Au cinéma cette semaine, rencontre avec deux femmes qui vont exploiter plus précaires qu’elles pour s’en sortir. Dans Un automne à Great Yarmouth, de Marco Martins, Tânia, portugaise installée au Royaume-Uni, rêve de transformer son hôtel plus que miteux en hébergement de tourisme pour retraités britanniques à la pension confortable. Pour ce faire, elle a monté une filière : elle fait venir des compatriotes pour travailler clandestinement dans les abattoirs de dindes de Great Yarmouth (Norfolk), prélevant au passage le loyer de leur hébergement et les frais du transport.
De son côté, Antisquat met en scène Inès, agent immobilier indépendant en banlieue parisienne sur le point de se faire expulser de son appartement. Elle doit absolument trouver un CDI pour se reloger. Elle est engagée par une entreprise qui propose de l’hébergement temporaire à faible coût dans des bâtiments vides, en attente de revente ou de restructuration. Charge à elle de recruter des résidents – principalement des salariés (un professeur, une infirmière, un chauffeur de VTC…) – et de faire respecter un règlement drastique : pas d’invités, pas d’enfants, moins d’une semaine pour quitter les lieux à l’issue du « contrat », pas de micro-ondes dans les « chambres » qui sont d’anciens bureaux détournés de leur fonction… Pour un Smic, elle doit même vivre sur place, dans les mêmes conditions.
Deux histoires ancrées dans l’actualité
Toutes deux sont prises entre le marteau et l’enclume. Pour Tânia (l’excellente actrice Beatriz Batarda), qui se fait appeler Maman par les travailleurs portugais, l’hôtel est la seule perspective de sortie d’un mariage médiocre, dans sa petite station balnéaire déclassée. Elle mène une vie peu enviable, au rythme du travail des ouvriers, dans l’inhospitalité des abattoirs et exposée au comportement xénophobe de son mari. Son personnage a été inspiré par celui d’une femme existant réellement. Le personnage a pris forme après de longues recherches du réalisateur Marco Martins sur les conséquences des politiques néolibérales et des crises économiques successives qu’elles engendrent.
Inès (jouée par Louise Bourgoin), se doit, elle, de mettre à l’abri son fils de 14 ans dont elle assume seule l’éducation. Ce fils qui sera le premier à lui faire prendre conscience de l’immoralité de sa nouvelle fonction, notamment dans son rôle de surveillance. Lorsque son employeur lui demande, prolongeant indéfiniment son CDD, de mettre fin au contrat des résidents bien avant le terme prévu pour vendre l’immeuble de bureaux, elle tentera de résister. L’intérêt d’Antisquat – outre la révélation du jeune acteur-rappeur Samy Belkessa – est aussi que le film repose sur une expérimentation lancée en France depuis 2009 et pérennisé par la loi dite « antisquat » promulguée le 26 juillet 2023, même si les règles d’occupation y sont moins drastiques et les personnes hébergées en besoin d’insertion.
Aux prises avec leur conscience, Tânia – qui porte sur son visage et jusque dans sa maigreur la souffrance qu’elle impose à ses « pensionnaires » – comme Inès se laissent parfois attendrir, au risque de tout perdre. Au fond, elles ne sont pas dupes de l’impasse dans laquelle elles se trouvent.
Les deux films campent deux ambiances cependant bien différentes. Une photographie obscure, un tempo très lent et un film où l’atmosphère installe d’elle-même la condamnation des conditions imposées aux plus précaires pour Un automne à Great Yarmouth. Une image plus froide, une intrigue davantage frontale et accessible à un plus large public pour Antisquat.
Antisquat, Nicolas Silhol, 95 min, en salle depuis le 6 septembre.