« Yves Veyrier, le patron de FO, met en garde Macron et le gouvernement »

Interview de Paris Match publié le 1er mai 2019 par Yves Veyrier

© F. BLANC

Paris Match. Etes vous satisfait que le président de la République ait annoncé un allongement de la durée de cotisation et non un changement de l’âge légal de départ à la retraite, une remise en cause des 35 heures ou une suppression d’un jour férié ?

Yves Veyrier : Les rumeurs et les bruits couraient, y compris parmi les ministres et j’espérais qu’il remballerait toutes ces mesures. Le choix d’allonger la durée d’activité et de retarder le départ effectif en retraite prouve que nous avions raison de nous opposer à son projet de régime universel des retraites par points. Nous ne cessons d’expliquer qu’un tel régime absorbe tous les régimes existants et conduit à remettre tous les paramètres entre les mains des gouvernements, à commencer par la valeur du point. Aujourd’hui, le montant de la retraite est calculé sur les 25 meilleures années pour les salariés du privé, sur les six derniers mois pour les fonctionnaires. Mais demain, le calcul se fera sur les points achetés tout au long de votre carrière, y compris dans les périodes difficiles de petit salaire, de temps partiel ou de chômage.

Vous craignez une baisse des pensions ?

Yves Veyrier : Oui ! De fait, ce calcul mécanique peut se traduire par une réduction du montant des pensions. Ce dernier ne sera, en outre, connu qu’au dernier moment car chaque année le gouvernement et le parlement pourront agir sur la valeur du point. La mise en place d’une décote pénalisera les nombreux salariés qui ne sont déjà plus en activité au moment de faire valoir leur droit à la retraite.

L’allongement de l’espérance de vie ne permet-il pas de travailler plus longtemps ?

Yves Veyrier : Elle s’allonge grâce à la mise en place du système de sécurité sociale et de retraites, obtenu et géré par les syndicats. On est mieux soigné et on ne s’épuise pas jusqu’au bout. Mais l’espérance de vie en bonne santé n’atteint que 63 ans, et elle ne s’allonge pas dans les mêmes proportions que l’espérance de vie tout court. Partir à 62 ans, pour de nombreux salariés, c’est déjà trop. Ils attendent avec impatience le moment de s’arrêter.

L’instauration d’une retraite minimale à 1 000 euros va-t-elle sortir des personnes âgées de la précarité ?

Yves Veyrier : Il nous faut des éclaircissements. Aujourd’hui, les salariés du privé qui ont travaillé plus de 120 trimestres, quel qu’ait été leur salaire, ont un minimum contributif et une complémentaire qui approchent près de 1 000 euros par mois. Cette nouvelle retraite minimale sera sans doute un progrès pour les indépendants et les artisans, mais pour les salariés, je n’en suis pas certain.

Envisagez-vous des journées de grève ?

Yves Veyrier : Nous avons averti pendant la concertation sur les aspects dangereux du régime universel par points sur chaque sujet - pénibilité, maternité, réversion…. Mais le gouvernement maintient son projet global. Nous allons donc continuer de mettre en garde les salariés, en les informant précisément. L’objectif est de les mobiliser. Plusieurs actions sont déjà prévues : la grève de la fonction publique le 9 mai, et dans le secteur hospitalier, très remonté sur la situation aux urgences et sur les conséquences du projet de loi Santé, ainsi que dans l’éducation. Nous solliciterons les autres organisations syndicales, pour voir si nous pouvons nous accorder pour faire obstacle au projet de réforme des retraites.

Avant l’été ?

Yves Veyrier : Dans les semaines à venir ou à la rentrée. Nous savons qu’une seule journée de mobilisation ne suffira pas. Nous devons convaincre : cesser le travail le plus largement possible dans le public et le privé ensemble amènerait le gouvernement à nous entendre.

Beaucoup doutent de votre capacité à mobiliser…

Yves Veyrier : Le rapport de force, c’est-à-dire la capacité à peser et à être entendu, dépend d’abord de notre capacité à démontrer la raison de nos positions. Si nous y parvenons, nous serons alors entendus plus aisément. Cela vaut vis-à-vis de nos interlocuteurs. Quand cela ne suffit pas, il nous faut alors persuader le plus grand nombre de salariés de la force de notre analyse, de sa pertinence et du bienfondé de notre action. Il est vrai qu’aujourd’hui, beaucoup s’interrogent sur le résultat qu’il est possible d’obtenir. A un moment donné, le moyen le plus clair, qui fonctionne dans une entreprise, quand l’employeur ne veut pas négocier, est de stopper l’activité – la grève - pour faire revenir les interlocuteurs à la table des négociations et trouver un compromis.

Percevez-vous des inflexions dans la politique menée par Emmanuel Macron ?

Yves Veyrier : Les questions du pouvoir d’achat et de service public ont résonné dans les couloirs de l’Élysée. Mais il demeure tenant du libéralisme économique. Or, je milite pour inverser la logique libérale dominante, qui sous-entend que le social ou l’environnement sont au mieux des sous-produits de l’économie. Il faut redonner la primauté au social.

N’a-t-il pas pris en compte les revendications sur le pouvoir d’achat ?

Yves Veyrier : La réponse apportée consiste à pérenniser la prime exceptionnelle défiscalisée et désocialisée et à promouvoir l’intéressement et la participation, qui posent au demeurant un problème de recettes pour les régimes de sécurité sociale ou les impôts. Le gouvernement fait tout pour éviter la seule réponse simple : l’augmentation des salaires qui passerait par l’augmentation du Smic, et du point d’indice pour les fonctionnaires. La recherche de compétitivité à tout prix amène à contraindre les salaires et la protection sociale. Il faut sortir de ce cercle vicieux.

Les revendications sur le pouvoir d’achat ont été portées par les gilets jaunes. L’absence, voire le rejet des syndicats dans ce mouvement, prouve-t-elle votre déconnexion ?

Yves Veyrier : Le syndicat ce sont les salariés qui le font. Nous ne sommes pas déconnectés des salariés, mais c’est plus difficile avec ceux des très petites entreprises, des services à la personne ou les salariés au chômage car ils sont souvent isolés. En plein mouvement des gilets jaunes, 2,5 millions de fonctionnaires ont voté aux dernières élections. Nous enregistrons de bons résultats dans le privé. FO est ainsi redevenue première à Air France où les salariés ont fortement voté. A nous de travailler pour convaincre les salariés, les retraités, les chômeurs, qui sont allés sur les ronds-points de venir dans nos structures locales.

Comment expliquez-vous que les Gilets Jaunes en quelques semaines, en utilisant parfois la violence, ont davantage obtenu de concessions de la part de l’exécutif que les syndicats en deux ans ?

Yves Veyrier : La violence est le fait d’une minorité, pas des ronds-points. Quant aux mesures du 10 décembre dernier, qui les finance ? La prime d’activité ce sont des cotisations patronales – c’est-à-dire du salaire, la CSG – payée par l’ensemble de la population- les taxes sur le tabac etc… Cette prime est d’ailleurs l’aveu que le Smic ne suffit pas pour vivre. Il aurait mieux valu que le gouvernement l’augmente. Si les 160 000 manifestants, à l’appel de syndicats le 9 octobre dernier, avaient été écoutés et entendus, peut-être l’histoire aurait-elle été différente. Nous avons une part de responsabilité sur le fait que nous n’avons pas réussi à nous faire entendre, mais ceux qui ne veulent pas écouter les syndicats portent une lourde responsabilité. FO c’est 25 000 implantations dans le pays et leurs adhérents, c’est en leur nom que je parle, nous avons des experts, nos positions sont étayées. Or, nous ne sommes pas suffisamment écoutés, sur les retraites, sur la loi travail, les ordonnances… Il existe une crise politique, de la crédibilité de la parole politique, il faut aussi que cela interroge ceux qui ne considèrent pas le dialogue social et la négociation collective notamment au niveau national.

Pourquoi n’adhérez-vous pas au pacte social et écologique initié par Nicolas Hulot et Laurent Berger ?

Yves Veyrier : Je suis à la tête d’un syndicat, pas d’un parti politique. FO est porteur de l’intérêt particulier des salariés, à la recherche du meilleur compromis pour que la justice sociale ne soit pas laissée pour compte Nous n’avons pas nous ériger en arbitre de l’ensemble de la société. Nous ne sommes pas indifférents à l’intérêt général, dont font partie les enjeux écologiques, mais sa conduite relève du politique. A chacun son rôle. Je tiens à l’indépendance de notre organisation si on veut rassembler largement les salariés.

 Voir en ligne  : Paris Match

Yves Veyrier Ex-Secrétaire général de Force Ouvrière

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