Selon les estimations, la France compte aujourd’hui 5,1 millions de pauvres (si le seuil de pauvreté est de 1 014 euros par mois, soit à 50% du niveau de vie médian), comme le calcule l’Observatoire des inégalités. Elle en compte 9,1 millions, si le seuil retenu, pour une personne seule, est de 1 216 euros par mois, soit 60% du niveau de vie médian, comme le fixe l’Insee. Le taux de pauvreté en France oscille ainsi entre 8,1% et 14,4% du total de la population. Quel que soit le seuil retenu, le constat est inquiétant : si le modèle social français parvient à contenir l’explosion de la pauvreté, celle-ci regagne du terrain
depuis une vingtaine d’années, alerte l’Observatoire des inégalités dans son dernier rapport sur la pauvreté. Entre 2004 et 2022, le nombre de pauvres a augmenté de 1,2 million en France, selon ce rapport. L’essor des emplois précaires, mais aussi l’inflation pendant ces dernières années, a miné le pouvoir d’achat des ménages populaires et des classes moyennes
, explique cet observatoire. Les études de l’Insee montrent aussi une forte hausse de la pauvreté consécutive à la baisse des allocations logement décidée par Emmanuel Macron en 2018, et, en 2021, à la fin des aides liées au Covid. Le phénomène de pauvreté frappe en premier lieu les chômeurs (35%) et les familles monoparentales (31,4%). Mais aussi les salariés en activité : en 2022, 14,1% des ouvriers vivaient sous le seuil de pauvreté d’après l’Insee. En tant que septième puissance mondiale, cette paupérisation en France est inacceptable. On ne peut pas avoir d’un côté 100 milliards d’euros de dividendes en 2024 et une pauvreté qui augmente et ruisselle sur l’ensemble des familles
, dénonce Rachèle Barrion, secrétaire confédérale FO au secteur de l’Économie et du Service public. Si les inégalités relatives au partage des richesses sont criantes, cette montée de l’appauvrissement est aussi le résultat d’une politique ultralibérale du moindre coût qui ne cesse d’attaquer les droits sociaux, ainsi les réformes de l’Assurance chômage ou la dernière réforme des retraites
, insiste la militante.
La reprise de l’emploi jusqu’en 2022 n’a pas fait baisser la pauvreté
Si le chômage repart à la hausse aujourd’hui, sa baisse entre 2015 et 2022 n’a pas endigué la pauvreté. Entre 2015 et 2022, le taux de chômage a baissé de trois points en France, passant de 10,3% à 7,3%. Mais la pauvreté ne s’est pas érodée, constate une étude publiée en mai par le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE), placé auprès de Matignon. Durant cette période, le taux de pauvreté monétaire et le taux de privation matérielle et sociale sont restés à un niveau élevé (12,4% en 2022). Et la part des personnes se considérant comme pauvres a nettement augmenté, passant de 12,4% à 18,7%. Pour les actifs, de nombreux emplois créés n’ont pas entraîné une sortie de la pauvreté
, explique le CNLE, qui pointe une multiplication des contrats temporaires, du travail précaire donc, ou du travail en micro-entrepreneur. Depuis 2021, par la crise de l’inflation, notamment avec la flambée du coût de l’énergie et de l’alimentation, les actifs les plus fragiles ont vu leur situation se dégrader, en particulier les employés à temps partiel ou en CDD, mais aussi les apprentis, note encore l’étude.
Avec l’inflation, les salaires ont décroché, et les retraités ont trinqué aussi
Les études l’attestent : les augmentations salariales, négociées d’arrache-pied, n’ont pas su compenser la crise de l’inflation. Le pouvoir d’achat des salariés a donc décroché. En 2023, du fait d’une inflation encore forte (+4,9% en 2023, après +5,2% en 2022), le salaire net moyen a diminué de 0,8% en euros constants, après un recul de 1,0% en 2022, d’après l’Insee. La situation des retraités s’est aussi dégradée. Bien qu’inférieur à celui de l’ensemble de la population, le taux de pauvreté des retraités est en hausse depuis 2017 et s’établissait à 10,8% en 2022
, souligne le CNLE. La pension moyenne a baissé en euros constants (de 2,6% pour la pension brute et de 3,2% pour la pension nette entre 2017 et 2022). Les revalorisations ont été inférieures à l’inflation dans certains régimes complémentaires, explique le CNLE. Et la revalorisation des pensions de base limitée à la seule indexation à l’inflation (selon des données calculées sur l’année précédente) a aussi fait diminuer le pouvoir d’achat des retraités.
Le fléau persistant du temps partiel
En 2022, 1,1 million de travailleurs avaient toujours un niveau de vie inférieur au seuil de pauvreté, soit environ 4% des personnes en emploi. D’après la Dares, la moitié des salariés pauvres sont à temps partiel.
La qualité de l’emploi est pour FO un des nombreux thèmes qui nécessitent une négociation, avec l’objectif de limiter réellement le recours aux contrats précaires à temps partiel. Car ces salariés pauvres (plus de la moitié sont des femmes) peinent à s’extirper de la pauvreté inhérente à cette précarité de l’emploi. Dans une étude parue l’an dernier, l’Insee observait qu’en 2019, la moitié de ces salariés vivant sous le seuil de pauvreté travaillaient moins de 755 heures par an, dans la vente, l’aide à domicile ou le nettoyage. Un recul dans le temps permet de constater que leur situation ne s’est pas améliorée. En effet, la moitié des salariés pauvres de 2011 étaient toujours dans les mêmes difficultés huit ans plus tard…
Pour les travailleurs pauvres ou précaires, les minima sociaux sont donc un filet essentiel. La Drees souligne d’ailleurs que fin 2020, un allocataire du RSA sur six avait un emploi. Et que trois sur cinq travaillaient à temps partiel. Alors que cette prestation sociale est la cible du gouvernement (la réforme en vigueur depuis le 1er janvier acte la possibilité de la suspension du RSA en cas de non-respect du contrat d’engagement de quinze heures d’activité hebdomadaire), FO, qui conteste actuellement le barème de sanctions, rappelle son opposition à tout conditionnement du RSA, qui ne fera qu’accentuer la pauvreté.
Où habitent les gens pauvres en France ?
La pauvreté en France est diversement présente selon les régions. Sans surprise, elle touche en premier les territoires ultramarins : à la Réunion, le taux de pauvreté de la population était de 36,1% en 2021 selon l’Insee. Et de 26,8% en Martinique. Suivent les Hauts-de-France (18 %), l’Occitanie (17,5%) et la Provence-Alpes-Côte d’Azur (17,4%). La région Île-de-France, pourtant locomotive économique, arrive juste derrière : 16,1% de Franciliens vivaient sous le seuil de pauvreté en 2021. Sur le plan géographique, les villes et les banlieues, qui proposent plus d’emplois mais aussi plus de logements sociaux, concentrent une forte pauvreté : plus de 60% des personnes pauvres habitent dans des pôles urbains regroupant 10000 emplois. D’après l’Insee, le taux de pauvreté est plus faible dans les milieux ruraux (14,9% en 2021). Reste que leurs habitants y sont confrontés au manque d’accès aux soins et aux services publics, pointait le Baromètre de la pauvreté et de la précarité (Secours populaire) de 2024.
La plaie du mal-logement
C ôté logement, la réalité de la pauvreté c’est d’abord 4 millions de mal-logés, selon le rapport 2024 de la Fondation pour le logement des défavorisés. Ce chiffre inclut 330 000 personnes sans domicile et vivant à la rue, en hôtel social ou en centre d’hébergement, et 643 000 personnes contraintes de vivre chez un tiers. Il comprend aussi 1 128 000 individus habitant un logement surpeuplé et 100 000 occupants d’un logement de fortune
(camping, cabane, etc.). Enfin, 1,8 million de citoyens vivent dans un logement inconfortable (soumis à l’absence d’eau courante, de WC intérieurs ou de coin cuisine, équipé d’un chauffage défaillant ou protégé par une façade très dégradée, un de ces critères n’excluant malheureusement pas les autres).
Pour la fondation, la persistance d’un tel niveau de mal-logement est d’autant plus problématique que notre pays est parmi les plus riches au monde
. Et la situation risque de ne pas s’arranger puisque des données, communiquées par les commissaires de justice en février 2025, rapportent une augmentation alarmante des expulsions (+ 87% entre 2023 et 2024).
Quelque 13% de Français en situation de privation matérielle et sociale
Le préambule de la Constitution de 1946, repris dans celui de 1958, précise : La nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement.
Un principe durement mis à l’épreuve par la persistance de la pauvreté, voire de la misère.
Ainsi, selon l’Insee, en France, 13% de la population est en situation de privation matérielle et sociale. C’est-à-dire qu’environ 8,6 millions de personnes ne peuvent pas couvrir au moins cinq des treize besoins considérés comme souhaitables, voire nécessaires à un niveau de vie correct (possession de deux paires de chaussures, dépenser une petite somme librement, s’acheter des vêtements neufs, se payer une voiture, avoir un accès Internet à domicile...).
Chômeurs, ouvriers, familles monoparentales…
Si cette proportion baisse légèrement par rapport à 2023 (elle était alors de 13,6%), elle reste néanmoins le double de ce qui était calculé dix ans plus tôt (6%). La privation matérielle et sociale touche en priorité les chômeurs (35%). Et parmi les personnes en emploi elle concerne avant tout les ouvriers (16,1%) et les employés (14,1%). Par ailleurs, les personnes vivant dans une famille monoparentale (26,7%) sont davantage affectées.
Ainsi, de nos jours, 12% des Français ne peuvent pas chauffer leur logement suffisamment, une proportion qui a doublé en dix ans ; 10% ne sont pas en mesure de consommer des protéines (viande, poisson...) au moins un jour sur deux et 10,2% ne peuvent payer à temps loyers et factures.
L’alimentation recalée en troisième position des postes de dépenses
Quelque 30% des Français rencontrent des difficultés à se procurer une alimentation saine permettant trois repas par jour (contre 21% en 2018), estime le Baromètre 2024 de la pauvreté et de la précarité (Secours populaire).
Et c’est le cas de 61% des personnes dont le revenu est inférieur à 1 200 euros mensuels. Une proportion de 32% de Français ne font plus trois repas par jour du fait de l’inflation (même si celle-ci marque un recul après l’envolée des prix des années 2022 et 2023) et 33% restreignent leur consommation alimentaire pour préserver celle de leurs enfants. Le Crédoc (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie) estimait quant à lui en 2023 que 10% des Français ne mangeaient pas toujours suffisamment.
53% des travailleurs pauvres ne mangent pas à leur faim
Entre 2019 et 2023, le nombre de personnes recourant aux banques alimentaires a bondi de 35%.
Et parmi ces nouveaux bénéficiaires, la catégorie qui augmente le plus est celle des travailleurs pauvres. Si 24% des usagers de ces réseaux sont sans emploi, 22% sont en poste (dont près de la moitié à temps plein) et 20% sont des retraités.
Pas étonnant si l’on a connaissance des données récentes issues d’un sondage de l’ANDES (réseau national des épiceries solidaires). Celui-ci révèle que 53% des travailleurs pauvres ne mangent pas à leur faim, 40% sautent régulièrement des repas et 60% disent ne pas réussir à nourrir leurs enfants correctement.