Un géant du Tour de France

Tour de France 2021 par Baptiste Bouthier, L’inFO militante

© Patricia Le Callennec

Classique de la Grande Boucle, le Mont Ventoux est mis à l’honneur cette année par une double ascension lors de la 11e étape. L’occasion de revenir sur les grands moments du Mont chauve, qui ont marqué l’histoire de l’épreuve.

Le Ventoux et… les champions

Avant 2021, les coureurs du Tour de France ont eu à grimper jusqu’aux 1 910 mètres du Mont Ventoux à seize reprises, la plupart du temps par son versant sud, le plus difficile, depuis Bédoin. Mais en 1951, lors de la toute première apparition du sommet provençal sur le parcours de la Grande Boucle, c’était le versant nord, celui de Malaucène, qui était au programme.

Au sommet, Lucien Lazaridès laisse son nom comme celui du premier à avoir dompté le Géant de Provence, mais c’est Louison Bobet qui remporte l’étape un peu plus loin, à Avignon. Le jeune Breton prend date : il remportera ensuite le Tour de France trois fois (1953, 1954 et 1955). Quelques années plus tard, en 1958, le Ventoux est l’occasion d’une innovation : le premier contre-la-montre en montée. De Bédoin au sommet, Charly Gaul l’emporte en à peine plus d’une heure et relègue tout le monde (sauf Bahamontès) à trois minutes ! Une semaine plus tard, il remportera le Tour et gagnera à jamais son surnom d’« ange de la montagne ».

Bien d’autres champions du Tour profiteront de ces pentes pour réaliser des numéros du même ordre. Des décennies après Gaul, Chris Froome y réalisera l’une de ses démonstrations les plus fracassantes lors de l’édition 2013, maillot jaune sur les épaules. Des légendes du Tour comme Jean Robic, Eddy Merckx, Bernard Thévenet ou encore Marco Pantani ont également levé les bras là-haut.

Le Ventoux et… les éléments

L’étymologie du Mont chauve demeure incertaine : « Ventoux » signifie-t-il « qui se voit de loin » ou « venteux » ? Les deux lui conviennent, tant le Mont Ventoux se dresse isolé au milieu du Vaucluse et peut parfois être ballotté par le mistral. Le paysage lunaire des derniers kilomètres d’ascension, où la végétation est quasi absente, est magnifique à voir mais souvent terrible pour les coureurs qui peuvent y être écrasés par la chaleur, surtout en plein juillet.

En 1970, déjà en jaune depuis une semaine, Eddy Merckx file vers son deuxième succès sur le Tour et le Ventoux est alors l’occasion de faire étalage de sa domination. Mais la fournaise épuise les organismes et les derniers kilomètres sont interminables pour le Belge. Il s’impose mais, peu après la ligne, il est victime d’un malaise alors qu’il répond aux journalistes et est transporté dans une ambulance où on le met quelques minutes sous assistance respiratoire afin qu’il retrouve ses esprits.

Le vent est un invité habituel aussi, au point parfois de perturber l’épreuve. En 2016, l’arrivée est ainsi déplacée du sommet au lieu-dit Chalet Reynard, six kilomètres plus bas, en raison des rafales terribles qui soufflent. La décision a pour conséquence d’agglutiner le public sur une distance plus réduite : à deux kilomètres de l’arrivée, une moto est bloquée par la foule trop nombreuse et fait tomber trois coureurs, dont le maillot jaune Chris Froome. Son vélo inutilisable, le Britannique décide… de courir à pied dans rl’ascension pour perdre le moins de temps possible ! Une image entrée dans la légende du Tour.

Le Ventoux et… le dopage

Si l’histoire du Tour de France a été marquée par plusieurs affaires de dopage, le Mont Ventoux a été le théâtre d’irruptions tragiques du sujet, probablement parce que sa difficulté rare pousse les organismes des coureurs à l’extrême limite. En 1955, c’est d’ailleurs l’ascension du Mont chauve qui fait émerger le sujet – on parle alors de « doping » – au sein du peloton. Le grimpeur breton Jean Malléjac s’effondre inconscient sur le bas-côté, à une dizaine de kilomètres du sommet, victime d’un étrange malaise (dont il mettra du temps à se remettre) dû à l’absorption d’un produit dopant. « Les coureurs ont été terriblement ébranlés par la dramatique défaillance dont fut victime Malléjac, écrit L’Équipe quelques jours plus tard. Selon les renseignements obtenus ici et là, tous ceux qui étaient en possession “d’explosifs” s’en sont débarrassés sans plus attendre. […] Les coureurs semblent donc avoir compris combien l’usage du doping pouvait être dangereux. »

Un vœu pieux : douze ans plus tard, au même endroit ou presque, c’est à nouveau l’effet conjugué du dopage et de la chaleur qui va faire vaciller Tom Simpson. à la lutte avec les meilleurs dans l’ascension, le Britannique, sous un soleil de plomb, se met à zigzaguer, le regard vide, le teint livide. Puis il s’écroule dans la pierraille, à moins de deux kilomètres du sommet, aussitôt secouru par un spectateur puis, bientôt, un médecin de la course. Tout est fait pour le sauver mais Simpson décède sur place. « Je voyais qu’il était déjà mort, dira le médecin du Tour Pierre Dumas. La tension ne montait pas. C’était fini. J’avais trouvé dans son maillot des tubes contenant des amphétamines. Je les ai donnés aux gendarmes, après la justice les a récupérés. » Deux tubes vides, un troisième rempli de produits dopants. Les contrôles antidopage systématiques à l’arrivée des étapes seront mis en place à partir de l’année suivante. Et une stèle à la mémoire de Tom Simpson est toujours visible aujourd’hui sur les pentes du Ventoux, non loin du lieu du drame.

Le Ventoux et… les Français

Proposé neuf fois comme arrivée d’étape sur le Tour, le Mont Ventoux a vu à quatre reprises des coureurs français lever les bras. Le premier d’entre eux fut Raymond Poulidor, en 1965, qui signe alors l’une de ses plus belles victoires sur la Grande Boucle. Il échoue à s’emparer du maillot jaune, mais celui-ci lui semble promis à terme : à une semaine de Paris, le Géant de Provence a fait de lui le grand favori du Tour. Las, l’Italien Felice Gimondi, jeune néophyte de 22 ans, le privera du succès final ou même du bonheur d’enfiler le maillot jaune, que Poulidor n’aura jamais porté de sa carrière…

En 1972, c’est Bernard Thévenet qui l’imite puis, en 1987, Jean-François Bernard à son tour grâce à un succès inattendu lors du contre-la-montre qui va de Carpentras au sommet du Ventoux. Plus fort que Roche, Herrera ou Delgado, Bernard s’empare du maillot jaune par la même occasion et se pose en favori pour la victoire finale. Mais dès le lendemain, il est piégé dans le Vercors et perd sa tunique, qu’il ne retrouvera plus…

Enfin, le dernier vainqueur français au Ventoux s’appelle Richard Virenque, en 2002. Revenu de suspension, l’idole du public signe son retour sur l’épreuve en y remportant l’une de ses victoires les plus prestigieuses au terme d’une longue échappée. Près de vingt ans plus tard, aura-t-il un successeur en 2021 ?

Baptiste Bouthier

L’inFO militante Le bimensuel de la Confédération