Supporter l’insupportable

Les articles de L’InFO militante par Corinne Kefes, L’inFO militante

C’est une histoire de rencontre entre deux destins qui se croisent, l’espace d’un instant seulement, mais qui laissent une trace indélébile. Il y a peu de pages car peu de mots suffisent pour livrer toute l’atrocité d’une réalité qui dépasse la fiction, avec néanmoins une force dans la narration qui assène une vérité dont on voudrait bien pouvoir se cacher.

Dans un style photographique qui tend à décrire les scènes comme des clichés successifs, l’auteur nous plonge dans l’horreur ordinaire d’un camp de concentration durant la Seconde Guerre mondiale. Les phrases s’enchaînent, courtes, froides, vraies, sans artifice, pointant les détails sans faire de panoramiques.

L’alternance de chapitres qui passent d’un personnage à l’autre nous fait suivre le chemin menant à cette rencontre, entre le « il » de celui qui ne veut pas savoir et le « tu » de celui qui sait et qui semble nous prendre à témoin.

Au fil des pages revient la figure de l’absence qui prend de multiples visages : l’évasion intérieure pour fuir une réalité trop cruelle, le déni et la conservation d’habitudes pour masquer la vérité, le rêve d’un ailleurs pour faire taire le monstre en soi, la mise à distance pour mieux se détacher, l’effacement de l’individu par la négation de son existence, se rendre invisible pour ne pas se faire remarquer…

L’auteur joue avec cette notion : celui qui meurt, c’est celui qui est délivré et qui connaît la dernière absence, celui qui reste, c’est celui qui conserve le souvenir, la présence du grand absent et c’est celui qui fait acte de présence devant la tombe de celui qui est parti.

In absentia, Raphaël Jerusalmy. Éditions Actes Sud – 172 pages, 17 euros

Corinne Kefes

L’inFO militante Le bimensuel de la Confédération