La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) n’est pas d’une grande aide pour les salariés exerçant un travail de nuit en France. La CJUE juge conforme au droit de l’Union, l’absence d’un préjudice nécessaire lorsqu’un employeur n’assure pas le suivi régulier de l’état de santé d’un travailleur de nuit (CJUE, 20-6-24, C-367/23, Artemis security SAS).
Les faits sont les suivants : un salarié est engagé comme agent de sécurité incendie et assistance à personnes. Il saisit le conseil de prud’hommes afin de demander des dommages-intérêts pour absence d’un suivi médical renforcé dont doit bénéficier un travailleur de nuit.
Le salarié est débouté en première instance et en appel sur cette demande. Il forme alors un pourvoi en cassation.
En droit français, l’article L 4624-1 prévoit un suivi régulier de l’état de santé du travailleur de nuit. La périodicité du suivi est fixée par le médecin du travail en fonction du poste occupé et des caractéristiques du travailleur.
Aucune sanction n’est prévue en cas d’absence de suivi médical. Il faut donc mobiliser les règles de responsabilité civile.
La Cour de cassation s’interroge et décide donc de poser une question préjudicielle à la CJUE (Cass. soc., 7-6-23, n°21-23557). Elle demande si un État membre peut prévoir, que le droit à réparation d’un travailleur de nuit, pour manquement à l’obligation d’un suivi médical renforcé, soit subordonné à la démonstration d’un préjudice.
La CJUE répond que la nécessité pour un travailleur de nuit d’apporter la preuve d’un préjudice découlant d’une absence de suivi médical renforcé, ne méconnaît pas le droit de l’Union.
Elle affirme ainsi qu’il n’y pas de préjudice nécessaire qui résulterait de cette absence de suivi médical.
La CJUE, à l’appui de cette solution, énonce que la directive 2003/88 relative à l’aménagement du temps de travail, n’a pas prévu de sanction en cas de violation des prescriptions édictées par la directive, ni de règle particulière concernant la réparation d’un éventuel dommage. Dans une telle circonstance, il appartient à chaque État de prévoir des règles procédurales aptes à assurer la protection des droits des justiciables. Toutefois, met en garde la Cour, les règles procédurales ne doivent pas rendre impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits garantis par l’Union européenne.
La CJUE fait ensuite un parallèle avec la violation de la durée maximale hebdomadaire de travail. Dans ce cas, la Cour estime que le seul dépassement de cette durée, en ce qu’il prive le travailleur d’un temps de repos, et affecte donc directement sa santé, lui cause nécessairement un préjudice qu’il convient de réparer. Le travailleur est donc dispensé, dans cette situation, d’apporter la preuve d’un préjudice.
La Cour ne retient toutefois pas cette solution, en ce qui concerne le manquement à l’obligation d’un suivi médical régulier pour les travailleurs de nuit.
Elle estime que l’absence de visite médicale préalablement à l’affectation à un travail de nuit, et l’absence de suivi médical régulier n’engendre pas inévitablement une atteinte à la santé du travailleur
. Elle juge que la survenance d’un éventuel dommage est fonction de la santé du travailleur et de l’évolution de celle-ci. Dès lors, selon la Cour, il est loisible de demander au travailleur d’apporter la preuve de son préjudice. Il ne peut être reconnu, à son égard, un préjudice automatique.
La solution du juge européen comme celui national, paraît bien peu soucieuse de la santé du salarié. Sur un droit aussi fondamental que celui de la protection de la santé, un justiciable ne devrait pas se voir imposer une charge procédurale complexe. Sans aller jusqu’à la reconnaissance d’un préjudice nécessaire, encore qu’avec un peu d’audace et de considération pour les travailleurs, une solution en ce sens aurait pu être rendue ; il aurait été possible de poser comme règle une charge de la preuve partagée.
Comme le prouve cet arrêt de la CJUE, la santé des travailleurs ne fait pas encore l’objet d’une politique ambitieuse et respectueuse de ceux-ci.