peu de bénéficiaires des mesures individuelles 2022 mais beaucoup d’exclus, rétorque Danièle Gourdet. Quant aux primes d’intéressement et de participation, elles n’ont pas vocation, non plus, à couvrir l’inflation, appuie-t-elle, rappelant que ces sommes exonérées de cotisations sociales ne génèrent pas de droit à la retraite. FO, qui revendique une mesure générale d’au moins 4 % et une prime de partage de la valeur plus conséquente, demande la réouverture en urgence des NAO 2023. Dans un climat social tendu, une date rapide est plus que souhaitable, indique le syndicat dans sa lettre ouverte à la DRH.

Chez Sanofi : la mobilisation historique d’un mois n’a pas éteint les revendications

Un partage de la valeur plus équitable et reflétant l’excellente santé du groupe Sanofi (6,22 milliards d’euros de bénéfice net en 2021), c’était déjà la revendication qui a soutenu la mobilisation historique des salariés du géant pharmaceutique, près d’un mois durant, entre le 14 novembre et le 12 décembre dernier, en marge des NAO 2023 et à l’appel de plusieurs organisations dont FO. Un mouvement inédit par sa durée, son ampleur (jusqu’à 14 des 18 sites en grève, avec des blocages sur certains) mais aussi par son origine, rappelle Abdel Qualai, coordinateur FO groupe : il a été déclenché par les salariés, notamment sur le site Le Trait en Normandie. Ils sont venus frapper à la porte des syndicats.

La proposition initiale de la direction – 3,5 % d’augmentation générale – a mis le feu aux poudres, alors que le groupe venait de relever ses perspectives 2022, à la suite des résultats trimestriels supérieurs aux attentes, pronostiquant même un bénéfice net par action (BNPA) en hausse de 16 % sur l’année ! Quand les salariés ont réalisé que la direction limitait encore les augmentations salariales, alors que leur pouvoir d’achat était diminué par l’inflation, ils ont dit : stop !, résume le coordinateur FO, qui avait alerté dès le deuxième trimestre la direction sur la nécessité d’une réunion de revoyure concernant les NAO 2022, comme prérequis aux négociations 2023. La direction n’a accordé qu’1 % d’augmentation générale en 2022, rappelle le militant. Elle se targue de proposer des salaires de base annuels supérieurs (de l’ordre de 10 %) à la moyenne nationale de l’industrie pharmaceutique.

L’épreuve de force s’est heurtée à la décision unilatérale de la direction, le 5 décembre, d’acter une augmentation collective de 4 % pour les non-cadres, et de 3 % pour les cadres, ainsi qu’une prime de partage de la valeur de 2 000 euros. Cette décision n’a cependant pas entamé la détermination des militants FO à revendiquer un partage plus équitable des bénéfices réalisés. Pour 2023, FO exigeait une augmentation générale de 8 % avec un talon (augmentation minimale) de 300 euros bruts par mois. Venu les soutenir le 8 décembre sur le site de production Sanofi de Maisons-Alfort (Val-de-Marne), le secrétaire général de FO Frédéric Souillot a constaté leur détermination à obtenir gain de cause.

Sanofi - FO répond

Mais la signature, quelques jours plus tard, d’un protocole de fin de conflit par trois organisations —sans consulter les grévistes pointe Abdel Qualai— a signé la fin de partie. Ce protocole intègre notamment un talon de 1 500 euros annuels pour tous (soit, selon ses signataires, l’équivalent d’une augmentation de 5 à 6 % pour les salaires de 25 000 à 30 000 euros). FO dénonce ce protocole de fin de conflit mais a été obligée d’en prendre acte, commente le coordinateur FO Abdel Qualai, pour qui cette mobilisation historique, généralisée aux centres de production, de distribution, de recherche, annonce d’autres conflits sociaux en 2023. Les grèves qui se sont prolongées jusqu’à mi-décembre, sur certains sites, lui donnent raison : elles attestent du mécontentement.

Elie Hiesse Journaliste à L’inFO militante

L’inFO militante Le bimensuel de la Confédération