Finances publiques : pour la Cour des comptes, il faut plus d’’ambition et réviser les méthodes

InFO militante par Valérie Forgeront, L’inFO militante

© Phil BERTAUD/REA

Selon le dernier rapport de la Cour des comptes, le scénario macroéconomique adopté par l’exécutif pour fonder son projet de trajectoire des finances publiques 2023-2027 est quelque peu optimiste. En conséquence, l’effort à engager pour réduire les dépenses publiques s’annonce sous-évalué. La Cour qui préconise de porter les « efforts » sur toutes les dépenses prône par ailleurs d’associer la société civile à l’évaluation de la performances des politiques publiques. Les contribuables sont en droit d’interroger le rapport qualité prix de nos politiques publiques estime le Premier président de la Cour, Pierre Moscovici. Ce qui n’est pas sans rappeler la philosophie de la campagne j’en ai pour mes impôts lancée cette année par le gouvernement.

L’heure est aux efforts et à la remise en question des méthodes selon la Cour des comptes qui justifie son analyse par l’état des finances publiques en 2022 et ce qui semble de confirmer sur 2023, année qu’elle considère comme blanche en matière de redressement des finances publiques. Publié le 29 juin, le rapport sur « la situation et les perspectives des finances publiques » est comme à son habitude sévère. Et cela même si l’exécutif prévoit un serrage de vis drastique sur les dépenses en 2024, cela dans l’objectif de ramener le déficit public sous la barre des 3% de PIB en 2027. La Cour, elle, se montre peu convaincue.

La trajectoire des finances publiques 2023-2027 est moins ambitieuse que celle de nos voisins européens et repose sur un scénario macroéconomique optimiste assène-t-elle. Cela revient à sous-évaluer l’effort à fournir. Dans le détail : la prévision d’une croissance à 1% en 2023 reste au-dessus du consensus des économistes et du HCFP, le haut conseil aux finances publiques (place auprès de la Cour des Comptes), rappelle le rapport pointant les nouvelles baisses d’impôt décidées par l’exécutif, soit la suppression de la dernière tranche de la taxe d’habitation (pour un manque à gagner de 2,8 milliards d’euros cette année, Ndlr) et la première étape de celle de la CVAE (un manque à gagner en 2023 de 4,1 milliards, soit plus de huit milliards sur deux ans Ndlr). Les recettes (qui ont été exceptionnellement fortes par la reprise de l’activité au sortir de la pandémie) progresseront moins de la valeur du PIB.

Un effort très substantiel pendant cinq ans

La Cour rappelle aussi que les dernières consommations de créances du CICE (transformé en 2019 en allègements pérennes de cotisations pour les entreprises, Ndlr) (…) interviendront en 2023, pour un montant en hausse de 5,6 Md€ par rapport à 2022. Créé en 2012 dans le pacte de compétitivité, en vigueur de 2013 à 2019, le crédit d’impôt CICE (allègements de cotisations pour les employeurs jusqu’à 2,5 Smic) qui a particulièrement profité aux grands groupes, a induit un manque à gagner annuel de dix puis de vingt milliards d’euros par an sans pour autant produire les résultats escomptés au niveau de l’emploi. Le crédit d’impôt, c’est une baisse du coût du travail admettait en 2013 Pierre Moscovici, alors ministre de l’Economie (et désormais Premier président de la Cour des comptes), défendant le CICE et déclarant par ailleurs je conçois Bercy comme la maison des entreprises. Selon France Stratégie, de 2013 à 2017, le nombre de créations d’emplois que l’on peut attribuer à l’effet CICE se situe entre 100 000 et 160 000, au mieux. En 2013, le président du Medef, Pierre Gattaz, assurait qu’un million d’emplois seraient créés en cinq ans…

Retour en 2023… Respecter la trajectoire annoncée pour les finances publiques jusqu’en 2027 exigera un effort substantiel (…) pendant 5 années consécutives assure le premier président de la Cour. Et de préciser même, « très substantiel ». Précisément, il faudrait réaliser chaque année, comme le vise l’exécutif, 10 à 12 milliards d’euros d’économie. Pour la Cour, il faut donc un plan ambitieux et précis sur les réformes qui permettront de réaliser ces économies. Les réformes structurelles sur les retraites ou encore sur l’assurance chômage, toutes deux conçues dans l’objectif de réaliser des économies et d’être dans les clous des règles européennes du pacte de stabilité (avec le retour en 2024 d’un seuil de déficit ne devant pas excéder 3% du PIB) n’auraient été qu’un hors d’œuvre ?

Associer tout le monde pour faire mieux que la RGPP, MAP, …

Selon le rapport de la rue Cambon, il faudra faire beaucoup mieux que ce qu’ont pu apporter les audits de modernisation de l’État en 2005, la révision générale des politiques en 2007, la modernisation de l’action publique en 2012, et le plan action publique 2022 en 2017. Tant les mesures RGPP que MAP ou encore AP2022, combattues par FO, ont mis à mal les services publics à coup de suppressions d’emplois, de fusions de services ou de leur externalisation, de mutualisations de moyens avec en général un abaissement de ces derniers… Ces mesures/réformes ont organisé depuis près de vingt ans la réduction des dépenses publiques sans qu’aucun bilan ne soit dressé de leurs effets. Bilan que n’a cessé de demander FO, et alors qu’à l’entrée dans la pandémie, beaucoup de services publics (dont ceux de la Santé), aux moyens réduits pendant des années, ont montré leur grande fragilité.

Pour la Cour cependant, le nouveau plan de revue des dépenses (engagé par le gouvernement depuis le début de l’année) doit être beaucoup plus ambitieux. Pour cela, Il doit associer toutes les administrations publiques, l’État et ses opérateurs, la sécurité sociale et les collectivités territoires, et en portant l’effort sur toutes les dépenses, qu’elles soient de fonctionnement ou d’investissement et pour tous les secteurs. Toutes les dépenses doivent ainsi être soumises aux exigences similaires de qualité et de soutenabilité.

Déjà, le secteur de la Santé, est contraint par des objectifs de dépenses depuis des années entre autres à travers l’Ondam. Par ailleurs, le gouvernement, préparant les lois de finances pour 2024 a d’ores et déjà commencé à évoquer des perspectives de baisses de dépenses, visant médicaments, arrêts maladie, … Quant aux collectivités territoriales, elles, sont « associées » depuis des années à « l’effort budgétaire ». Ces dernières années, via des contrats (de confiance ou encore les contrats de Cahors) passés avec l’État. Contrats à respecter sous peine de sanctions financières. Cette sollicitation drastique des collectivités pour des économies nourrit régulièrement les tensions dans leurs relations avec l’État.

Selon la trajectoire 2023-2027, elles devront réduire leurs dépenses à hauteur de 0,5% en volume par an (-0,8% pour l’État). Dans un rapport spécifique aux collectivités publié le 4 juillet, la Cour des comptes estime que celles-ci affichent une santé financière saine et peuvent donc être davantage impliquées dans l’effort pour les économies. Par la suppression des impôts locaux et la compensation par une part de TVA, les transferts de l’État vers les collectivités -impactées par l’inflation dans leurs dépenses de fonctionnement et d’investissements- représentent désormais plus de 50% des recettes de ces dernières.

Les contribuables transformés en clients ?

Pour la Cour, demander des efforts d’économies tous azimuts n’a rien à voir avec un axe d’austérité. Elle précise sa demande -credo des exécutifs depuis vingt ans- d’une efficience de la dépense. Indiquant que les dépenses publiques ont augmenté mais sans faire l’analyse de cette évolution comparée aux besoins…, le rapport se saisit de l’argument d’insatisfaction croissante des usagers des services publics depuis 2000.

En phase avec l’initiative du ministre des Comptes publics qui à l’occasion cette année de la campagne de l’impôt sur le revenu a invité les contribuables à répondre à une consultation intitulée « j’en ai pour mes impôts », la Cour souligne le devoir de rendre compte aux contribuables… Les contribuables sont en droit d’interroger le rapport qualité prix de nos politiques publiques. Tels des clients, donc.

En matière d’insatisfaction, les contribuables, et ne serait-ce qu’au plan des services des impôts, ne manquent pas de constater au fil des années qu’il y a de moins en moins d’agents pour les accueillir dans les services ou répondre à leurs appels téléphoniques. Ils constatent aussi la disparition d’implantations DGFIP (finances publiques) de pleine compétence. Lancé en 2018, le plan Darmanin, entre autres, est passé par là. Le plan du ministre de l’Action et des Comptes publics, qu’a combattu FO dénonçant une destruction du maillage territorial et une dégradation du service public, visait à supprimer 900 trésoreries et 200 centres des finances, cela assorti de la disparition de 5 000 emplois sur trois ans. En vingt ans, plus de 40 000 postes ont disparu dans les services des finances publiques.

Que la société civile produise ses propres mesures de l’efficacité et de l’efficience

Pour la Cour des Comptes, il faut passer à la vitesse supérieure dans l’appréciation de la justesse de la dépense publique. Et assure en substance Pierre Moscovici, pour ce faire, certains éléments de la LOLF ne suffisent plus.

Remplaçant l’ordonnance de 1959, la loi organique relatives aux lois de finances du 1er août 2001 (mise en œuvre en 2006) a créé un nouveau cadre budgétaire et comptable et a introduit des objectifs de performance, d’efficience de la dépense et de résultats… Et non plus de moyens. Le volet performance de la loi organique relative aux lois de finances, pour utile qu’il soit, procède d’une vision datée indique Pierre Moscovici. Je vais être un peu rude : le volet performance, c’est, je le crains, l’administration qui conçoit ses propres indicateurs de performance à destination des corps de contrôle sous le regard indifférent des commanditaires politiques et du grand public. La voie que nous proposons c’est une vaste ouverture, un grand coup d’aération !

FO n’a cessé de contester depuis la conception de la LOLF, ces indicateurs de performance, leur mode de création et leur objectif de justification des suppressions de dépenses publiques. Mais que propose la Cour des comptes ? Il s’agirait, sans plus de détails, d’ouvrir largement les données publiques, y compris budgétaires, pour que la société civile produise ses propres mesures de l’efficacité et de l’efficience des dispositifs publics.

Que l’évaluation des dispositifs publics (…) sorte du microcosme public

Il faudrait aussi faire de l’évaluation de la performance de la dépense indique le président de la Cour des comptes. Il devrait être désormais systématique d’inclure dans le dispositif juridique des nouveaux dispositifs de dépense une clause d’évaluation, associée à leur limitation dans le temps, leur prolongation se faisant sous condition d’une analyse de leurs résultats. En effet, aujourd’hui nous observons que de nombreuses dépenses se perpétuent sans être jamais évaluées. Et l’on pourrait rétorquer, que de nombreuses autres sont supprimées sans évaluation en amont des besoins. A travers l’insuffisance des crédits budgétaires et le manque d’effectifs, les services publics vivent cela chaque jour. Au risque de détériorer le service rendu aux usagers.

La Cour estime qu’il faut ouvrir l’évaluation à la société civile, ce qui selon elle améliorerait la satisfaction à l’égard des services publics. Nous proposons que l’évaluation des dispositifs publics change véritablement d’échelle et sorte du microcosme public, avec des programmes pluriannuels respectés et des travaux davantage confiés à des structures du monde académique, laboratoires universités et autres. Les autres seraient-ils des représentants du secteur privé ? Et plus largement serait-ce vouloir rechercher, dans le cadre d’une construction budgétaire, l’assentiment des citoyens/usagers des services en leur demandant de décider eux-mêmes de réduire les dépenses, la voilure des services publics et donc de concevoir eux-mêmes de nouvelles dégradations des missions publiques ?

Pour FO, la réponse est claire : non à l’austérité !

Valérie Forgeront Journaliste à L’inFO militante

L’inFO militante Le bimensuel de la Confédération