Frédéric Carbonne : Vous êtes Secrétaire général de Force Ouvrière, vous faites partie des responsables syndicaux qui manifestent cette opposition au décret. Vous êtes convaincu quand Gérald Darmanin dit c’est utile, nécessaire pour la police ?
Yves Veyrier : Je suis assez frappé par les derniers termes que je viens d’entendre de sa part :
Il faut qu’on sache qui nous surveillons; c’est bien là le problème. Je me suis adressé à la ministre du Travail parce qu’il y a deux aspects importants dans l’un des décrets. D’abord, on passe « d’activité » à « opinion », « conviction ». On nous dit que c’est dans le RGPD (règlement général sur la protection des données), mais le RGPD a justement pour objectif de protéger le risque d’être mis en cause, du point de vue de ses données personnelles, en raison de ses opinions. Là, c’est plutôt l’inverse. Et surtout, j’ai insisté sur le lien entre « activité syndicale » qui devient maintenant « l’appartenance syndicale ». C’est-à-dire le simple fait d’être adhérent d’un syndicat – et on y ajoute les personnes morales, c’est-à-dire le syndicat lui-même – est potentiellement, associé justement à ce que le ministre ditil faut savoir qui nous surveillons dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Ce qui m’inquiète c’est qu’on a le sentiment qu’on stigmatise un peu l’action syndicale, le fait d’être adhérent à un syndicat, qui laisserait à penser qu’être adhérent d’un syndicat pourrait être associé d’une manière ou d’une autre à des impératifs de sécurité intérieure, de sûreté de l’État, de lutte contre le terrorisme, de violence urbaine. Il faut que le gouvernement, de ce point de vue, cesse de jouer avec le feu.
FC : Il faut qu’il renonce à ces décrets, il faut les réécrire, que réclamez-vous Yves Veyrier ?
YV : Nous avons découvert cela complètement fortuitement, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai fait part à la ministre de ma stupéfaction. Je me suis adressé à la ministre du Travail justement parce qu’il y a cette question syndicale qui fait partie de ce décret, qui, au demeurant, pourrait être considéré comme contrevenant aux conventions de l’organisation internationale du travail sur le principe de la liberté syndicale. Mais nous n’avons nullement été informés – ne serait-ce qu’informés ! Nous découvrons fortuitement cette modification qui n’est pas une simple modification de terminologie ou sémantique sans signification, sinon pourquoi la faire ?
FC : Vous rappeliez les termes de Gérald Darmanin :
. Vous vous répondez d’une certaine manière Il ne faut pas que n’importe qui puisse être surveillé
? C’est ça que vous craigniez ?
YV : D’abord, oui, n’importe qui n’a pas à être surveillé. On surveille des gens dont on suppose qu’ils sont potentiellement impliqués dans des actes délictueux quels qu’ils soient. Cela fait partie de l’organisation, effectivement, de la sécurité mais cela doit se faire sous contrôle de la justice. Et c’est là aussi un des problèmes avec ces fichiers. Qui contrôle qui ? Qui met-on dans ces fichiers ? Dans quelle condition ? Pour quelle raison ? Il y avait déjà eu une polémique, à l’époque, sur ce qu’on appelle le fichier Edvige. J’ai l’impression qu’il revient par la fenêtre.
FC : Il y a une dizaine d’année, c’était en 2008. Donc pour être clair vous réclamez quoi ?
YV : Je dis très clairement que, compte tenu des circonstances, qu’ils (les décrets) soient immédiatement suspendus et retirés au moins sur les aspects sur lesquels j’ai attiré l’attention de la ministre.
FC : Ce que dit Gérald Darmanin, pour répondre à la menace terroriste, par exemple après ce qui s’est passé à la Préfecture de police de Paris il y a quelques mois, nécessitait d’avoir plus de précisions pour les recrutements dans la fonction publique, donc peut-être des précisions sur les orientations religieuses, politiques ou autres ?
YV : Mais alors là il y a un vrai problème. Ça veut dire qu’on serait désormais inquiété pour ses opinions politiques, ses convictions philosophiques, religieuses ? Là il y a un vrai problème. Dans ce cas-là, on est sur un autre terrain, on n’est plus dans notre démocratie, notre république. Nous nous sommes adressés, avec le syndicat Unité SGP Police FO, au gouvernement, au président de la République pour poser et mettre en œuvre effectivement ce qui est nécessaire sur les questions de moyens des forces de l’ordre, en effectifs, en formation, en moyens techniques, qu’on cesse avec les politiques du chiffre qui mettent en difficulté les policiers eux-mêmes, tant vis-à-vis d’eux-mêmes que de la population qu’ils ont le rôle de protéger. Je le rappelle, le rôle des forces de l’ordre c’est d’assurer l’exercice paisible des garanties démocratiques dont celui de manifester. Nous avons le sentiment avec ce qui s’est passé, notamment, samedi dernier, que ces forces de l’ordre n’ont pas toujours les moyens correspondants, requis, qui permettent justement d’assurer la libre manifestation paisiblement.