Traité transatlantique : un embryon de concertation

Libre-échange par Mathieu Lapprand

Le nouveau Secrétaire d’État chargé du Commerce extérieur, Matthias Fekl, a rencontré une quarantaine d’organisations, syndicales patronales et ONG le 28 octobre pour écouter leurs positions vis à vis du TTIP, le traité de libre-échange entre l’Union Européenne et les États-Unis dans le cadre d’un Comité de suivi stratégique de Politique commerciale.

Quinze mois après le lancement des négociations concernant le TTIP, l’Union Européenne vient seulement de rendre public le mandat qu’elle avait confié à ses négociateurs. Le TTIP est le projet de traité de Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement. L’objectif de ce traité est de permettre aux États-Unis et à l’Union Européenne d’établir des normes communes pour le commerce international et d’annuler les barrières douanières à l’exportation. Il vise également à faire disparaître ce que le traité nomme les « barrières non tarifaires » pour les services et l’industrie. En réalité, ces barrières sont avant tout des normes qu’il s’agit d’aligner. Et des normes de toutes natures : éthiques, démocratiques, juridiques, sociales, sanitaires, environnementales, financières, économiques, techniques... Au-delà de cet alignement, l’objectif du projet de traité est également de rassurer les investisseurs contre d’éventuels progrès sociaux ou la mise en œuvre de normes plus contraignantes par le biais des tribunaux d’arbitrage (en anglais ISDS international-state dispute settlements). Des tribunaux placés sous l’égide de l’OMC.

Les tribunaux arbitraux en question

Pascal Pavageau, secrétaire confédéral chargé des questions économiques représentait la confédération dans ce Comité de suivi. Il a donc interrogé le secrétaire d’État sur la position précise de la France sur le mécanisme ISDS. Même si la question fut reprise par d’autres participants, le Secrétaire d’État ne s’est pas avancé sur la position française, renvoyant ces débats à des réunions « thématiques » du Comité où seront « précisées les positions françaises ». Ces réunions pourraient débuter en janvier 2015.

Or les remises en cause de politiques publiques par des tribunaux arbitraux se multiplient. Après Philip Morris qui attaque l’Uruguay et la Nouvelle-Zélande contre leurs législations anti-tabac, c’est l’Allemagne qui est désormais visée par une plainte. On a ainsi appris le 15 octobre dernier par le ministre allemand de l’Économie, Sigmar Gabriel, que Vattenfall, le groupe suédois d’énergie réclame à l’Allemagne 4 675 903 975,32 €. Cette somme vise à compenser pour le suédois les conséquences financières dues à la fermeture en 2011 de deux centrales nucléaires, celles de Brunsbüttel et Krümmel alors même que ces centrales ne fonctionnaient plus depuis plusieurs années en raison de pannes de réacteur. C’est un tribunal d’arbitrage de la Banque mondiale qu’a choisi Vattenfall pour régler ce différend. Il est donc temps que la France prenne enfin position sur ces mécanismes... plus d’une année après le lancement des négociations sur ce traité.

Le droit des entreprises avant les droits sociaux des salariés ?

Au-delà des tribunaux arbitraux, le projet de traité pose d’autres problèmes. Ainsi lors de ce Comité de suivi, Pascal Pavageau a rappelé que les conditions sociales de production ne pouvaient être dissociées des enjeux de commerce international posés par ce traité. Il a interrogé en ce sens le gouvernement sur le respect des droits sociaux français, européens et de l’OIT en cas d’adoption. Il faut en effet rappeler que les États-Unis n’ont pas ratifié les normes internationales du travail de l’OIT, y compris des normes fondamentales telles que la convention 87 sur la liberté d’association ou la convention 98 sur le droit à la négociation collective.

Sur ces conventions comme sur le reste du traité, le Secrétaire d’État reste évasif. « Il est stupéfiant et inquiétant de constater que le gouvernement français semble n’avoir aucune position déterminée ni sur le texte du projet de traité entre l’Europe et le Canada, ni dans le cadre des débats en cours sur le traité transatlantique ou sur celui des services commerciaux. Cela donne encore plus de lattitude à la Commission européenne pour négocier tout et n’importe quoi sans aucun mandat français » analyse Pascal Pavageau.

Mathieu Lapprand Journaliste à L’inFO militante

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