Pourquoi le groupe d’experts a-t-il été systématiquement défavorable à un coup de pouce au Smic ?
Eve Caroli : Je pense que ce groupe ne devrait pas être constitué comme il l’est. Dans sa forme actuelle, en tout cas tel que moi je l’ai vécu, il y a une sorte de disjonction entre la production d’une information extrêmement riche et de nature assez scientifique, et une décision qui est prise sur la base de quelque chose qui relève plus de l’intime conviction et de craintes des effets sur l’emploi d’une augmentation du Smic.
Comment remédier à ce problème de prise de décision ?
Eve Caroli : La décision d’augmenter le Smic au-delà de l’augmentation mécanique annuelle est une prise de risque qui ne peut pas être une décision d’experts. C’est une décision qui forcément comporte une dimension politique. Fondamentalement, il faut que les organisations syndicales et patronales y soient représentées. Le groupe a besoin d’effectuer des analyses en tenant compte de ce qui se passe réellement dans les entreprises et comment les salariés vivent cela. En Angleterre, la low pay commission est composée de représentants du patronat et des syndicats ainsi que d’experts académiques. Tout le monde discute et fait émerger une décision qui n’est pas qu’un simple conseil au ministre, comme c’est le cas en France.
Pensez-vous qu’un coup de pouce est souhaitable en 2018 ?
Eve Caroli : À titre personnel, je pense que les conditions sont réunies, et elles pouvaient déjà l’être l’an dernier. Pour une raison mécanique, la loi dit que le Smic augmente de l’inflation et de la moitié de l’augmentation du pouvoir d’achat du salaire horaire de base des ouvriers et des employés. S’il y a des gains de pouvoir d’achat pour les ouvriers et les employés, les salariés au Smic n’en profitent que pour moitié. S’il n’y a jamais de coup de pouce, l’écart entre le Smic et le salaire moyen des ouvriers et employés augmentera. Donc l’absence de coup de pouce accroît les inégalités au bas de la distribution des salaires. Il s’agit d’un grand facteur de frustration des salariés en bas de l’échelle, qui peut se manifester éventuellement par une baisse de leur effort et donc de la productivité, et surtout par des effets néfastes sur la cohésion sociale.
Le groupe commande également des études aux administrations...
Eve Caroli : Pour le rapport 2016, nous avons commandé des études sur les trajectoires salariales. Est-ce que quand à un moment une personne est payée au Smic, elle y reste toute sa vie, ou est-ce qu’il s’agit d’une situation transitoire ? Le résultat des études a montré que lorsqu’on commence au Smic, on y reste longtemps. Et quand on en sort, les rémunérations restent dans les environs du salaire minimum. Cela veut dire qu’il y a des personnes qui sont coincées dans le bas de l’échelle salariale.
Un point reste relativement mal éclairé : Quelles sont les conditions de travail et de santé des salariés rémunérés au Smic. C’est-à-dire, en échange du salaire qu’on leur verse qu’est-ce qu’on leur demande comme effort et quelles sont leurs conditions de santé. La population vieillit et la question de faire vieillir les gens au travail est de plus en plus cruciale.
Propos recueillis par Nadia Djabali