Un nouveau cap est franchi dans la réparation du préjudice d’anxiété

Divers par Patricia Drevon, Secteur des Affaires juridiques

Le préjudice d’anxiété lié à l’exposition du salarié à l’amiante (ou une autre substance toxique) est constitué par l’ensemble des troubles psychologiques qu’engendre la connaissance de ce risque par les salariés.

La seule exposition au risque ne serait, en revanche, suffire (Cass. soc., 2-7-14, n°12-29788 à n°12-29801 ; Cass. soc., 15-12-21, n°20-15878 ; Cass. soc., 9-2-22, n°20-18420 à n°20-18431).

En 2010 (Cass. soc., 11-5-10, n°09-42241), l’indemnisation du préjudice d’anxiété est ouverte aux travailleurs exposés à l’amiante éligibles à l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante (Acaata). En 2019, la Cour de cassation élargit cette indemnisation aux salariés non éligibles au dispositif Acaata (Cass. Ass. Plén., 5-4-19, n°18-17442). Par la suite, la Cour de cassation a permis à l’ensemble des salariés, justifiant d’une exposition à une substance nocive ou toxique générant un risque élevé de développer une pathologie grave, d’obtenir réparation du préjudice d’anxiété (Cass. soc., 11-9-19, n°17-24879).

Le fait que le salarié relève (ou non) du dispositif Acaata a désormais un enjeu d’ordre probatoire : Le préjudice d’anxiété des salariés éligibles au dispositif Acaata est dit « automatique » de sorte qu’il n’a pas à être prouvé (Cass. soc., 11-5-10, n°09-42241 ; Cass. soc., 3-3-15, n°13-20486 ; Cass. soc., 9-12-20, n°19-10988 ; Cass. soc., 30-9-20, n°19-19698). Mais, pour l’heure, la Cour de cassation refuse d’étendre cette présomption de préjudice aux salariés ne relevant pas du dispositif Acaata, ce qui est malheureux puisque la preuve du préjudice n’est pas toujours aisée à apporter.

Par un nouvel arrêt du 8 février dernier, publié au rapport annuel, la Cour de cassation a franchi un nouveau cap (Cass. soc., 8-2-23, n°21-14451).

Désormais, rien n’interdit au salarié d’agir contre son employeur en réparation d’un préjudice distinct du préjudice d’anxiété, causé par une faute autre (que le manquement à l’obligation de sécurité).

En l’espèce, l’employeur, qui avait bénéficié d’une dérogation l’autorisant à utiliser de l’amiante jusqu’au 31 décembre 2001 malgré l’interdiction de ce produit, avait continué à en faire usage en toute illégalité au-delà de cette date, et ce, pendant quatre années.

La cour d’appel, confirmée par la Cour de cassation, a fait droit à la demande de dommages et intérêts au titre du manquement de l’employeur à son obligation de loyauté. La demande au titre du préjudice d’anxiété a, quant à elle, été jugée prescrite.

Par cet arrêt, la Cour de cassation distingue deux types de manquement générant deux « postes » de préjudices susceptibles de donner lieu à deux condamnations de l’employeur :

  d’une part, un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, s’agissant de la mise en œuvre des mesures de prévention des risques professionnels prévues par l’article L 4121-1 ayant généré un préjudice d’anxiété ;
  d’autre part, l’utilisation de l’amiante par l’employeur en toute illégalité est constitutive d’une atteinte à la dignité des salariés, et d’un manquement de l’employeur à son obligation d’exécuter de bonne foi le contrat de travail.

Un autre arrêt du même jour ouvre la possibilité pour un salarié d’un sous-traitant exposé à l’amiante d’obtenir la réparation de son préjudice d’anxiété auprès de l’entreprise utilisatrice (Cass. soc., 8-2-23, n°20-23312).

Dans la mesure où l’entreprise utilisatrice n’est pas l’employeur du salarié, est « activé » le droit commun de la responsabilité extracontractuelle (art. 1240 du code civil).

La réunion de trois éléments est nécessaire :

  la faute ou la négligence de l’entreprise utilisatrice dans l’exécution des obligations légales et règlementaires mises à sa charge (= obligation générale de coordination de prévention) ;
  le préjudice d’anxiété du salarié ;
  le lien de causalité entre la faute de l’entreprise utilisatrice et le préjudice du salarié.

La Cour de cassation considère qu’il n’est pas nécessaire (pour entrer en voie de condamnation contre l’entreprise utilisatrice) que la responsabilité de l’employeur sous-traitant soit retenue. Et pour cause, précise la Cour de cassation dans son communiqué : seules les entreprises utilisatrices connaissent l’historiques industriel de leur propre site et la présence éventuelle de subsistances dangereuses.

Cette solution doit être saluée en ce qu’elle assure un traitement plus égalitaire des salariés intervenant sous statuts divers dans les locaux d’une entreprise.

Patricia Drevon Secrétaire confédérale au Secteur de l’Organisation, des Outre-Mer et des Affaires juridiques

Secteur des Affaires juridiques Le secteur des Affaires juridiques apporte une assistance juridique à la Confédération dans sa lecture du droit et dans la gestion des contentieux.