La Confédération européenne des syndicats dénonce elle depuis plusieurs mois comme très nettement insuffisantes les propositions de la Commission européenne pour renforcer la protection des travailleurs exposés à des agents cancérogènes.
Chaque année, dans la seule Union Européenne, 102 000 salariés perdent la vie parce qu’ils ont été exposés à ces substances sur leur lieu de travail au cours de leur carrière, ce qui représente la majorité (53%) des décès liés à des maladies professionnelles.
Personne ne connaît le nombre exact de travailleurs actuellement exposés à l’échelle européenne, car la seule recherche d’ensemble remonte à 25 ans.
Les ouvriers et les plus jeunes sont les plus exposés
On sait néanmoins que les secteurs les plus concernés sont la maintenance, le bâtiment, la métallurgie, la chimie, mais aussi l’industrie du cuir et du bois (à cause des poussières émanant de ces deux matières) et l’agriculture.
En France, la dernière enquête Sumer [1] a établi que 10% des salariés, soit plus de deux millions, étaient exposés à au moins un produit chimique cancérogène et que plus des deux tiers d’entre eux étaient des ouvriers.
Cette enquête française a également révélé que les plus exposés étaient les plus jeunes, en particulier les moins de 25 ans.
Nombre de substances retenues par Bruxelles : loin du compte
La CES (Confédération européenne des syndicats) plaide pour que l’Union européenne fixe de valeurs limites d’exposition professionnelle
(VLEP) pour au moins 50 substances cancérogènes prioritaires d’ici à 2020.
En décembre dernier, son institut de recherche et de formation,l’ETUI, a publié la liste de 71 agents cancérogènes qui le nécessitent.
On est encore loin du compte. Certes, la Commission européenne a entreprise au printemps dernier la révision, annoncée il y a dix ans, de la directive sur la protection des travailleurs contre les risques liés à l’exposition à des agents cancérogènes ou mutagènes au travail
pour en étendre son champ d’application. Mais, elle ne propose des valeurs limites d’exposition que pour 18 substances au lieu des 25 qu’elle avait promises à l’origine pour 2016 et auxquelles déjà plus de 20 millions de travailleurs seraient exposés.
Le 10 janvier dernier Bruxelles a retiré les vapeurs diesel de la liste auxquelles plus de trois millions de travailleurs sont exposés dans le cadre de leur activité professionnelle, a notamment dénoncé la CES.
Les colorants utilisés dans le secteur de la coiffure n’ont pas non plus été retenus, alors que les partenaires sociaux ont pourtant conclu un accord, souligne l’organisation syndicale européenne.
Autre exemple : les mélanges complexes d’hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) et les huiles pour moteur figurent bien dans le champ d’application de la directive, mais en réalité aucune valeur limite n’a été définie pour ces deux agents cancérogènes.
Valeurs limites d’exposition trop élevées : une autorisation de tuer
De plus, les valeurs limites proposées par la Commission européenne sont très dangereusement élevées.
Ainsi, alors qu’en France la valeur limite d’exposition au chrome hexavalent (ou chrome VI), auquel sont exposés plus d’un million d’ouvriers européens, est de 0,001 milligramme par mètre cube d’air, la commission européenne propose de l’élever à 0,025 mg/m3. Une valeur 25 fois supérieure qui
, indique Le Monde.garantit
un cancer du poumon pour 10 travailleurs exposés, selon les calculs de l’Agence européenne des produits chimiques
Pour Laurent Vogel, juriste et chercheur à l’ETUI, des valeurs limites très élevées aboutissent à des désastres. Les travailleurs ont l’illusion d’être protégés. Dans la pratique, ces valeurs limites se convertissent alors en un autorisation de tuer accordée aux entreprises
.
Ceci explique cela…
Pour fixer les valeurs limites d’exposition qu’elle propose, la Commission européenne s’est appuyée sur les recommandations du « Comité scientifique en matière de limites d’exposition professionnelle à des agents chimiques » (Scientific Committee on Occupational Exposure Limit Values - SCOEL).
Or, une enquête de la journaliste Stéphane Horel [2], publiée le 24 février par le quotidien français Le Monde révèle que 15 des 22 experts de ce comité entretiennent des liens avec des industriels qui utilisent les substances incriminées.
Trois d’entre eux sont directement employés par les groupes BASF (Chimie) et Shell (pétrole et gaz). Un quatrième, dirigeant d’un cabinet de consultants en toxicologie, a pour clients des industriels de la chimie. Un autre est membre d’un groupe mis en place par Monsanto pour défendre le glyphosate, principe actif du Roundup, son herbicide soupçonné d’être cancérogène.
La Commission européenne, elle, n’a vu aucun conflit d’intérêt dans ces liens. Des liens dont elle avait parfaitement connaissance, souligne Stéphane Horel, puisque les membres en question du SCOEL les avaient indiqués dans les déclarations d’intérêts
remplies au moment de leur candidature, et que la journaliste a pu consulter puisqu’il s’agit de documents publics.
L’enjeu est particulièrement crucial pour les États de l’Union Européenne qui ne disposent de valeurs limites d’exposition que pour très peu de substances, voire pour aucune. Le chrome hexavalent par exemple, qui provoque des cancers du poumon, n’est absolument pas réglementé dans cinq États de l’Union, dont l’Allemagne.
Il est prévu que les amendements du Parlement européen pour abaisser les valeurs limites d’exposition soient définitivement votés en séance plénière en avril prochain. Le texte final devra ensuite être adopté par le Parlement et le Conseil de l’Union européenne dans le courant de l’année.