Un syndicaliste qui est poursuivi, condamné ou qui fait simplement l’objet d’une enquête préliminaire au titre d’une infraction listée à l’article 706-55 du code de procédure pénale peut faire l’objet d’une inscription au Fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG ; article R 53-10 du code de procédure pénale).
Ce syndicaliste poursuivi pour une infraction visée par l’article 706-55 du CPP peut-il s’opposer au prélèvement de ses empreintes génétiques ? En théorie, non car le fait de refuser de se soumettre à un prélèvement biologique constitue un délit (article 706-56 du code de procédure pénale).
Toutefois, la Cour européenne des droits de l’homme reconnaît que le salarié peut refuser le prélèvement de ces empreintes génétiques en raison d’une condamnation pour des délits « mineurs » liés à une activité syndicale dans la mesure où le FNAEG ne proportionne pas la durée de conservation de ces données personnelles, compte tenu de l’objet du fichier, à la nature ou à la gravité des infractions concernées (CEDH, 22 juin 2017, Aycaguer c/ France, requête n° 8806/12). Aucune différenciation n’est actuellement prévue en fonction de la nature et de la gravité de l’infraction commise, et ce, nonobstant l’importante disparité des situations susceptibles de se présenter dans le champ d’application de l’article 706-55 du CPP. Pour une personne condamnée, la conservation des données personnelles peut aller jusqu’à 40 ans et pour les personnes mises en cause, cette conservation peut aller jusqu’à 25 ans.
Des agissements qui s’inscrivent dans un contexte politique et syndical (ex : actes de destructions, de dégradations, de détériorations et de menaces d’atteintes aux biens prévus par les articles 311-1 à 311-13, 312-1 à 312-9, 313-2 et 322-1 à 322-14 du code pénal) devraient être traités différemment des affaires les plus graves (crime contre l’humanité, viol, trafic de stupéfiants, proxénétisme, meurtre, blanchiment...) donnant lieu à inscription au FNAEG.
Le système français de conservation des empreintes génétiques pour les délits les moins graves commis dans un contexte politique et syndical apparaît disproportionné et contraire à l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme même si, dorénavant, la législation française prévoit une possibilité d’effacement du FNAEG aussi bien pour les personnes soupçonnées que pour les personnes condamnées (article 706-54-1 et article R 53-13-1 du code de procédure pénale).
Si l’entrée dans le FNAEG est facile, la sortie, elle, est beaucoup plus compliquée. La procédure d’effacement résulte soit de l’action d’office du procureur de la République, soit de la demande de l’intéressé. Mais la procédure permettant d’aboutir à la suppression du fichier est assez lourde, et beaucoup dénonce une procédure complexe dont le souci véritable semble de ralentir la procédure d’effacement
. La loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 a réécrit a minima la procédure d’effacement. Cette nouvelle procédure ne satisfait pas, à notre sens, les exigences européennes relatives aux droits fondamentaux. Il demeure un risque élevé de nouvelle condamnation européenne. Malgré les risques encourus de poursuite pour refus de prélèvement, les syndicalistes doivent savoir dire non à celui-ci. Des arguments sérieux existent pour faire de nouveau condamner la France.
Précisions : la Cour de cassation a jugé dernièrement que le refus de remettre son code de déverrouillage de son téléphone portable, susceptible d’avoir été utilisé pour préparer, faciliter ou commettre un crime ou un délit, aux autorités judiciaires ou sur les réquisitions de ces autorités délivrées en application des titres II et III du livre Ier du code de procédure pénale peut donner lieu à trois ans d’emprisonnement et de 270 000 € d’amende (article 434-15-2 du code pénal ; Cass. crim., 13-10-20, n°20-80150). Attention, une simple demande formulée au cours d’une audition, sans avertissement que le refus d’y déférer est susceptible de constituer une infraction pénale, ne constitue pas une réquisition.
Un nouveau décret en date du 29 octobre 2021 modifie les règles de conservation des données génétiques (FNAEG) afin, selon la volonté affichée, de mettre la législation française en conformité avec la jurisprudence de la CEDH (CEDH, 22 juin 2017, Aycaguer c/ France, requête n° 8806/12). Qu’en est-il réellement ?
Les anciennes dispositions réglementaires relatives aux durées de conservation ne faisaient aucune distinction selon la nature et la gravité de l’infraction reprochée à la personne condamnée ou à la personne mise en cause.
L’article R. 53-14 du code de procédure pénale, tel que modifié par le décret du 29 octobre 2021, prévoit des durées de conservation spécifiques aux données relatives aux personnes mineures et la liste des infractions les plus graves qui entraînent une augmentation des durées de conservation. Pour ce qui concerne les personnes suspectées d’avoir commis l’une des infractions listées à l’article 706-55 du code de procédure pénale, il existe désormais une distinction selon que l’infraction est considérée comme grave (durée de conservation de 25 ans) ou non (durée de conservation de 15 ans).
Si le nouveau texte constitue un progrès, la durée de conservation des données prélevées pour des personnes simplement mises en cause demeure extrêmement élevée que l’infraction suspectée soit grave ou non : entre 15 et 25 ans ! Il est évident que la durée de conservation devrait être bien plus variée et considérablement revue à la baisse pour les infractions les moins graves. Des personnes participant à des mouvements sociaux ou à des actions politiques ou de désobéissance civile pourraient être poursuivies pour violence volontaire ou association de malfaiteurs, infractions considérés comme graves. Il est indéniable, pour nous, que la gravité de l’infraction conditionnant la durée de conservation ne doit pas pouvoir être évaluée de façon abstraite sans s’attacher au contexte ou aux circonstances de sa commission.
Même si l’effacement du fichier FNAEG est désormais obligatoire si la personne a bénéficié d’une décision définitive d’acquittement ou de relaxe et qu’un effacement anticipé des données est possible à la fin de certains délais, il toujours extrêmement difficile pour une personne de demander l’effacement de son ADN du FNAEG une fois qu’elle a accepté de se soumettre à un prélèvement. Si l’entrée dans le FNAEG est très facile, la sortie, elle, est toujours beaucoup trop compliquée, laborieuse et pas toujours systématique.
Pour nous, des agissements qui s’inscrivent dans un contexte politique et syndical doivent être traités différemment des autres infractions, la durée de conservation devant, dans ces cas, être appréciée différemment. A l’heure actuelle, le système français de conservation des empreintes génétiques (pour les délits les moins graves ou non) commis dans un contexte politique et syndical pourrait apparaître toujours disproportionné et contraire à l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. Savoir dire non à un prélèvement reste donc, dans certaines circonstances, toujours de rigueur !
Pour la CJUE, une collecte systématique des données biométriques et génétiques de toute personne mise en examen aux fins de leur enregistrement policier est contraire à l’exigence d’assurer une protection accrue à l’égard du traitement de données sensibles à caractère personnel (CJUE, 26-1-23, aff. C-205/21). Une collecte des données génétiques est contraire au droit de l’Union lorsque cette collecte est susceptible de conduire, de manière indifférenciée et généralisée, à la collecte des données de la plupart des personnes mises en examen dès lors que la notion d’« infraction pénale intentionnelle poursuivie d’office » revêt un caractère particulièrement général et est susceptible de s’appliquer à un grand nombre d’infractions pénales, indépendamment de leur nature, de leur gravité, des circonstances particulières de ces infractions, de leur lien éventuel avec d’autres procédures en cours, des antécédents judiciaires de la personne concernée ou encore de son profil individuel.