Lundi 12 et mercredi 14 décembre, les employés de Sanef (Société des autoroutes du Nord et de l’Est de la France) étaient mobilisés pour la revendication salariale. Sur certains péages des autoroutes, près des barrières, nombreux étaient les agents à distribuer les tracts et filtrer les voitures. Aux abords de Rouen, entre 6h et 9h30 du matin, 70 salariés de la SAPN (Société des autoroutes Paris-Normandie, qui appartient à Sanef) étaient par exemple rassemblés sur le rond-point des vaches à Saint-Étienne-du-Rouvray.
Une mobilisation pour « faire pression » dans les NAO
Dans le contexte tendu des NAO, cette mobilisation visait à amener la direction à entendre enfin les revendications des salariés. Lors des négociations, nous avions demandé une hausse de salaire de 5 %, en premier lieu pour pallier l’inflation galopante de cette année,
Cela traduit l’absence d’écoute de la direction tandis que la revendication salariale des personnels s’appuie sur les bons résultats de l’entreprise : cette année, la SAPN réalise un chiffre d’affaires de 412 millions d’euros, en hausse de 16,5 % sur un an. Illustration de sa santé florissante, elle a d’ailleurs versé 665,7 millions d’euros de dividendes à ses actionnaires, soit un montant de versement supérieur de 21% à celui de l’an dernier. Mais les salariés, eux, n’ont reçu aucune hausse salariale…
Cette grève visait aussi à mettre la pression sur la direction, alors qu’une nouvelle réunion de négociation se tenait le 13 décembre. On nous a proposé une hausse de 1,5 % et une prime de partage de la valeur à hauteur de 500 euros. L’accord a été signé par un syndicat mais à FO, nous avons refusé
, relate Frédéric Leroux. Chez Sanef, l’accord n’a pas été signé et une seconde mobilisation est d’ores et déjà prévue le 9 janvier. Il n’est pas exclu que nous la rejoignions
, indique le délégué syndical de la SAPN.
Des revendications plus larges
Autre point de tension pour les salariés mobilisés : l’organisation et l’aménagement du temps de travail (OATT). La direction prévoit notamment l’annualisation du temps de travail avec les conséquences que l’on sait : des journées plus longues et des semaines pouvant aller jusqu’à 48h
, redoute Frédéric Leroux. Surtout, l’annualisation signifie la fin des plannings annuels : les plannings ne seront établis que pour trois mois, maximum et pourront être modifiés sous 10 jours.
Opposé à ces projets, le militant souligne ses craintes relatives à la santé des salariés mais aussi au plan de la sécurité des usagers de l’autoroute. On nous menace d’externaliser les emplois des salariés si nous ne signons pas l’accord...
, dénonce-t-il.
Se pose aussi le problème lié à la fin des péages et qui renvoie à la question de l’emploi. L’autoroute de Normandie (32 000 voitures par jour) va devenir en effet la deuxième sans barrières : les 5 péages entre Paris et Caen, sur l’A13 et l’A14, seront progressivement remplacés par un autre système à partir de 2024. Dans cette autoroute de « flux libre » (ou free flow), les usagers pourront circuler sans avoir à s’arrêter à un péage. Ils passeront simplement sous des portiques qui, dotés de caméra et de capteurs, identifieront les véhicules. Ils auront ensuite 72h pour régler le montant de leur trajet.
Pour les salariés, cela pose problème puisque les deux futurs centres de relations clients qui perdureront (centres qui font en quelque sorte office de bureau central d’affectation pour les salariés) seront situés dans les Yvelines et la métropole de Rouen. Outre la crainte de la disparition de certains métiers, les salariés qui travaillent actuellement à Beuzeville ou Dozulé devront faire plus de 100 km par jour pour travailler à Rouen
, pointe le syndicaliste.
Une réquisition délibérément abusive
Étrangement, le jour de la grève, la direction de Sanef a réquisitionné la quasi-totalité des personnels. L’argument ? La direction jure à qui veut l’entendre que sa décision de
, indique la FEETS-FO dans un communiqué. mise en service minimum
des personnels est uniquement motivée par les mauvaises conditions météorologiquesNous comprendrions des réquisitions pour des raisons de sécurité, mais si c’est juste pour faire les tâches quotidiennes, cela n’a qu’un but : que la grève n’ait aucun impact
, souligne Frédéric Leroux.
La FEETS-FO a déposé un référé liberté examiné par le tribunal le 12 décembre, jour de la grève. Notre avocat a appuyé le fait que les réquisitions relèvent de la compétence du préfet, et non celle de l’employeur
, détaille Laurent Le Floch, secrétaire fédéral chargé du secteur des autoroutes. Et par ailleurs, les lettres envoyées aux salariés ne précisaient pas les circonstances qui imposaient cette réquisition ni en quoi l’intervention de chacun était nécessaire à la continuité du service. Le 12 décembre, la FEETS-FO et la confédération (en tant que partie intervenante) obtenaient gain de cause devant le tribunal. FO se réjouissait d’une décision réaffirmant que le recours à la grève constitue pour les salariés un droit fondamental reconnu tant par la Constitution que par la charte sociale européenne
. Mais malgré cette victoire en faveur du respect du droit de grève, l’employeur a réitéré. Et ce dès le lendemain de la décision judiciaire. Les salariés ont reçu un second courrier de réquisition pour le mercredi 14 décembre, alors qu’un rassemblement était prévu au siège de Sanef,
Ce n’est pas la première fois que FO contestait une réquisition. Avec la fédération de la Pharmacie FO, la confédération FO avait aussi obtenu gain de cause contre un arrêté de réquisition pris par le préfet d’Ile-et-Vilaine à l’encontre de salariés de laboratoires de biologie médicale en lutte pour leurs salaires. Le tribunal avait réaffirmé que le droit de grève était une liberté fondamentale et constatait que l’arrêté pour le suspendre portait une atteinte grave et manifestement illégale à cette liberté. Force Ouvrière poursuivra son double combat : pour la hausse des salaires et la défense du droit de grève.
Chloé Bouvier