Télétravail : sur fond de crise, l’ANI peine à s’appliquer

InFO militante par L’inFO militante, Maud Carlus

Visant à clarifier le cadre législatif du télétravail et protéger les salariés, un Accord National Interprofessionel (ANI) a été signé le 26 novembre dernier, notamment par FO. Trois mois plus tard, alors que le gouvernement recommande le “100% télétravail”, l’application d’un cadre strict sur le terrain est compliquée.

Pour l’instant, personne n’applique le protocole de télétravail résume Pascaline Kerhoas, secrétaire fédérale adjointe de la Fédération des Finances FO. Du fait de la crise sanitaire, l’ANI ne peut pas prendre sa pleine application. Un constat que partage la plupart des autres secteurs professionnels, que ce soit le public ou le privé.

Selon une enquête CSA pour Malakoff Humanis, le nombre de jours télétravaillés est passé de 1,6 jour fin 2019 à 3,6 jours fin 2020, pour les salariés du privé. Côté secteur public, à la mi-février, 50 % de fonctionnaires de l’État télétravaillent, mais ce sont les chiffres affichés par la ministre de la Fonction publique Amélie de Montchalin. Des chiffres qui dans beaucoup de secteurs posent question aux syndicats, à FO notamment.

Quoi qu’il en soit, des millions de salariés sont aujourd’hui en télétravail et souvent cinq jours sur cinq. Eric Peres, Secrétaire général FO-Cadres, le souligne : "Aujourd’hui, nous ne sommes pas dans du télétravail, mais dans du travail à domicile. Une situation qui rend l’application même de l’ANI compliquée, et qui brouille les négociations syndicales, notamment en ce qui concerne la prise en charge des frais liés au télétravail.

Protéger les salariés en télétravail

Sur fond de pandémie de coronavirus, la négociation sur le télétravail avait abouti le 26 novembre 2020 à la signature d’un Accord National Interprofessionnel (ANI). Signataire, FO s’était positionnée en rappelant l’importance de donner un véritable cadre législatif au télétravail, jusqu’alors flou et peu harmonieux, en veillant à la protection des salariés.

L’un des premiers éléments de l’accord porte sur le volontariat du salarié dans la mise en place du télétravail. Il ne doit en effet pas être subi et son refus ne peut entraîner de motif de rupture du contrat de travail. Autre point important de l’ANI, qui s’appuie sur les précédents accords de 2005 puis 2017, la fréquence du télétravail. Celle-ci doit être décidée entre l’employeur et le salarié afin d’équilibrer le temps de télétravail et le temps de travail sur site, afin de préserver un lien social.

Et ce sont précisément ces points qui posent problème à l’heure actuelle. Les cas de figure sont nombreux et disparates. A une extrémité du spectre, on trouve des salariés qui sont en télétravail exclusif depuis des mois, qui sont isolés et certains souffrent d’être coupés de l’entreprise. Ceux-là souhaiteraient pouvoir revenir en entreprise, mais ne le peuvent pas. Selon Sébastien Busiris, Secrétaire Général de la Fédération des employés et Cadres (FEC) FO : Aujourd’hui, le télétravail est subi. Les choses ne sont plus les mêmes que lors du premier confinement de mars 2020. A présent, les salariés veulent plutôt alléger le télétravail, alors que là ils sont pour beaucoup à 5 jours sur 5 de travail à la maison. Hors la question de ce cadre de crise, FO se positionne pour un télétravail à 2,5 jours maximum par semaine.

Manque d’engagement de certains employeurs

Dans le même temps, alors que le gouvernement recommande le 100% télétravail, les responsables syndicaux constatent un manque d’engagement de la part des employeurs. Les aides sont timides, note Sébastien Busiris, à la fois parce que le cadre de l’ANI est très récent, mais aussi parce que la situation économique rend les employeurs frileux. Ils ne souhaitent pas s’engager dans une situation incertaine.

Sans compter les circonstances, qui n’aident vraiment pas au moral des salariés. Le ras le bol vient aussi de la COVID19 et des conditions à côté de la vie professionnelle. Un salarié qui passe sa journée à télétravailler seul chez lui, puis à 18 heures ne peut plus sortir, ça n’aide vraiment pas, dénonce aussi l’élu.

D’un autre côté, certains salariés du privé voudraient télétravailler davantage, mais les employeurs refusent. Ce sont ces derniers qui décident de l’éligibilité des certains postes au télétravail, et nombreux traînent les pieds.

Certains managers sont coincés dans l’idée selon laquelle invisibilité égale oisiveté, analyse Eric Peres. On est sur un blocage culturel à la française. Le manager craint la perte de contrôle et à cela s’ajoute une difficulté à manager à distance. Une réflexion que partage Pascaline Kerhoas chez FO Finances. La pandémie a certes permis un choc dans l’avancée des mentalités quant au télétravail, mais on reste sur une génération à l’ancienne qui craint que le travail ne soit pas fait. Il faudra du temps.

L’exercice syndical rendu plus difficile

Ce qui place également l’exercice syndical dans une conjoncture particulière, poursuit le secrétaire général de la FEC-FO. D’un côté, on veut protéger les salariés d’un point de vue sanitaire, donc on leur recommande de télétravailler, de l’autre, on sait que ce télétravail est imposé, ce qui est par nature en contradiction avec ce que prévoit l’ANI de novembre, remarque Sébastien Busiris.

Il faut aussi penser que l’absence des salariés en entreprise rend difficile l’engagement syndical, relève Eric Peres. En effet, le télétravail réduit le dialogue social et la capacité d’échanger. La démarche syndicale repose sur le collectif, ce qui est empêché par le télétravail.

D’autres points ne doivent pas non plus être perdus de vue sous prétexte que la situation sanitaire est exceptionnelle. Michael Amsilli, coordonnateur des DCN FO Com La Poste, signale des effets pervers de ce télétravail de crise. On s’est rendu compte que les pauses n’existaient plus. Avant, pour aller d’un lieu de réunion à un autre, on prenait cinq minutes et cela constituait une pause. En télétravail, on enchaîne les visios au même endroit, à son bureau, devant son ordinateur. Donc on ne s’arrête plus pour souffler cinq minutes. Par conséquent, l’employeur a gagné en temps de travail. Ceci constitue une dégradation des conditions de travail.

Des effets pervers que d’autres fédérations mettent également en lumière. Pour Eric Peres, il faut ainsi absolument mettre en place un droit à la déconnexion, y-compris pendant cette période de télétravail exceptionnel généralisé. Nous ressortons notre guide du télétravail en mars prochain, annonce-t-il.

Et de préconiser un retour aux négociations lorsque la crise sanitaire sera passée. Les employeurs voudraient supprimer des avantages comme les tickets restaurant, puisque les salariés ne viennent plus dans l’entreprise. Et quid des frais liés au télétravail, comme le chauffage pendant l’hiver ? Pour nous, ce qui reste essentiel, c’est de rester attentifs à ce que le télétravail ne soit pas un nouveau cheval de Troie pour externaliser les salariés hors de l’entreprise. Car moins de surface égale moins de frais.

FO reste vigilante et souligne plus que jamais la nécessité du respect d’un cadre strict pour l’exercice du télétravail.

Pour le moment, le salarié reste coincé entre le bon vouloir des deux seuls décisionnaires : le gouvernement, et l’employeur, rappelle Éric Peres. Il ne faut surtout pas que l’exceptionnel prenne le pas sur la normalité. Aujourd’hui, on a des salariés en situation de stress profond, d’isolement, et ce sont eux auxquels nous devons aussi penser, nous devons à tout prix maintenir le lien, conclut l’élu.

L’inFO militante Le bimensuel de la Confédération

Maud Carlus

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