Santé au travail : la négociation dans la dernière ligne droite

InFO militante par Clarisse Josselin, L’inFO militante

La négociation interprofessionnelle sur la santé au travail, entamée le 15 juin, est sur le point de s’achever. Une ultime réunion est prévue le 4 décembre entre les organisations syndicales et patronales. Si plusieurs revendications syndicales ont été prises en compte, des points de blocage demeurent pour FO. Ainsi, la confédération entend préserver le paritarisme et refusera toute déresponsabilisation des employeurs en matière de santé et sécurité au travail.

Après avoir été reportée durant plus de deux ans, la négociation interprofessionnelle sur la santé au travail a démarré le 15 juin, sur fond de crise sanitaire. Les thèmes de discussion ont été cadrés par un document d’orientation transmis par le ministère du Travail. Au menu : le renforcement de la prévention, la lutte contre la désinsertion professionnelle, la réorganisation de la gouvernance et du financement… Le gouvernement a donné aux organisations syndicales et patronales jusqu’à la fin de l’année 2020 pour parvenir à un accord national interprofessionnel (ANI).

FO revendiquait cette négociation depuis plusieurs années pour assurer une véritable protection de la santé des travailleurs et améliorer le système. La France est le pays de l’Union européenne avec le plus de morts au travail, rappelle Serge Legagnoa, secrétaire confédéral chargé de la protection sociale collective et chef de file de la délégation FO. A part certains secteurs qui sont sensibilisés à la question comme la chimie ou la métallurgie, il y a des progrès à faire, surtout dans les PME qui manquent de moyens.

L’un des enjeux de la négociation est de mettre en place une culture de la prévention. Actuellement, le système repose principalement sur la réparation, à la charge de la solidarité nationale. Nous voulons changer de logiciel et pour cela, il faut mettre en place de nouvelles procédures et débloquer des moyens, poursuit le négociateur FO. Quand la prévention sera plus effective, ce sera plus sécurisant pour les salariés comme pour les entreprises, et moins cher pour la collectivité publique.

Des négociations sous pression de la majorité

Un autre enjeu pour FO est de préserver le paritarisme en matière de santé au travail, et empêcher le gouvernement de reprendre la main. Un rapport rendu en 2018 par la députée de la majorité Charlotte Lecocq préconisait de faire table rase du système actuel pour tout étatiser. Cette même députée travaille actuellement à une proposition de loi sur la santé au travail attendue pour la fin de l’année, et mettant de fait les négociateurs sous pression. La santé se joue en entreprise, c’est donc avant tout l’affaire des organisations syndicales et patronales, estime Serge Legagnoa. Nous avons obtenu du gouvernement de nous laisser le temps de négocier, mais nous avons au plus tard jusqu’à fin décembre.

FO se bat également pour préserver le paritarisme dans la gestion de la branche ATMP (accidents du travail et maladies professionnelles) au sein de la sécurité sociale. Cette branche réalise chaque année plus d’un milliard d’euros d’excédents. Le gouvernement voudrait récupérer ces sommes pour les intégrer au budget de l’État, mais elles doivent être dévolues à la prévention, notamment dans les plus petites entreprises, insiste-t-il.

Depuis la séance du 13 novembre, les organisations syndicales et patronales travaillent sur un projet de texte rédigé en amont par le patronat, et remanié après chaque séance en fonction des discussions. Ce document est construit autour de quatre axes : la prévention au sens large, la qualité de vie au travail en lien avec la santé au travail, les Services de Santé au Travail Interentreprises (SSTI) et la gouvernance/financement du système.

Lors de la dernière réunion en date, le 2 décembre, les interlocuteurs sociaux sont entrés dans le dur de la négociation.  La séance a duré sept heures, pour s’achever après 22 heures, l’ensemble du texte a été balayé, a expliqué Serge Legagnoa lors d’une conférence de presse à l’issue de la rencontre.

Développer le rôle des branches en matière de prévention

Des avancées ont été obtenues. Ainsi la revendication portée par FO de créer une structure dédiée à la santé et sécurité dans chaque branche professionnelle a été intégrée au texte. Serge Legagnoa s’en félicite, tout en soulignant que la rédaction doit être plus précise et le patronat plus directif. Qui mieux que les branches peuvent définir les risques précis liés aux métiers, ainsi que les moyens et formations à mettre en place pour y faire face ?, ajoute-t-il.

Le projet d’accord reprend aussi l’idée portée par FO d’une Commission de santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT) dès 50 salariés pour toutes les entreprises (contre 300 salariés actuellement), même si le texte manque encore de précision et d’incitation. FO revendique toujours le rétablissement du CHSCT, instance dédiée à la santé dans les entreprises et diluée dans les CSE par les ordonnances travail de 2017. Avec la baisse de moyens des IRP, les questions de santé et sécurité au travail passent après les questions économiques et sociales, déplore le négociateur FO.

Sur la prévention primaire et de la désinsertion professionnelle aussi, les discussions avancent, notamment en ce qui concerne la question spécifique du risque chimique.

En revanche, des points de blocage demeurent. La volonté du patronat de déresponsabiliser les employeurs en matière de santé et sécurité des salariés constitue une ligne rouge pour l’ensemble des organisations syndicales. Selon le patronat en effet, l’adhésion à un service de santé au travail interentreprises (SSTI) suffirait à l’employeur pour remplir ses obligations. C’est scandaleux, surtout pendant la crise sanitaire, fulmine le négociateur FO. Cette responsabilité est inscrite dans le code du travail, et nous ne sommes pas là pour réécrire le code du travail. Au contraire, la négociation se tient pour que les plus petites entreprises puissent elles aussi être en mesure de mettre en place des dispositifs pour réduire les risques.

Pénurie de médecins du travail

D’autres points de blocage concernent les SSTI, au cœur du dispositif de santé au travail et actuellement à la main des employeurs. Si FO souhaite que leur présidence reste du ressort du patronat, pour ne pas diluer la responsabilité de l’employeur dans son obligation de santé au travail, la confédération revendique un vrai paritarisme pour le bureau, le conseil d’administration, et pour la commission de contrôle. Le projet d’accord propose d’instaurer le paritarisme dans le bureau, mais en contrepartie, il supprime la commission de contrôle, pour nous c’est rédhibitoire, dénonce Serge Legagnoa. Cette commission exerce un contrôle politique et financier, et nous voulons au contraire étoffer sa mission.

Ces SSTI manquent cruellement de moyens. Ils doivent notamment faire face à une pénurie de médecins du travail. Cette négociation ne va pas créer de nouveaux médecins, mais nous devons trouver des éléments pour protéger les prérogatives des médecins du travail tout en développant la prévention, ajoute le négociateur FO. Or le projet d’accord propose de transférer une partie des tâches du médecin du travail vers la médecine générale. C’est une autre ligne rouge commune à toutes les organisations syndicales. Il n’est pas question de déqualifier la fonction de médecin du travail, la solution n’est pas de déshabiller la filière, ajoute Serge Legagnoa.

L’ultime réunion de négociation programmée le 4 décembre permettra-t-elle aux interlocuteurs sociaux de trouver un terrain d’entente sur un projet d’accord ? Certaines lignes rouges demeurent depuis le début de la négociation, et nous en sommes pourtant à la dixième séance, lâche le négociateur FO. Il souligne qu’à la fin de la réunion du 2 décembre, la CPME a été agressive, tirant des conclusions négatives de la séance. Cela nous a donné le sentiment que le patronat tentait de faire peser un éventuel échec des négociations sur les syndicats, poursuit-il. Or la santé au travail est à la main des organisations patronales, ce sont elles qui ont le pouvoir de faire avancer concrètement les choses ou non. Nous nous interrogeons sur leur capacité à nous proposer pour le 4 décembre un texte qui prenne en compte nos aspirations. Tout en restant dans le timing, nous avons encore le temps pour une autre séance si nécessaire.

Clarisse Josselin Journaliste à L’inFO militante

L’inFO militante Le bimensuel de la Confédération