Dans un souci de protection du salarié en cas de modification de la situation juridique de l’employeur, le législateur a, très tôt (1928), garanti une certaine stabilité aux emplois des salariés. Ce principe, qui n’a guère fait l’objet de modifications, est inscrit dans l’article L 1224-1 du code du travail :
Lorsque survient une modification dans la situation juridique de l’employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l’entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise.
Cela ne veut pas dire que le nouvel employeur ne peut pas modifier les contrats de travail, cela signifie que les contrats de travail sont transférés « en l’état », si le transfert répond aux conditions suivantes, quel que soit le lien de droit entre les employeurs successifs :
– l’existence d’une entité économique autonome,
– le maintien de l’identité et la poursuite de l’activité de l’entité économique.
S’agissant des relations collectives de travail, les textes conventionnels ou les accords d’entreprise peuvent être remis en cause puisque, soit le repreneur ne relève pas de la même convention collective que l’ancien employeur, soit il n’est pas signataire des accords d’entreprise. Mais là encore, le législateur a voulu protéger les salariés en permettant un délai de négociation ou de renégociation de ces accords par le biais de son article L 2261-14 du code du travail :
Lorsque l’application d’une convention ou d’un accord est mise en cause dans une entreprise déterminée en raison notamment d’une fusion, d’une cession, d’une scission ou d’un changement d’activité, cette convention ou cet accord continue de produire effet jusqu’à l’entrée en vigueur de la convention ou de l’accord qui lui est substitué ou, à défaut, pendant une durée d’un an à compter de l’expiration du délai de préavis prévu à l’article L. 2261-9, sauf clause prévoyant une durée supérieure.
Lorsque la convention ou l’accord qui a été mis en cause n’a pas été remplacé par une nouvelle convention ou un nouvel accord dans le délai fixé au premier alinéa du présent article, les salariés des entreprises concernées bénéficient d’une garantie de rémunération dont le montant annuel, pour une durée de travail équivalente à celle prévue par leur contrat de travail, ne peut être inférieur à la rémunération versée, en application de la convention ou de l’accord mis en cause, lors des douze derniers mois. Cette garantie de rémunération s’entend au sens de l’article L. 242-1 du code de la sécurité sociale, à l’exception de la première phrase du deuxième alinéa du même article L. 242-1.
Cette garantie de rémunération peut être assurée par le versement d’une indemnité différentielle entre le montant de la rémunération qui était dû au salarié en vertu de la convention ou de l’accord mis en cause et de son contrat de travail et le montant de la rémunération du salarié résultant de la nouvelle convention ou du nouvel accord, s’il existe, et de son contrat de travail.
(…)
Une nouvelle négociation doit s’engager dans l’entreprise concernée, à la demande d’une des parties intéressées, dans les trois mois suivant la mise en cause, soit pour l’adaptation aux dispositions conventionnelles nouvellement applicables, soit pour l’élaboration de nouvelles stipulations.
Quid du règlement intérieur de l’entreprise transférée ? Fait-il partie intégrante du contrat de travail dans la mesure où ses dispositions sont opposables aux salariés ? Ou relève-t-il des dispositions applicables aux accords collectifs ?
La Cour de cassation vient de répondre dans un arrêt du 31 mars 2021 (n°19-12289).
Dans cette affaire, un salarié avait été licencié pour faute lourde 5 années après son transfert au titre de l’article L 1224-1 du code du travail. Il saisissait le conseil de prud’hommes car l’employeur n’avait pas respecté la procédure de licenciement disciplinaire instituée par le règlement intérieur de l’ancienne entreprise de laquelle il avait été transféré. En effet, le règlement intérieur prévoyait que la lettre de convocation à un entretien préalable à une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement devait contenir les griefs retenus contre lui. La cour d’appel de Toulouse avait fait droit à sa demande et avait jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur pourvoi de l’employeur, la Cour de cassation casse l’arrêt au motif que le règlement intérieur de l’entreprise transféré ne s’impose pas au nouvel employeur :
5. Dès lors que le règlement intérieur constitue un acte réglementaire de droit privé, dont les conditions d’élaboration sont encadrées par la loi, le règlement intérieur s’imposant à l’employeur et aux salariés avant le transfert de plein droit des contrats de travail de ces derniers en application de l’article L. 1224-1 du code du travail n’est pas transféré avec ces contrats de travail.
6. Pour juger le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, l’arrêt retient que la société Carl Zeiss Meditec n’a pas respecté les dispositions du règlement intérieur de la société Ioltech, qu’elle avait rachetée en 2005, prévoyant que tout salarié à l’égard duquel est envisagée une sanction disciplinaire est convoqué au moyen d’une lettre l’informant des griefs retenus contre lui.
7. En statuant ainsi, alors que la société Carl Zeiss Meditec n’était pas tenue d’appliquer le règlement intérieur de la société Ioltech qui ne lui avait pas été transmis en application de l’article L. 1224-1 du code du travail, la cour d’appel a violé le texte susvisé.
Ainsi, la Cour de cassation crée un nouveau « statut » pour les règlements intérieurs dans le cadre des transferts d’entreprise, qui ne relèvent ni du statut applicable aux relations individuelles, ni de celui applicable aux relations collectives…