L’inversion de la courbe : le stakhanovisme d’entreprise

Théâtre par Michel Pourcelot

Toujours plus. L’inversion de la courbe est une pièce qui narre les tribulations d’un intoxiqué des dépassements d’objectifs, des chiffres à battre, qui finit par chuter. Le monde impitoyable de la productivité à tout crin présenté au Théâtre de Belleville à Paris du 10 septembre au 3 octobre.

Aujourd’hui plus qu’hier et moins que demain : Paul-Éloi a intégré les discours distillés par les messies de la productivité. Il bat tous les records avant de perdre la foi. Un tel crime a pour châtiment l’exclusion du monde des compétiteurs. Écrite et mise en scène par l’auteur et comédien Samuel Valensi, L’inversion de la courbe se veut une comédie satirique abordant l’omniprésence de la productivité dans notre quotidien et le traitement réservé à ceux qui entendraient la rejeter.

Une vie chiffrée déchiffrée

Le refus du chiffre devient la promesse d’une mise au ban. Celui qui n’est pas productif, celui qui ne fait pas mieux aujourd’hui qu’hier, celui qui ne fait pas mieux que son voisin, celui-ci n’a pas sa place. Parce que les chiffres ne pardonnent pas. Et dans sa course, Pierre-Éloi finit par éprouver la chute, celle qu’il redoutait, celle qui commence en haut de la courbe avant qu’elle ne s’inverse. Le roman d’un chiffreur déçu et déchu.

Être ou ne pas être un chiffre…

Décryptage du chiffre dictatorial, l’écriture de la pièce s’est nourrie des expériences de ceux qui se sont retrouvés déclassés dans cette course aux meilleures performances, comme Aude Selly, ancienne responsable des ressources humaines d’un grand équipementier sportif américain, victime d’un burn-out raconté dans son livre Quand le travail vous tue. D’où ces questions de l’auteur : Quel est le but de ce chiffrage permanent auquel nous sommes soumis ? Pourquoi nous demande-t-on d’être toujours plus performant, plus productif ? Pour quelle raison nous infligeons-nous ce rapport numérique à notre quotidien ? N’y a-t-il pas insidieusement posés, dans cette exigence permanente de productivité et de rendement, les jalons de notre déclassement à tous ? N’y a-t-il pas là la promesse qu’il ne nous sera jamais permis d’être improductif ?. D’où le zèle du personnage principal de la pièce :

Paul-Éloi : Par projection lissée, je suis 35,7% au-dessus de mes objectifs annuels. Je dépasse les autres commerciaux de mon équipe de 129,9%. Après cet entretien, il me restera 3 heures et 45 minutes de travail. Cela n’inclut pas les heures supplémentaires. J’en ferai au moins deux parce que j’ai une véritable conscience professionnelle. Pendant ces 5 heures et 45 minutes de travail, j’ai l’intention de faire 122% de mes résultats de ce matin. C’est un objectif mais je vais le dépasser. Ce que je veux dire, Monsieur, c’est que je compte beaucoup pour cette entreprise. Je compte. Je suis productif.
Patron – Vous êtes, aujourd’hui, notre meilleur investissement.

L’inversion de la courbe, texte et mise en scène de Samuel Valensi, avec le regard de Brice Borg, interprétation de Michel Derville, Paul-Eloi Forget, Alexandre Molitor et Maxime Vervonck.
Du 10 septembre au 3 octobre 2017 (lundi et le mardi à 21h15, dimanche à 20h30), au Théâtre de Belleville, 94 Rue du Faubourg du Temple, 75011 Paris. M° Belleville. Tarifs de 10 à 25€, gratuit pour les allocataires du revenu de solidarité. Tél. et réservations : 01 48 06 72 34.

Michel Pourcelot Journaliste à L’inFO militante

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