La revendication de justice sociale est aux antipodes de la charité

InFO militante par Chloé Bouvier, L’inFO militante

© Baptiste FENOUIL/REA

Craignant de devoir réduire le nombre de leurs bénéficiaires, en constante augmentation, d’autant avec l’inflation, les Restos du cœur ont appelé à l’aide. Le gouvernement et les certaines entreprises ont répondu. Mais rallonge du soutien budgétaire public ou dons exceptionnels ne résolvent en rien le problème de fond mais au contraire le désigne : l’insuffisance des salaires, pensions ou minima sociaux. La solution, comme le revendique FO de longue date, est évidente : leur hausse afin que les travailleurs, actifs ou retraités puissent vivre et assurer leurs dépenses dans la dignité.

Coluche n’aurait pas aimé ça. En 1985 quand l’humoriste français lançait sa petite idée comme ça, il espérait qu’un jour, le plus proche possible, les Restaurants ou Restos du cœur qu’il venait de créer ne seraient plus. Qu’il n’y ait plus, dans ce pays reconnu comme riche, de gens dans un tel besoin qu’ils ne peuvent même pas assurer leurs achats de nourriture.

Hélas…Trente-huit ans après, les Restos ont toujours matière à poursuivre leur mission. Patrice Douret, l’actuel président de l’association, a annoncé le 3 septembre que, faute de moyens suffisants face à la demande, les Restos risquaient de devoir diminuer le nombre de bénéficiaires pour l’hiver 2023. L’association qui assure 35 % de l’aide alimentaire en France a distribué 142 millions de repas en 2021-2022, et s’attend à devoir en servir au moins 170 millions dans les prochains mois. En 1985, lors de sa première campagne elle avait servi 8,5 millions de repas.

20 % de bénéficiaires en plus en un an

Aujourd’hui l’association appelle à l’aide dans un contexte d’inflation toujours très forte. Une inflation qui concerne les Restos à double titre. Elle impacte ses coûts de fonctionnements mais aussi, par les difficultés croissantes que connaissent les ménages, l’inflation entraîne une augmentation sensible des demandes reçues par l’association. Banques alimentaires et Secours Populaire le reconnaissent aussi : jamais ils n’ont eu affaire à une telle demande. Cette année, les Restos du cœur affichent déjà 1,3 million de demandeurs inscrits pour les distributions de produits alimentaires, soit une hausse de 20 % par rapport à 2022 où ils avaient accueilli 1,1 million de personnes sur l’année.

Des profils de plus en plus variés

Les profils des bénéficiaires évoluent, remarquent les bénévoles. Après la crise de 2008 les jeunes sans travail, ou encore ceux qui occupaient un emploi partiel et précaire ont commencé à fréquenter les Restos du cœur. Avec la crise covid de nombreux étudiants, privés d’emplois et de stage, sont apparus dans les files d’attentes des distributions. Aujourd’hui, la situation des « bénéficiaires » est très variée : dans les files d’attente, des chômeurs (27 %), des retraités (17%), des personnes en situation de handicap, d’invalidité ou atteintes d’une maladie de longue durée (14 %), mais aussi des travailleurs (17 %).

L’inflation alimentaire, plus de 21% sur deux ans, a peu à peu contraint de plus en plus de Français à réduire leur nombre de repas ou à acheter moins de viande ou de fruits et légumes frais, selon le baromètre Ipsos pour le Secours populaire. 32 % des Français ne sont pas toujours en capacité de se procurer une alimentation saine en quantité suffisante pour faire trois repas par jour.

Les associations d’aides telle celle les Restos subissent également de plein fouet cette inflation, voyant leur facture d’énergie s’alourdir. Jusqu’à 20 % en plus pour le Secours Populaire. Les Restos du cœur qui achètent directement un tiers des produits alimentaires qu’ils distribuent ont vu leur facture hebdomadaire doubler, passant de 2,5 à 5 millions d’euros. En tout, l’association estimait dernièrement qu’il lui manquait 35 millions d’euros pour poursuivre son travail.

Des hausses de salaires plutôt que la charité !

Le gouvernement a finalement décidé début septembre, et après différentes rallonges budgétaires à ces structures depuis deux ans, que soit augmentée, à 156 millions, l’enveloppe pour l’aide alimentaire, concrètement l’aide aux différentes associations. C’est plus qu’un doublement de l’enveloppe en trois ans indique le gouvernement. Dans les prochains jours, 15 millions d’euros (...) seront mis sur la table pour aider l’association (des Restos, Ndlr) à passer cette période et s’assurer que les Français les plus modestes soient accompagnés, indiquait Aurore Bergé, ministre des Solidarités, le 3 septembre sur TF1. Des entreprises ont également répondu à cet appel, comme Bernard Arnault, le patron de LVMH, qui a promis un don de 10 millions d’euros. Mais ce soutien d’urgence, apporté avec tambours et trompettes par les différents protagonistes, résout-il le problème de l’origine de cette pauvreté, de cette incapacité criante et croissante des ménages à consommer ? Et dans le pire des cas, à réaliser des achats alimentaires basiques ? Non point.

Alors que fin 2022, le nombre de bénéficiaires de ces aides étaient estimés à 2,4 millions de personnes et que certaines sources avancent même les chiffres de cinq à sept millions de personnes en grande difficultés pour les achats alimentaires, il est peu à peu institué, comme une évidence, une sorte de système de charité à travers le rôle de plus en plus majeur confédéré aux associations. Elles apparaissent comme chargées de pallier l’insuffisance de plus en plus insoutenable, d’autant avec l’inflation, des revenus de nombre de ménages. Pour FO dont c’est la revendication numéro un, et particulièrement depuis la sortie de la période de pandémie, la solution d’une vraie politique de lutte contre la pauvreté réside en premier lieu dans la hausse des salaires. Celle du Smic (auquel les gouvernements successifs refusent un vrai coup de pouce depuis plus de dix ans) mais aussi de tous les salaires. En rétablissement l’échelle mobile et en ouvrant ou rouvrant des négociations dans les branches et les entreprises promptes à apporter des dons aux associations mais renâclant à accorder des hausses conséquentes de salaires. La lutte contre la pauvreté passe aussi par la hausse des pensions (les retraités ont perdu de 8,4% à 10,2% de pouvoir d’achat en cinq ans) et des minima sociaux. Pour permettre à chacun de vivre en pouvant faire face à ses dépenses, qui plus est élémentaires. Une demande de justice sociale aux antipodes de la charité.

Chloé Bouvier

L’inFO militante Le bimensuel de la Confédération