Huit mois après l’élection du président Donald Trump, quel est votre bilan sur le plan économique et social ?
Richard Trumka : Le problème est qu’année après année, campagne après campagne, les travailleurs et les travailleuses américains se sont vu promettre la lune par les politiciens, les Républicains comme les Démocrates. Trop souvent, ces promesses sont restées lettre morte. Les slogans des années électorales sont souvent aussi vite abandonnés qu’ils ont été fabriqués. J’avais dit au président Trump que cela devait être différent cette fois-ci. Lors de notre entrevue en janvier, malgré mon soutien à la candidature d’Hillary Clinton, nous avions identifié quelques domaines dans lesquels un compromis semblait possible. M. Trump parlait notamment de consacrer mille milliards de dollars aux infrastructures, pour reconstruire les écoles, les routes et les ponts. Il mettait au défi les entreprises de garder les emplois aux États-Unis. Il promouvait le « Achetez Américain ». Il promettait de renégocier le NAFTA (North American Free Trade Agreement : Accord de libre-échange nord-américain). Neuf mois plus tard, les faits parlent d’eux-mêmes. Il n’y a pas trace des 1 000 milliards de dollars promis et même si M. Trump avançait un tel plan, sa propre proposition de budget effacerait tout et se traduirait par une perte nette de 55 milliards de dollars pour le réseau routier, l’approvisionnement en eaux et le transport public. Par ailleurs, le président est resté silencieux sur le sort réservé au Davis-Bacon Act. Cette loi de 1931, que beaucoup voudraient voir remise en cause, oblige les entreprises du bâtiment sous contrat avec le gouvernement fédéral à appliquer un niveau de rémunération (salaires et avantages sociaux), fixé par le ministère du Travail, qui ne soit pas inférieur à celui de l’État où le travail est effectué. Quant à la renégociation du NAFTA , l’administration du président a indiqué dans une lettre au Congrès qu’il se s’agirait que d’ajustements mineurs.
Qu’en est-il de la protection sociale ?
Richard Trumka : Alors que le Président Trump avait promis qu’il protègerait le filet de sécurité sociale existant, son budget programme des coupes de 1 700 milliards de dollars sur dix ans dans les programmes sociaux à destination des plus pauvres. Medicaid (assurance maladie pour les plus démunis) va perdre au moins 800 milliards et Medicare (assurance maladie pour les plus de 65 ans) 59 milliards. De plus, le budget de la prévention en matière de sécurité au travail devrait diminuer de 40%, alors qu’environ 150 travailleurs meurent chaque jour du fait de conditions de travail dangereuses. Il faut ajouter à tout cela que les salaires des fonctionnaires devraient baisser de 6% et que le président Trump soutient le projet des Républicains de détruire l’accès pour tous aux soins de santé et d’augmenter les impôts des travailleurs pour remplir les poches des riches.
Le président Trump a dû dissoudre le conseil de l’Industrie, instance créée pour le conseiller, après la démission de plusieurs P-DG, mais aussi la vôtre. Que s’est-il passé ?
Richard Trumka : Pour être clair, ce conseil n’a jamais été à la hauteur de son potentiel pour délivrer des conseils qui auraient amélioré la vie des travailleurs et de leurs familles. En réalité, il ne s’est pas réuni une seule fois, même s’il se composait de quelques-uns des représentants du sommet du monde des affaires et de leaders syndicaux. Le but de l’AFL-CIO était de faire entendre la voix des travailleurs autour de la table et de défendre les initiatives industrielles dont notre pays a désespérément besoin. Mais au final, ce conseil n’a été qu’une promesse non tenue de plus. Les propos du président Trump, après les actes de violence des suprématistes blancs à Charlottesville ont été la goutte d’eau de trop. Nous, le monde du travail, refusons de banaliser le fanatisme et la haine. Et nous ne pouvons pas en bonne conscience tendre la main à ceux qui les approuvent.
Vous avez récemment déclaré qu’il existait deux fractions au sein de l’administration américaine actuelle, qu’entendez-vous par là ?
Richard Trumka : Je veux préciser d’emblée qu’aucune des deux n’est bonne pour les travailleurs. La fraction qui a soutenu Trump sur la base de la suprématie blanche et de convictions racistes cherche à diviser notre pays avec un discours de haine. L’autre fraction de l’administration représente les intérêts de Wall Street, des entreprises et des grandes fortunes, comme le prouvent le programme de déréglementation et le débat sur les impôts au profit des compagnies et des grandes fortunes. Il est clair qu’il n’y a pas de fraction forte dans ce gouvernement qui se soucie réellement de ce dont ont besoin les travailleurs pour avoir une vie digne. Le résultat est que le seul record de Trump aujourd’hui est une combinaison de promesses rompues, d’attaques directes et dangereuses, de propos de division. C’est pourquoi nous nous sommes opposés à lui pendant sa campagne. Et c’est pourquoi il perd chaque jour le soutien de ceux de nos membres qui ont pu croire que ce serait différent avec lui.