Transports urbains : déconfinement ou navigation à vue ?

Coronavirus / Covid19 - Pandémie par Evelyne Salamero, FO Cheminots, FO UNCP

© Jean-Claude MOSCHETTI/REA
Article publié dans l’action Coronavirus / Covid19 - Pandémie

Nous serons prêts pour le 11, assurait le secrétaire d’État aux Transports, Jean-Baptiste Djebbari, mardi 5 mai au soir, tout en expliquant que… des lignes de transport en commun pourraient être de nouveau fermées après le 11 si les règles de sécurité sanitaire n’étaient pas respectées. Des propos pas forcément rassurants. Les fédérations FO, elles, dénoncent depuis déjà plusieurs jours l’insuffisance des moyens mis en œuvre pour assurer une protection sanitaire digne de ce nom, aux personnels comme aux usagers. Gouvernement et employeurs ne répondent pas à ces demandes. Pire, le président de la SNCF a clairement évoqué des suppressions d’emplois. La colère vient donc s’ajouter à l’inquiétude. L’exercice du droit de retrait, mais aussi, désormais, celui du droit de grève, sont à l’ordre du jour.

Le plan de déconfinement présenté le 28 avril par le Premier ministre Édouard Philippe prévoit que l’on puisse circuler sans attestation jusqu’à 100 kilomètres de son domicile à partir du 11 mai, avec obligation de porter un masque dans les transports publics et de respecter les règles de distanciation.

Voilà pour la théorie. En pratique, tout se complique. Tout particulièrement en région parisienne où, en temps normal, cinq millions de voyageurs empruntent tous les jours le métro, le bus, le RER ou le train et où le gouvernement se fixe pour objectif de faire fonctionner le réseau RATP à 75 %.

Mais l’équation n’a rien de simple non plus sur le reste du territoire. Et ce, même si le gouvernement et les opérateurs de transport comptent beaucoup sur un maintien maximal du télétravail pour limiter le plus possible l’utilisation des transports publics.

Nous essayons de prendre des mesures lucides 

Nous serons prêts pour le 11, a certes assuré le secrétaire d’État aux Transports, Jean-Baptiste Djebbari, mardi 5 mai au soir. Mais il a néanmoins immédiatement averti que des lignes de transport en commun pourraient être de nouveau fermées après le 11 si les règles de sécurité sanitaire n’étaient pas respectées.

Nous essayons de prendre des mesures lucides, a-t-il ajouté, indiquant dans la foulée que les mesures en question évolueront au jour le jour et selon les endroits.

Des discussions très pragmatiques  sont encore en cours avec les autorités régulatrices et les opérateurs de transport, a également tenu à souligner le secrétaire d’État, reconnaissant enfin qu’il est  effectivement compliqué de maintenir la distanciation physique au sein des rames en raison de l’importance du trafic .

En Île-de-France, il est ainsi envisagé de réguler les flux de voyageurs dès l’entrée des stations et des gares et de réserver les transports publics aux travailleurs à certaines heures. Cela exigerait que ces derniers soient munis d’une attestation fournie par leur employeur et indiquant leur horaire d’embauche.

Des contrôles à l’entrée des stations et des gares…

Pour effectuer les contrôles qu’un tel dispositif supposerait, il est question de faire appel aux forces de l’ordre, mais aussi aux agents de sécurité de la SNCF et de la RATP, sachant que le défaut de port de masque dans les transports sera puni d’une amende de 135 euros et qu’il faudra aussi prévoir des contrôles et des sanctions pour qui ne respecterait pas les règles de distanciation, a prévenu la ministre de la Transition écologique et des Transports, Élisabeth Borne, le 4 mai.

Dans chacune des grandes métropoles, en particulier en Île-de-France, certaines stations et correspondances pourraient être fermées d’emblée afin de réduire les flux de passagers, a également annoncé Élisabeth Borne.

Manque de moyens : l’aveu des entreprises de transport

Les organisations patronales des transports avaient exprimé leur hostilité à cette règle de distanciation dans les transports dès le 17 avril, dans un courrier adressé au gouvernement, dévoilant leur préoccupation quant au manque de moyens pour la faire appliquer. Faire respecter une distanciation sociale par des quotas de voyageurs supposerait de mobiliser des moyens humains très importants, excédant largement les capacités des opérateurs et très coûteux en argent public, au moment même où les conditions de la reprise pourraient exposer les opérateurs à un sous-effectif, écrivaient-ils.

Les opérateurs de transport demandaient alors que le port du masque soit rendu obligatoire dans les transports pour ne pas avoir à appliquer la règle de la distanciation sociale. Le port obligatoire du masque dans un espace public partagé viendrait en substitution claire et logique pour tout un chacun à la règle de distanciation sociale. Cela permettrait de n’imposer aucune mesure particulière contraignante sur le respect de la distanciation sociale dans le transport public, qui impose en pratique la limite physique du nombre de voyageurs dans les véhicules ou les espaces d’attente, écrivaient-ils précisément.

Au nom de la rentabilité

Deux jours plus tôt, le 15 avril, le P-DG de la SNCF, Jean-Pierre Faradou, auditionné par le Sénat, laissait parler son inquiétude et manifestement son souci quant à la rentabilité. Il déclarait : Si on nous impose de mettre un mètre ou un mètre et demi entre chaque passager, avec 100 % des trains on ne transporte que 20 % de ce qu’on transporte d’habitude... Donc ça ne marche pas !

N’ayant pas été entendues sur ce point, l’Union des transporteurs publics (UTP), l’Association pour la gestion indépendante des réseaux de transport public (AGIR) et les directions des entreprises concernées (RATP, SNCF, Keolis, Transdev) ont de nouveau écrit au Premier ministre le 30 avril, expliquant une nouvelle fois n’avoir ni les moyens humains, ni les moyens matériels de faire respecter les gestes barrières annoncés par le gouvernement. Malgré les injonctions du Premier ministre pour qu’ils trouvent une solution, les transporteurs indiquaient qu’après plusieurs jours de travail, ils constataient ne toujours pas disposer des moyens humains et des matériels de nature à satisfaire à une telle obligation.

La régulation des flux : patate chaude ?

C’est donc dans ce deuxième courrier du 30 avril que les opérateurs ont demandé la mobilisation des forces de l’ordre, nationales et municipales, comme une condition indispensable à la régulation des flux d’usagers, alertant le gouvernement sur le risque très élevé de trouble à l’ordre public qui conduira nécessairement à l’arrêt des transports publics.

Le 4 mai, la ministre des Transports Élisabeth Borne reconnaissait la difficulté : Il leur revient d’augmenter l’offre de transport le plus possible, mais en même temps il faut absolument réduire drastiquement la demande aux heures de pointe, déclarait-elle sur LCI.

Ce sera aux entreprises de faire respecter cette distanciation, avec des renforts de la sécurité civile, des polices municipales et avec le soutien des forces de l’ordre, concluait-elle.

La solution du P-DG de la SNCF : moins d’investissements et moins d’emplois

Le P-DG de la SNCF, Jean-Pierre Farandou, a aussi sa petite idée… La règle de la distanciation lui ayant été imposée, il a clairement annoncé le 2 mai son intention de réduire les investissements et de serrer les coûts de fonctionnement, ajoutant que la question de l’emploi n’est pas un sujet tabou. Bref, des mesures d’austérité semblent déjà se tenir en embuscade.

Si la reprise est lente et si nous produisons moins de trains que par le passé, il ne sera pas anormal ou illogique d’ajuster le niveau d’emploi au volume d’activité, a-t-il affirmé, précisant que le sujet serait examiné le moment venu en toute transparence avec les organisations syndicales. Les suppressions de postes se traduiraient essentiellement sur le niveau des embauches, s’est chargé de préciser un porte-parole de la compagnie.

 Ce sont des embauches qui sont nécessaires , rétorque FO-Cheminots

Ces propos ont fait monter la colère des cheminots d’un cran. Non content d’envoyer les agents au charbon sans les moyens de protection adéquats (…), non content de prendre des jours de repos à ceux qui sont envoyés au travail dans de telles conditions (…), non content de mettre en place des consignes inapplicables pour les cheminots (…), voilà maintenant qu’il faudrait supprimer des emplois !, a immédiatement réagi la Fédération FO des Cheminots dans un communiqué en date du 2 mai.

Dans ces conditions, pour elle, non seulement la question de la mise en danger délibérée des agents est posée, et avec encore plus d’acuité après le 11 mai, mais maintenant la question de la grève se pose également !.

Rappelant que quelques jours plus tôt, le président de la SNCF, à l’instar des autres opérateurs de transport, avait expliqué au gouvernement qu’assurer la distanciation dans les trains demanderait des moyens humains énormes, la fédération FO-Cheminots souligne : Voilà la solution à la hauteur des enjeux : ce sont des embauches qui sont nécessaires !

Et de conclure : En tout cas pour FO-Cheminots, en l’absence de masques FFP2, de gel hydro-alcoolique et de lingettes virucides, les droits de retrait sont forcément justifiés. Ajoutons-y les suppressions de postes et c’est la grève qui est justifiée.

Bus, autocars, métros, tramways : il faut s’attendre à des droits de retrait et à des grèves

Le personnel est très inquiet. Il faut s’attendre à des droits de retrait, voire à des grèves, prévenait Patrice Clos, secrétaire général de la fédération FO-Transports et Logistique, le 6 mai au matin.

Et d’expliquer :  Alors que la question de la désinfection est un point clé, personne ne nous écoute, personne ne veut en parler. Aujourd’hui, la désinfection est faite par les entreprises de nettoyage habituelles, alors qu’il s’agit d’un métier spécifique qui exige du matériel spécifique. À l’heure actuelle, seules les barres et les boutons de portes sont désinfectés avec des lingettes que l’on fait durer le plus possible. Nous avons demandé, au moins, que cela soit fait deux fois par 24 heures dans les zones à forte densité. Nous n’avons eu aucune réponse. Ce n’est pas comme ça que l’on va redonner confiance, ni aux usagers, ni au personnel. Faire prendre les transports dans ces conditions, c’est mettre les voyageurs en danger.

Ce n’est pas aux conducteurs de faire la police !

Autre demande à laquelle les employeurs et les autorités semblent rester sourds : l’instauration de règles permettant de protéger au maximum les conducteurs de bus. Nous avons demandé que les portes avant soient bloquées et qu’un espace vide sépare le conducteur des premiers voyageurs. Mais les syndicats patronaux ne veulent pas en entendre parler !, précise Patrice Clos.

La Fédération FO des Transports et de la Logistique revendique aussi la présence d’accompagnants chargés de faire respecter les gestes barrières dans les cars scolaires. Ce n’est pas aux conducteurs de faire la police ! Mais cela a un coût et les régions ne veulent pas payer, s’indigne son secrétaire général.

Dans les bus, les autocars, les trains, comme dans les écoles ou encore les services de santé, mais aussi dans les entreprises du secteur privé… On en revient toujours à la question des moyens. Qui va payer pour que la reprise économique puisse avoir lieu ? Les fédérations FO refusent simplement que les personnels et la population le fassent au prix de leur santé, voire de leur vie.

Evelyne Salamero Ex-Journaliste à L’inFO militante

FO Cheminots Cheminots

FO UNCP Transports et logistique