Transport aérien de voyageurs : les salariés tirent l’alarme sociale

Les articles de L’InFO militante par Clarisse Josselin, Elie Hiesse, L’inFO militante

Rythme de travail infernal, salaires qui ne suivent pas, sous-effectif intenable… Face à la reprise brutale et non anticipée du trafic aérien de voyageurs, qui pourrait approcher cet été le niveau d’avant-crise, les grèves et les appels à la mobilisation se multiplient. Dans les airs comme dans les aéroports, les personnels témoignent de conditions de travail et salariales très dégradées. La faute à la politique de suppressions d’emplois et de réduction des coûts dont les employeurs ont fait le premier levier pour traverser la pandémie, bien qu’ils aient reçu des aides publiques massives. Alors que la sortie de crise se précise, ils persistent dans cette logique au motif désormais de trésoreries asséchées, du coût renchéri des carburants, du risque de reprise épidémique. Pour FO, il faut au contraire renouer avec les créations d’emplois de qualité et revaloriser les salaires.

Le chaos auquel fait face le secteur aérien ne fera que s’aggraver cet été. Ne blâmez pas ses travailleurs ! Le 20 juin, la fédération européenne des travailleurs des transports (ETF, dont FO est membre) a interpellé dans une lettre ouverte les passagers des compagnies aériennes. Appelant à la patience face à l’engorgement dans les aéroports, aux délais d’enregistrement plus longs, aux pertes de bagages, aux retards et annulations de vols, provoqués par les sévères pénuries de personnels.

Brutale et non anticipée, la reprise du trafic de voyageurs met dans une situation intenable les personnels qui ont subi depuis 2020 des coupes sans précédent dans leurs effectifs, assorties souvent de baisse de salaire. Car la réduction de la masse salariale a été le premier levier utilisé par les employeurs pour traverser la pandémie. Problème, les effectifs n’étaient déjà pas pléthoriques, premières victimes de la libéralisation du ciel européen depuis le milieu des années 1990, faite aussi au prix d’une dégradation de la qualité des emplois. Parmi toutes les journées d’action qui se multiplient, la grève des hôtesses et stewards de Ryanair, les 25-26 juin dans cinq pays européens (dont la France), n’a pas surpris.

Dégradation des conditions de travail dans les airs et au sol

Le retour des voyageurs éreinte aussi les conditions de travail dans les aéroports, les services d’assistance en escale, la sécurité aérienne. Le 1er juillet, une grève interprofessionnelle est annoncée parmi les personnels des entreprises de la plateforme aéroportuaire Roissy-Charles de Gaulle. Leur revendication commune ? Des embauches d’urgence et des hausses de salaire. Au total, sur les sites de Roissy et Orly, il manquait 4 000 professionnels fin avril entre le gestionnaire Aéroports de Paris (ADP) et ses sous-traitants. Lequel ADP recherchait lui-même toujours, mi-juin, 330 agents sur les 600 qu’il voulait embaucher, après avoir imposé en 2021… 1 150 départs sur 6 400 (dont 700 non remplacés) et une baisse des salaires pour les salariés qui sont restés. Mi-juin, révélait Le Monde, 500 agents de sécurité faisaient toujours défaut sur les deux sites pour les postes d’inspection-filtrage, où bagages et passagers sont passés aux détecteurs de métaux. Et la situation n’est pas meilleure en région. À l’aéroport Lyon-Saint-Exupéry, les agents d’Aviapartner (450 salariés), qui gèrent bagages en soute, la logistique au sol et le nettoyage des avions, en étaient le 23 juin à leur cinquième jour de grève en trois semaines face à l’explosion du temps travaillé et au refus de la direction de rouvrir avant octobre les NAO 2022 (1,5 % d’augmentation générale en janvier).  Les semaines à 45-50 heures ça suffit ! Les salariés n’en peuvent plus des vacations de dix heures travaillées par jour, faute de recrutements. En horaire décalé, c’est épuisant, tonne Raoul Soler, DS FO, ici majoritaire.

Deux chiffres suffisent à comprendre cette flambée de mobilisations. Alors que le trafic européen évolue à 86 % du niveau de 2019, et pourrait atteindre 95 % en août selon Europol, les effectifs français de la branche ont fondu  de 10 % à 15 % depuis 2019, estime Michaël Dellis, secrétaire fédéral chargé des transports aériens à la FEETS-FO. Rien qu’en 2020, ils ont chuté de 6 %, réduits à 57 063 emplois en équivalent-temps plein, selon le rapport de branche. Premiers concernés, les personnels au sol. Et l’austérité, pour eux, s’étend aux négociations salariales de branche. Première organisation, FO a refusé de signer les NAO 2021 et 2022 car ne proposant qu’un rattrapage des premiers coefficients inférieurs au Smic. Conséquence, avec les revalorisations successives du salaire minimum, les sept premiers coefficients se retrouvent au Smic !

Chez Air France, la masse salariale est réduite de 29 %

Or le secteur a déjà bénéficié des aides publiques. À commencer par les dispositifs d’activité partielle. Chez Air France, sauvé par des prêts d’État de 7 milliards d’euros, 25 % de la masse salariale a été portée par ces dispositifs en 2020. Avant que le transporteur ne mette les salariés à contribution, en engageant 7 500 suppressions d’emplois et en réduisant les jours de congés. Au total, entre toutes ces mesures, la masse salariale aura été réduite de 29 % entre 2019 et 2021.

Et la tendance est à la poursuite de la transformation d’Air France, engagée durant la crise. Lors du CSE central d’avril, les élus FO (première organisation) ont dénoncé le projet de délocalisation de centaines d’emplois informatiques, le développement de la sous-traitance sur le tarmac. Sur quatre agents pistards chargés d’un avion moyen-courrier, il n’y a plus qu’un salarié Air France, dénonce Christophe Malloggi, secrétaire général de FO-Air France.

Dette, trésorerie asséchée, coût renchéri des carburants, risque de reprise épidémique… les employeurs ne manquent pas d’arguments pour justifier la poursuite du régime d’austérité en matière d’embauches ou salariale. Pour FO, il faut au contraire renouer avec les créations d’emplois de qualité et revaloriser les salaires.

Elie Hiesse

 

© Laurent GRANDGUILLOT/REA

ADP, la colère face au crash social organisé

Un quart des vols annulés dans la matinée et, pour les autres, des retards de 30 à 45 minutes. La grève interprofessionnelle du 9 juin, qui a mobilisé entre 700 et 800 salariés sur la plateforme aéroportuaire Paris-Charles-de-Gaulle (Val-d’Oise), tant chez le gestionnaire Aéroports de Paris (ADP) que chez ses sous-traitants, n’aura été qu’un premier coup de semonce pour les employeurs. Chez ADP, l’appel à poursuivre le mouvement est déjà lancé, pour soutenir les revendications salariales et la demande de recrutements massifs.  FO-ADP appelle à la grève à partir du 1er juillet. Les agents nous l’ont réclamé !, indique Fabrice Criquet, secrétaire du syndicat, qui pointe l’affluence aux assemblées générales : plus de 300 participants étaient décomptés au 21 juin, sur une semaine.

Le démantèlement du statut ADP sur la table

La colère est là. Si la grève du 9 juin a permis de rouvrir les négociations salariales, qui se sont soldées, début 2022, par une décision unilatérale d’augmentation générale de… 0,5 %, les nouvelles propositions de la direction n’annoncent aucune levée de l’austérité sans précédent imposée aux agents depuis 2021. Jugez du peu : d’abord 1 150 départs dont 700 non remplacés, puis une baisse des rémunérations pendant trois ans par la suppression de primes, la perte équivalant à 5 % en 2021-2022, à 4 % en 2023 (par rapport à la rémunération brute annuelle 2019).

Ce cadre, entériné dans le PACT (plan d’adaptation des contrats de travail), ADP serait aujourd’hui prêt à le faire bouger. Mais à la marge et à quel prix, s’insurge Fabrice Criquet :  La direction conditionne toute évolution salariale au démantèlement du statut ADP. Elle continue de se servir de la pandémie pour liquider la question sociale et préparer la reprise de la privatisation (suspendue en mars 2020) !, dénonce-t-il.

ADP a mis deux propositions sur la table. La première ? Une augmentation générale de 1,5 %, mais conditionnée à la révision des modalités statutaires d’avancement des agents d’exécution. Lesquelles garantissent, à chacun, une évolution tous les trente-huit mois en moyenne. ADP propose un avancement annuel, plus ou moins différé dans le temps, sur avis de la hiérarchie. En clair, au mérite, détaille le militant FO. Seconde proposition : un retour anticipé d’un an à la rémunération 2019, soit dès janvier 2023. Celui-ci serait conditionné aussi, cette fois à la suppression d’éléments statutaires de rémunération pour les nouveaux recrutés à compter du 1er juillet 2021. Les cadres concernés n’auraient plus droit à la prime d’ancienneté et aucun agent ADP à l’indemnité de fin de carrière...

ADP compte renouer avec les dividendes dès 2023

Pour FO-ADP, c’est deux fois non.  Hors de question de toucher au statut. Les agents exigent que la direction rende ce qu’elle leur a volé avec le PACT. Pourquoi devraient-ils se contenter d’un salaire à - 5 %, alors que les actionnaires vont toucher des dividendes [dès 2023, NDLR]  ?, appuie Fabrice Criquet, qui revendique une augmentation générale sans condition, au moins équivalente à la hausse record de l’inflation.

Force est de constater qu’avec sa politique d’austérité, ADP a signé un redressement spectaculaire en 2021. Si l’année reste déficitaire, le groupe a quasiment atteint l’équilibre en termes de résultat opérationnel. Et ce, malgré la reprise très partielle du trafic. Alors qu’elle s’amplifie, les agents sont priés de faire avec leurs effectifs réduits.  Le mois dernier, FO a dû intervenir auprès des coordinateurs service clients (CSC) pour faire respecter les pauses réglementaires. Les agents, qui gèrent les flux de voyageurs, n’arrivaient même plus à en prendre pour aller aux toilettes !, commente Fabrice Criquet.

Elie Hiesse


 

© Laurent COUSIN/HAYTHAM-REA

Turbulences sociales dans le ciel européen

L’union fait la force. Confrontée à une grève d’hôtesses et stewards coordonnée à l’échelle de l’Europe, la compagnie low cost Ryanair a dû supprimer des centaines de vols durant le dernier week-end de juin. Huit organisations syndicales, dont le SNPNC-FO, avaient en effet appelé les personnels navigants commerciaux à cesser le travail à partir du 24 juin en Espagne, au Portugal et en Belgique. En Italie et en France, la grève a débuté le 25 juin.

Dans le contexte actuel de forte inflation, et alors que l’activité aérienne repart, les revendications communes des syndicats portent avant tout sur les conditions de travail. Exemple du manque de considération envers le personnel navigant, c’est seulement depuis l’annonce de la grève mi-juin que de l’eau est mise gratuitement à disposition des équipages en vol, une revendication portée de longue date par FO. Les représentants du personnel dénoncent également  des baisses de salaire imposées sous la menace de licenciements collectifs massifs, le non-respect des législations sociales, l’absence de dialogue social significatif, ou encore une casse syndicale.

Selon Damien Mourgues, délégué SNPNC-FO chez Ryanair, 129 vols ont été annulés en Espagne du fait de cette grève et 90 en Italie, tandis que les dix-neuf avions basés en Belgique sont restés cloués au sol. En France, près de 70 vols ont été annulés sur le week-end.

La compagnie a tenté de minimiser l’impact du mouvement social en attribuant les annulations à une grève des contrôleurs aériens de Marseille et au mauvais temps. Mais à Marseille, 55 % des vols de Ryanair ont été annulés contre seulement 14,5 % des vols des autres compagnies, souligne le militant.

Le syndicat espagnol USO a dénoncé de son côté le remplacement de salariés grévistes par du personnel venu du Maroc, ainsi que la tentative de la compagnie d’outrepasser les règles sur le service minimum.

FO dénonce  l’inaction coupable des autorités

Cela fait plusieurs mois que la colère gronde chez les hôtesses et stewards de la compagnie low cost, qui sont  sous pression de la hiérarchie, selon Stéphane Salmon, secrétaire général adjoint du SNPNC-FO. En France, après un premier débrayage en avril, le SNPNC-FO a déposé le 3 juin un préavis de grève illimitée, avec une première mobilisation les 12 et 13 juin. Dans un communiqué, le syndicat s’offusque que la compagnie souhaite une négociation [NDLR : sur les salaires] en dessous du minimum légal. Il dénonce aussi le non-respect du droit du travail, tout en pointant l’inaction coupable des autorités concernant les agissements de Ryanair en France.

La situation est tout aussi explosive dans les autres compagnies low cost. Chez Easyjet, un préavis a été déposé en Espagne pour neuf jours de grève en juillet, ciblés sur les dates de grands départs en vacances. Selon le syndicat USO, le personnel navigant espagnol a actuellement un salaire de base de 950 euros par mois, soit le salaire le plus bas de l’ensemble des bases Easyjet en Europe. Stéphane Salmon n’écarte pas non plus la menace d’une grève en France dans cette compagnie cet été.

La colère monte aussi chez Transavia et French Bee. Dans cette dernière compagnie low cost, qui dessert notamment l’outre-mer,  le salaire minimum garanti pour les PNC n’a pas évolué depuis huit ans, explique Stéphane Salmon.

Les compagnies nationales aussi sont dans la tourmente. En Belgique, une grève organisée du 23 au 25 juin chez Brussels Airlines a entraîné l’annulation de plus de trois cents vols. Une grève illimitée des pilotes se profile chez SAS Scandinavian Airlines à partir de fin juin. Quant à British Airways, les personnels au sol de l’aéroport de Londres-Heathrow ont voté le 23 juin en faveur d’une grève pour une hausse de salaire.

Clarisse Josselin

Clarisse Josselin Journaliste à L’inFO militante

Elie Hiesse Journaliste à L’inFO militante

L’inFO militante Le bimensuel de la Confédération