Le lien de subordination est le critère prééminent permettant de conclure à l’existence d’une relation de travail. Bien souvent, c’est de lui dont les parties débattent dans les contentieux de la requalification du contrat de travail. Ce contentieux a connu une tournure d’importance avec le désormais célèbre arrêt Take Eat Easy (Cass. soc., 28-11-18, n°17-20079) qui a reconnu l’existence d’un contrat de travail entre un travailleur non salarié, et une plateforme numérique.
C’est qu’en effet, la frontière peut parfois être fine entre contrat de travail et contrat de prestation de services, surtout quand la dépendance à une plateforme d’un travailleur indépendant devient trop prégnante.
C’est de cette question que la Cour de cassation a eu à connaître dans une décision publiée du 13 avril 2022 (n°20-14870).
Un chauffeur VTC signe un contrat de location longue durée d’un véhicule, ainsi qu’un contrat d’adhésion à une plateforme de VTC « Le Cab ». La société rompt le contrat, et le chauffeur saisit le conseil des prud’hommes. Il souhaite que le contrat soit requalifié en contrat de travail.
En appel, les juges font droit à sa demande. La cour d’appel retient en effet que le chauffeur « n’avait pas le libre choix de son véhicule », et qu’en outre, il y avait interdépendance entre les contrats de location et d’adhésion à la plateforme
.
Elle retient également que le chauffeur devait actionner un GPS qui permettait à la société de localiser, en temps réel, chaque véhicule connecté, de manière à procéder à une répartition […] des courses, en termes de temps de prise en charge de la personne à transporter et de trajet à effectuer, et d’assurer ainsi un contrôle permanent de l’activité du chauffeur
. On note ici que cet argument avait aussi été retenu par la Cour de cassation dans l’arrêt Take Eat Easy.
Enfin, elle relève que la plateforme disposait d’un système de notation des chauffeurs, ce qui était selon elle de nature à caractériser un pouvoir de sanction.
Elle conclut donc à l’existence d’un contrat de travail entre le chauffeur et la plateforme.
Au regard des conditions d’exécution du contrat, il est vrai que l’application disposait d’une certaine latitude pour prendre des mesures unilatérales qui s’imposaient au chauffeur.
Mais était-ce suffisant pour caractériser un contrat de travail ?
La réponse de la Cour de cassation est négative. Elle rappelle qu’en application de l’article L 8221-6 du code du travail, les personnes physiques immatriculées dans un registre sont présumées ne pas être liées par un contrat de travail avec le donneur d’ordre. Cette présomption peut être renversée en rapportant la preuve de l’existence d’un lien de subordination juridique permanente.
Le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné. Peut constituer un indice de subordination le travail au sein d’un service organisé lorsque l’employeur en détermine unilatéralement les conditions d’exécution.
Dès lors, la Cour de cassation considère que la cour d’appel, qui n’a pas constaté que la plateforme avait adressé au chauffeur des directives sur les modalités d’exécution du travail, et qui n’avait pas non plus retenu que la plateforme disposait du pouvoir d’en contrôler le respect et d’en sanctionner l’inobservation, ne peut conclure à l’existence d’un lien de subordination juridique, et par extension, à un contrat de travail. La Haute juridiction casse et annule l’arrêt des juges du fond.
Cette décision est un appel de la Cour de cassation à faire preuve de rigueur dans le contentieux de la requalification des contrats des travailleurs des plateformes numériques. Dans le contexte des élections professionnelles des travailleurs de plateforme, cette piqûre de rappel n’est pas inutile : la requalification du contrat n’est pas automatique !