Salarié : dire ce qui ne va pas, c’est permis !

Contrat de travail par Patricia Drevon, Secteur des Affaires juridiques

La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) s’est penchée récemment sur la liberté d’expression du salarié, l’étendue de celle-ci et ses limites (CEDH, 20-2-24, Dede c/Turquie, n°48340/20).

Ce Focus est l’occasion de revenir brièvement sur cette liberté.

Les faits sont assez classiques. Un salarié critique les méthodes de gestion d’un supérieur hiérarchique et se fait licencier pour avoir émis cette critique. La particularité en l’espèce tenait au fait que la critique avait été faite auprès d’un cercle restreint de personnes (le service RH de l’entreprise) au moyen d’un mail.

La Cour retient dans cette affaire une violation de l’article 10 de la CESDH (article qui protège la liberté d’expression et d’opinion). Selon elle, les juges nationaux n’ont pas procédé à un examen suffisamment approfondi de la teneur du mail. Ils n’ont pas non plus démontré que le mail avait provoqué des désagréments sur le lieu de travail. Enfin, les juges ont validé sans réserve le licenciement, sans étudier la possibilité d’une sanction plus légère. Enfin, la Cour relève que le message n’avait été diffusé qu’à un cercle restreint de personnes.

Il découlait ainsi de tous ces éléments, que le licenciement constituait une violation de la liberté d’expression du salarié, et que le licenciement était injustifié.

La solution de la juridiction européenne n’est pas nouvelle, elle a le mérite de réaffirmer la liberté d’expression dont jouit le salarié, en rappelant les limites qui entourent cette liberté.

Tout d’abord, il faut rappeler que la liberté d’expression est, selon la CEDH, l’un des fondements essentiels d’une société démocratique et qu’elle vaut aussi bien pour les idées ou informations acceptées, que pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent (CEDH, 12-9-11, Palomo Sanchez c/ Espagne, n°28955/06). Les exceptions à cette liberté doivent être interprétées strictement, et les besoins de restriction doivent être établis de manière convaincante.

La Cour, au moyen du présent arrêt, en profite pour rappeler qu’il faut distinguer la critique de l’insulte, cette dernière pouvant justifier une sanction (arrêt Palomo Sanchez c/ Espagne précité).

La Cour rappelle que bien qu’il soit nécessaire de respecter une bonne foi, et qu’il existe un devoir de loyauté du salarié envers son employeur, ce devoir n’est pas absolu. Il ne pèse pas sur le salarié une obligation de réserve qui entraînerait sur lui, une sujétion aux intérêts de l’employeur (arrêt Palomo Sanchez c/Espagne précité).

La Cour rappelle également aux juges qu’ils doivent toujours opérer une balance des intérêts, et droits en présence. En l’espèce, il s’agissait de confronter la liberté d’expression d’une part, et la préservation de la réputation d’autrui, d’autre part. Ne s’étant pas astreint à cette mission, les juges ont donc été désapprouvés par la juridiction européenne.

Pour ce qui est du droit français, la Cour de cassation se conforme aux prescriptions de la CEDH, elle affirme la souveraineté des juges du fond, mais contrôle quand il est question d’une liberté fondamentale, telle la liberté d’expression, que les juges ont bien pesé les intérêts en présence. La Cour de cassation exhorte aux juges, de vérifier « concrètement » si les mesures prises à l’encontre d’un salarié sont nécessaires, adéquates et proportionnées eu égard à l’objectif poursuivi (Cass. soc., 20-4-22, n°20-10852, arrêt Tex).

La Haute juridiction française, a également appliqué le critère de publicité des propos dans des affaires nationales. Elle a ainsi jugé qu’une lettre critiquant un supérieur hiérarchique en des termes vifs, mais dont la fausseté n’était pas établie, et dont la diffusion a été limitée à l’entreprise n’est pas constitutive d’un abus de la liberté d’expression (Cass. soc., 9-11-09, n°08-41927). Au contraire, caractérise un abus de la liberté d’expression, le fait pour un salarié de s’exprimer sur un site internet accessible à tout public et de formuler sur ce site, des propos déloyaux, malveillants, et excessifs à l’égard de l’employeur (Cass. soc., 11-4-18, n°16-18590).

Retenons, à l’issue de ce Focus, que la liberté d’expression du salarié est une liberté fondamentale, dont il convient d’assurer une forte protection. Elle connaît cependant des limites, dont l’identification n’est pas toujours aisée.

Patricia Drevon Secrétaire confédérale au Secteur de l’Organisation, des Outre-Mer et des Affaires juridiques

Secteur des Affaires juridiques Le secteur des Affaires juridiques apporte une assistance juridique à la Confédération dans sa lecture du droit et dans la gestion des contentieux.