Un bac ou des bacs ? L’hypocrisie d’une réforme

Education nationale par Evelyne Salamero

© Nicolas TAVERNIER/REA

En complément à la réforme de l’accès à l’université, le gouvernement prépare un projet de réforme du baccalauréat, qui sera présenté le 14 février en Conseil des ministres. D’ici là, le ministre Jean-Michel Blanquer lance une concertation sur la base du rapport Baccalauréat 21, présenté le 24 janvier par Pierre Mathiot, professeur des universités. La FNEC-FP FO (enseignement, culture et formation professionnelle) sera reçue le 1er février… Jour de la mobilisation contre les deux réformes à l’appel de la majorité des organisations enseignantes, dont FO, et des principaux syndicats étudiants et lycéens.

Nous avons pu constater durant les auditions d’acteurs très différents du monde scolaire qu’il existait un attachement important au caractère national du baccalauréat, incarné notamment par l’anonymat des corrections et la production nationale des sujets, ce que l’on appelle ailleurs des formes de standardisation, peut-on lire dans le rapport Baccalauréat 2021 remis au ministre de l’Education par Pierre Mathiot.

Pour répondre à cette préoccupation, le ministre et l’ex-directeur de Sciences-Po Lille ont beaucoup insisté lors de la présentation du rapport à la presse le 24 janvier et c’est d’ailleurs affirmé à plusieurs reprises dans le document : le baccalauréat doit rester un diplôme national et il doit garder son double statut de diplôme de fin d’études secondaires et de premier grade de l’enseignement supérieur.

Soit. Mais, Nous ne croyons pas que le nouveau lycée puisse être construit à partir d’un cadre national détaillé, peut-on lire aussi dans le rapport de M. Mathiot. Entre autres choses…

Le contrôle continu : 40% de la note du bac possiblement soumis à l’arbitraire local ?

M. Mathiot propose que le contrôle continu, sur la base des résultats obtenus en première et terminale, compte à hauteur de 40% dans la note du Bac. Cela devrait se faire, soit en prenant en compte les résultats d’épreuves ponctuelles, soit en prenant en compte ces résultats et les bulletins de classe, soit en ne prenant en compte que les bulletins.

Comment garantir l’anonymat des élèves et l’objectivité des examinateurs dans le cadre de ce contrôle continu ? Comment les sujets seraient-ils choisis et par qui ? Qui définirait les barèmes de correction ?

Pierre Mathiot reconnaît lui-même la nécessité de définir des principes permettant de garantir le respect de l’équité dans l’évaluation et d’éviter des formes d’arbitraire.

Faut-il rappeler la différence entre la notion d’équité et l’égalité de traitement ? L’équité repose avant tout sur des critères subjectifs ne découlant en aucun cas du droit en vigueur, alors qu’au contraire l’égalité de traitement est celle des citoyens égaux en droits et soumis aux même obligations selon la loi.

Des « partenaires extérieurs » impliqués dans l’organisation des épreuves de contrôle continu ?

En guise d’équité donc, le rapport remis au ministre propose notamment l’organisation d’épreuves ponctuelles à partir de banques nationales de sujets proposant également des barèmes de correction. À partir de, proposant… Autant dire que les établissements pourront, s’ils le souhaitent, y piocher les sujets et les barèmes de leur choix et que par conséquent les épreuves seront de toutes les façons différentes d’un lycée à l’autre, ou d’un bassin d’établissements à l’autre, puisque le rapport les évoque aussi.

Il est d’ailleurs également indiqué que le conseil pédagogique de chaque établissement jouera un rôle l’organisation de ces épreuves ponctuelles, en servant le cas échéant, d’instance d’arbitrage et qu’il serait judicieux qu’il soit fait plein usage de ce que prévoit déjà le Code de l’Education, à savoir l’association au conseil pédagogique de toute personne dont la consultation est jugée utile en fonction des sujets traités et des caractéristiques de l’établissement. L’auteur du rapport prend néanmoins la peine de préciser qu’outre les parents d’élèves et les élèves, cela devrait concerner aussi les partenaires extérieurs du lycée.

Un grand oral sur des critères locaux

Le rapport propose deux épreuves en fin de terminale qui auraient le même poids dans le résultat final pour tous les lycéens, les trois filières actuelles (Lettres, Sciences et Sciences économiques et sociales) étant supprimées.

Il s’agirait d’une épreuve écrite de philosophie qui compterait pour 10% dans le résultat global et d’un grand oral, qui porterait sur des sujets pluridisciplinaires précisément définis localement dans le cadre d’une liste nationale de « thèmes » généraux, et dont la note pèsera pour 15%.

Le jury de ce grand oral se composerait de trois personnes, dont deux enseignants de lycée. Les conditions de désignation de la troisième personne restent à préciser, indique le rapport. S’agira-t-il là encore d’un partenaire extérieur ?

Tous les lycéens auront aussi une épreuve de français, toujours anticipée, en fin de première. Elle pèserait pour 10% dans le résultat final, comme la philosophie, soit 5% de moins moins que le grand oral.

Deux autres épreuves anticipées seraient introduites, à passer certes en terminale mais immédiatement après les vacances de printemps de façon à ce que les lycéens puissent en intégrer les résultats sur Parcoursup et que les universités puissent ainsi en tenir compte dès le mois de mai dans leur sélection.

Ces deux épreuves anticipées porteraient sur deux matières formant une majeure. Choisies par l’élève, elles feraient l’objet d’un enseignement approfondi dès la seconde.

Les conseils d’administration de chaque lycée pourraient proposer leurs propres disciplines majeures, avec une juste prise en compte des singularités des territoires.

Des majeures possiblement différentes selon les lycées en fonction des particularités socio-économiques locales, des épreuves ponctuelles de contrôle continu et des sujets du grand oral définis localement… Comment dans ces conditions peut-on prétendre que le BAC reste un diplôme national, dénonce le Syndicat national FO des Lycées et collèges ? (SNFOLC)

Vous avez dit « simplifier » ?

Accusant le bac d’être un monstre organisationnel sous sa forme actuelle, le rapport Mathiot affiche un objectif de simplification, loué par le ministre lors de sa présentation.

Mais un nouveau bac suppose une nouvelle organisation du lycée et à partir de là, on peut plutôt dire que les choses se compliquent encore plus…

Si le ministre a bien pris soin d’indiquer lors de la présentation du rapport qu’on ne parlait que de la réforme du bac et que celle du lycée viendrait plus tard, le document de M. Mathiot n’en fait pas moins une série de propositions, et non des moindres, pour bâtir le lycée de demain.

De toutes les façons, pour que la réforme du Bac puisse s’appliquer en 2021 comme prévu, les premiers changements qu’elle induit en classe de seconde doivent intervenir dès la rentrée prochaine, a expliqué le ministre lui-même.

Le rapport Mathiot propose donc de supprimer les trois filières actuelles (Lettres, Sciences, Sciences économiques et sociales) et de les remplacer par une architecture en trois unités dès l’entrée en seconde.

Quand on ne parle plus de connaissances mais de compétences

La première unité, dite unité générale, serait ce qu’on appelle un tronc commun. Elle regrouperait les enseignements suivis par l’ensemble des élèves : français, histoire-géographie, enjeux du monde contemporain, anglais, langue vivante, sciences économiques et sociales, mathématiques-informatique, sciences (physique-chimie et sciences de la vie et de la terre), Education physique et sportive.

L’objectif est que l’ensemble des élèves soient acculturés et formés à un ensemble de compétences dont la maîtrise minimale apparaît comme un élément de base d’une culture commune en même temps qu’une ressource de culture générale pouvant correspondre aux attendus de l’enseignement supérieur. Des attendus mis en place par la réforme de l’accès à l’université, eux aussi définis localement par les universités.

Cinq domaines de compétences sont listés comme plus particulièrement nécessaires à tous les lycéens : l’ancrage historique et territorial, les sciences, la langue, l’international, le corps et la réflexion sur le monde…

Pourquoi coupler les mathématiques et l’informatique ? Pourquoi regrouper la physique-chimie et les Sciences et vie de la terre (SVT) en une seule matière Science ? Qu’entend-on par ancrage historique et territorial et réflexion sur le monde contemporain ? Autant d’interrogations qui inquiètent déjà les enseignants et les élèves, d’autant que le ministre a indiqué lors de la présentation du rapport qu’il faudrait que les programmes évoluent

Spécialisation accélérée dès la seconde

La deuxième unité, l’unité d’approfondissement et de complément serait organisée en une majeure composée de deux disciplines, deux mineures obligatoires et une mineure optionnelle, toutes choisies par l’élève dans le panel qui lui sera proposé par son établissement, et ce dès la seconde.

Le rapport ne préconise pas la fin de la seconde générale, mais de fait ses propositions conduisent à une spécialisation précoce et accélérée.

Durant le premier semestre de la première année de lycée, puisque les trimestres sont supprimés, autour de 25 heures de cours hebdomadaires seraient consacrées à un enseignement identique pour tous, dans le cadre de l’unité générale. Puis, on tomberait à 19 heures au deuxième semestre pour pouvoir augmenter le temps consacré aux enseignements différenciés en fonction des majeures et mineures choisies par les élèves.

Cette évolution se poursuivrait en s’accentuant en première et terminale, puisqu’on tomberait respectivement à 15 heures puis 12 heures d’enseignement général, en première puis en terminale.

25 000 suppressions de postes à la clé ?

En revanche le nombre d’heures consacrées à chaque discipline de l’unité générale, le tronc commun, n’est absolument pas indiqué dans le rapport qui se prononce pour que chaque établissement devienne encore plus autonome, notamment dans l’utilisation de sa dotation horaire globale.

Avec un tel scénario, aucun horaire disciplinaire n’est plus garanti, ce qui menace des milliers de postes alerte le SNFOLC qui fait état de premières estimations évaluant à 25 000 le nombre de postes vouées à disparaître dans le cadre de cette réforme.

Le syndicat FO dénonce aussi la menace d’une forte dégradation des conditions de travail des enseignants due au risque de voir se multiplier les compléments de service au gré des choix locaux. Le rapport propose en effet d’organiser des réseaux d’établissements, c’est-à-dire de mutualiser des moyens déjà fortement réduits –puisque 2 600 postes aux concours ont été supprimés à la rentrée 2018– pour pouvoir proposer davantage de majeures aux lycéens. Les enseignants devraient alors travailler sur plusieurs établissements.

La crainte des personnels est renforcée par le fait que l’auteur du rapport appelle à accepter de dépasser ce qui constitue aujourd’hui presque la seule unité de compte du lycée, à savoir l’heure de cours, qu’il propose une annualisation du temps de travail des enseignants et qu’il estime qu’un maintien de leur statut national aurait bien sûr pour conséquence d’amoindrir la liberté de choix des élèves.

Autre problème : les lycéens pourraient décider de changer de majeures et de mineures d’un semestre à l’autre ou d’une année sur l’autre, le risque étant que de se trouver avec des élèves de niveaux différents dans la même classe. La difficulté d’enseigner correctement dans ces conditions est évidente, en particulier dans des classes surchargées, et cela pourrait conduire à une baisse du niveau général des élèves.

Une orientation sous influence des élus et des employeurs ?

La troisième unité de la nouvelle architecture du lycée proposée par le rapport Mathiot serait consacrée à l’accompagnement des lycéens en termes d’orientation, de projets et de méthodes. Son volume horaire serait de deux heures par semaine en seconde et de trois heures en première et terminale.

Encore une fois le rapport encourage à s’appuyer sur des partenaires extérieurs, se faisant même plus précis en appelant à systématiser la contribution de l’enseignement supérieur, des conseils régionaux et des mondes professionnels à l’objectif d’orientation des lycéens.

Le Syndicat FO du secondaire appelle à la grève le 1er février

Comment ne pas faire le lien ? Au moment où la réforme de l’accès à l’université introduit une sélection sur la base d’attendus de compétences différents d’une université à l’autre, une autre se prépare pour que l’obtention du Bac dépende aussi de critères locaux qui puissent répondre aux desiderata des universités. Des desiderata d’autant plus élitistes que leurs budgets sont serrés et que leurs capacités d’accueil s’amoindrissent.

Très logiquement, les fédérations FO, CGT, la FSU, Sud, ainsi que les organisations étudiantes et lycéennes UNEF, Solidaires étudiants, SGL, UNL et UNLSD, appellent donc à une mobilisation, y compris par la grève, le 1er février, à la fois pour l’abandon du plan étudiant et pour le maintien du baccalauréat comme diplôme national et premier grade universitaire garantissant l’accès de tous les bacheliers sur tout le territoire aux filières post bac et aux établissements de leur choix.

Pour FO, à commencer par le syndicat du secondaire, ce sera la grève, pour, résument les enseignants FO défendre le baccalauréat, nos disciplines, nos postes, notre statut et l’avenir de nos élèves.

Evelyne Salamero Ex-Journaliste à L’inFO militante

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