Tarifs réglementés de l’électricité : le Conseil d’Etat fait prévaloir l’intérêt général sur la concurrence

Energie par Evelyne Salamero, FNEM FO

Bonne nouvelle. Contrairement à ce qu’il avait décidé pour le gaz, le Conseil d’État a validé le principe de tarifs réglementés de vente l’électricité. Près de 27 millions de ménages peuvent donc continuer d’en bénéficier. Le Conseil d’État a ainsi contrecarré les souhaits des concurrents de l’opérateur historique EDF, seul autorisé à pratiquer ces tarifs. La Confédération FO avait alerté le Premier ministre sur les menaces pesant sur cette réglementation. La fédération FO Energie et Mines se réjouit de la décision de principe du Conseil d’État, une première victoire face à des partisans de la concurrence libre et non faussée qui de leur côté sont loin d’abandonner la partie.

Depuis 2007, les petits consommateurs d’électricité (particuliers, artisans, commerçants et professions libérales [1]) ont la possibilité, dans le cadre de l’ouverture à la concurrence, de choisir leur fournisseur d’électricité. Seul EDF, l’opérateur historique, peut pratiquer des tarifs réglementés de vente de l’électricité, périodiquement fixés par l’État, ou plus exactement maintenant, ouverture à la concurrence oblige, par la Commission de régulation de l’énergie CRE) sur proposition des ministres en charge de l’Economie et de l’Energie. Au deuxième trimestre 2017, selon la CRE, 84% des 32 millions de foyers raccordés à l’électricité en France, soit près de 27 millions, avaient fait le choix de rester chez EDF pour bénéficier de ces tarifs qui, malgré une tendance à la hausse, restent inférieurs à la moyenne des prix européens de l’électricité.

Les concurrents d’EDF n’ont pas été entendus

Le Conseil d’État a été saisi par Engie (ex GDF-Suez, dont l’État détient tout de même encore le tiers des droits de vote) et l’Anode [2], association qui regroupe les opérateurs privés dits « alternatifs » et dont le chef de file est Direct Energie, entreprise en passe d’être rachetée par le géant pétrolier Total.

Objectif pour ces concurrents d’EDF : faire annuler par le Conseil d’État les tarifs réglementés fixés le 27 juillet 2017 et, au-delà, lui faire invalider définitivement le principe même de ces tarifs réglementés au motif qu’il est contraire aux règles de la libre concurrence imposées par la directive européenne concernant les règles communes pour le marché intérieur de l’électricité (directive 2009/72/CE)

Lors de l’audience du 4 mai, le rapporteur public du Conseil d’État avait proposé que l’institution aille dans le sens de cette demande et juge les tarifs réglementés de vente de l’électricité incompatibles avec le droit européen. Mais, au final, et contrairement à son habitude, le Conseil d’État n’a pas suivi son rapporteur public.

Le Conseil d’État a jugé préférable de « garantir aux consommateurs un prix de l’électricité plus stable que les prix du marché »

Certes, le Conseil d’État rappelle dans son jugement du 18 mai que la réglementation des prix de vente de l’électricité, telle que prévue par le Code de l’Energie français, constitue par sa nature même, une entrave à la réalisation du marché de l’électricité concurrentiel.

Néanmoins, il estime que cette entrave est justifiée, dans un contexte de forte volatilité (des prix sur le marché de gros [3]) et s’agissant d’une énergie non substituable constituant un bien de première nécessité, par la poursuite de l’objectif de garantir aux consommateurs un prix de l’électricité plus stable que les prix du marché.

Le Conseil d’État juge également que la stabilité des prix ne peut être atteinte sans une régulation générale du prix de vente au détail de l’électricité.

Enfin, il ajoute que cette réglementation n’est en rien discriminatoire à l’égard des opérateurs alternatifs dans la mesure où ils ont la possibilité, s’ils le souhaitent, de proposer au consommateur des prix alignés sur les tarifs réglementés.

En revanche, l’institution a tout de même estimé disproportionné le fait que ces tarifs réglementés s’appliquent aussi aux artisans, commerçants et professions libérales, et annulé en conséquence ceux fixés en juillet dernier 2017.

Les opérateurs alternatifs en appellent à la Commission européenne

Mais cela n’a pas suffi à calmer le mécontentement des opérateurs alternatifs qui ne supportent visiblement pas que l’on protège ce bien pourtant de première nécessité face aux aléas du marché.

L’Anode conteste formellement l’analyse économique selon laquelle les tarifs réglementés permettent une meilleure stabilité des prix a ainsi déclaré son président Fabien Choné, direct général délégué de Direct Energie.

L’association, a-t-il précisé, maintient sa demande au gouvernement de supprimer les tarifs réglementés et en appelle à la Commission européenne pour y mettre définitivement fin.

FO se réjouit de cette première victoire

Tout à l’inverse, la fédération FO Energie et Mines s’est, elle, réjouit de cette décision de principe du Conseil d’État qui conforte l’existence des tarifs réglementés de l’électricité et place l’objectif d’intérêt économique général de stabilité des prix au-dessus des exigences de la liberté de marché. Un point essentiel et une première victoire, souligne la fédération.

Evelyne Salamero Ex-Journaliste à L’inFO militante

FNEM FO Énergie et Mines

Notes

[1Consommateurs non domestiques dont la consommation ne dépasse pas 36 kilovoltampères.

[2Association nationale des opérateurs détaillants en énergie.

[3Le marché de gros désigne le marché où l’électricité est négociée (achetée et vendue) avant d’être livrée sur le réseau à destination des clients finals (particuliers ou entreprises). Ses acteurs sont les producteurs d’électricité (qui détiennent les centrales de production) qui négocient et vendent leur production, les fournisseurs d’électricité (qui vendent ensuite l’électricité pour la consommation des clients finals) qui négocient et s’approvisionnent en électricité, les négociants qui achètent pour revendre (ou inversement). Les échanges peuvent se faire sur des bourses, de gré à gré intermédié, c’est-à-dire via un courtier, directement de gré à gré. Les transactions peuvent être purement financières (si le produit induit uniquement un échange financier) ou déboucher sur une livraison physique sur le réseau français.

Sur le même sujet