La pénibilité partiellement prise en compte mais insuffisamment compensée

Risques professionnels par Mathieu Lapprand

Le travail répétitif fait partie des facteurs de pénibilité reconnus depuis le 1er janvier 2015. @ Fred Marvaux / REA
Article publié dans l’action Dossier Compte pénibilité

Serpent de mer des réformes des retraites depuis plus de dix ans, la prise en compte de la pénibilité démarre timidement en 2015. La pression du patronat et les atermoiements du gouvernement n’ont de cesse d’affaiblir le dispositif.

Sa mise en oeuvre a ensuite fait l’objet d’une mission de concertation. Celle-ci a permis de fixer les seuils de pénibilité à partir des dix facteurs inscrits dans le Code du travail : bruit, pression ou températures extrêmes, exposition à des agents chimiques, postures pénibles, manutention de charges lourdes, exposition à des vibrations, travail de nuit, répétitif ou en équipes alternantes.

Le report d’un an de l’application de six de ces critères, à la suite d’un chantage du patronat, avait été annoncé en juillet dernier. Cela n’a pas empêché le patronat de demander le retrait de la loi en prétextant de la complexité des critères… qu’il avait pourtant validés lors la concertation. Dernier épisode en date, le 8 janvier Manuel Valls a annoncé la création d’une mission, composée d’un député et d’un chef d’entreprise, visant à répondre « aux inquiétudes exprimées par beaucoup de chefs d’entreprise quant à la mise en oeuvre progressive du compte ».

Un dispositif qui reste partiel

La philosophie du système marque « une avancée pour les droits des travailleurs », note Jean-Marc Bilquez, Secrétaire confédéral. Pour autant, « ceux-ci ne bénéficient pas encore d’une compensation à la hauteur de leur exposition », poursuit-il. En octobre, FO a émis un avis défavorable sur les projets de décrets d’application, qui « ne règlent ni la question d’une meilleure prévention des risques professionnels, ni celle d’une retraite juste et décente pour des travailleurs exposés à des conditions de travail difficiles ».

Décryptage : Des taux de cotisations fixés par décret… mais illégaux
FO a déposé début décembre un recours auprès du Conseil d’État contre le décret d’application relatif au financement des droits liés au CPPP. La loi prévoit en effet que le taux de la cotisation versée par les entreprises doit être compris entre 0,3 et 0,8 % de la masse salariale et entre 0,6 et 1,6 % pour les salariés exposés à plusieurs risques. Mais le décret d’application fixe ce taux à… 0,1 % pour 2015 et 2016 et à 0,2 % en 2017 et 0,2 puis 0,4 % pour les salariés exposés à plusieurs risques.

Si le compte pénibilité est en soi une avancée, il ne permet pas de remédier à l’injustice des conditions de travail difficiles. Pour la Confédération, « accorder deux ans à des travailleurs qui ont été exposés toute leur vie professionnelle, c’est une aumône. FO refuse de s’en contenter ».

Elle souhaite que le dispositif permette aux salariés d’anticiper de plus de deux années leur départ en retraite, mais aussi que les salariés polyexposés bénéficient de meilleures compensations. FO déplore par ailleurs que la santé mentale ne soit pas prise en compte dans les facteurs de pénibilité à l’heure où nombre d’organisations, ainsi qu’une pétition de parlementaires, réclament son inscription au tableau des maladies professionnelles.

Comment est mesurée la pénibilité du travail ?
Les salariés qui subissent des conditions de travail pénibles bénéficient, depuis le 1er janvier, d’un compte pénibilité. En fonction des facteurs de pénibilité subis dans leur exercice professionnel, ces derniers seront crédités de points qui, chaque année, alimenteront le compte. Ces points leur ouvriront le droit soit de bénéficier d’une formation professionnelle (permettant une reconversion), soit de travailler à temps partiel, voire d’anticiper leur départ en retraite (dans la limite de huit trimestres, soit deux années).

Quels sont les critères de pénibilité reconnus ?
Les quatre critères de pénibilité pris en considération dès 2015 sont les suivants :
 les salariés exposés au travail de nuit : au moins 1 heure de travail entre minuit et 5 h du matin, au moins 120 jours par an ;
 à des gestes répétitifs : trente fois le même geste par minute répété toutes les minutes, pour les cycles de plus d’une minute, trente actions par minute en moyenne pendant au moins 900 heures par an ;
 en horaires alternants : impliquant des périodes de nuit et horaires irréguliers et atypiques de nuit. Durant au moins 50 jours par an ;
 en milieu hyperbare (milieu où la pression est supérieure à la pression atmosphérique). Les salariés concernés sont donc ceux exposés à des risques de façon très intense et prolongée. On observe par ailleurs que les critères définissant la pénibilité du travail de nuit sont plus restrictifs que la définition légale de celui-ci

Comment s’acquièrent les points de pénibilité ?
Quatre points par an, un par trimestre, seront attribués à un salarié exposé à un facteur de risque ; à partir de deux facteurs de risques, seuls huit points seront attribués au salarié. Lors de sa carrière, un salarié ne pourra cumuler plus de 100 points. FO s’oppose à ce plafond car dans un contexte où l’espérance de vie est conditionnée au métier exercé, FO considère comme « révoltant qu’un travailleur bénéficie seulement de deux années d’anticipation pour partir en retraite ».

Comment utiliser les points acquis sur le compte pénibilité ?
Les 20 premiers points acquis par les salariés ne peuvent être convertis qu’en formation professionnelle. Un point correspond à 25 heures de formation professionnelle permettant d’accéder à un poste moins pénible. Ensuite, 10 points peuvent permettre au salarié de bénéficier d’un complément de rémunération pour compenser une réduction du temps de travail de 50 % pendant trois mois. Mais ces 10 points peuvent également permettre au salarié de cotiser un trimestre de moins. Seuls huit trimestres peuvent être accordés à un salarié au titre de la majoration de durée d’assurance. FO souhaite que cette disposition n’ait pas d’impact négatif sur le montant de la retraite complémentaire.

Mathieu Lapprand Journaliste à L’inFO militante

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