Quelles sont les stratégies des syndicats face au défi environnemental ? L’Institut de recherches économiques et sociales (Ires) invitait, le 6 février, chercheurs et syndicalistes à répondre à cette question au cours d’un colloque qui se déroulait à Paris. Une rencontre faisant relai à la parution d’un numéro de la Chronique internationale (n°184) de l’Ires consacré au sujet.
Dans sa grande majorité (CISL, CSI, CES), le mouvement syndical international prône la « transition juste ». A savoir, exposent Thomas Coutrot et Cristina Nizzoli, chercheurs à l’Ires, dans un article introductif, la nécessité, pour ces organisations, de réduire rapidement les émissions de gaz à effet de serre et les pollutions qui menacent la biodiversité
, et peser pour que les politiques publiques protègent les salariés des secteurs les plus touchés par la transition et [qu’elles] soutiennent l’investissement dans des secteurs verts [...]
.
Cela étant, constatent les deux chercheurs, les stratégies syndicales sont diversifiées et cela renvoie à l’histoire. Pendant la majeure partie du XXe siècle, analysent-ils, les syndicats (à l’échelon international) ont suivi le développement économique dans des secteurs et entreprises particulièrement polluants et se distinguant par un « engrenage de production ». La question climat-écologique n’étant pas encore posée comme elle l’est aujourd’hui. L’implication syndicale dans la question écologique est alors stimulée par la conscience des risques pour la santé des travailleuses
expliquent Thomas Coutrot et Cristina Nizzoli qui rangent les stratégies syndicales vis-à-vis de la préoccupation environnementale en quatre catégories : le déni ; le freinage ; l’engagement dans l’économie verte (vers des technologies moins polluantes) ; l’engagement dans la post-croissance. Le déni, il y en a peu
, constatera Frédéric Lerais, directeur de l’Ires, à l’issue du colloque.
Des difficultés selon les secteurs et les époques
Dans l’industrie, la position des syndicats vis-à-vis de l’environnement est forcément difficile, a fortiori dans un pays comme l’Allemagne, dont 28% des emplois relèvent de l’industrie. Marcus Kahmann, chercheur à l’Ires, constate qu’en Allemagne l’engagement syndical en faveur de l’environnement est corrélé aux cycles économiques. La confédération allemande des syndicats (DGB) présente ses premières revendications environnementales en 1972. Après la crise économique qui suit la réunification, l’impératif devient la sauvegarde de l’emploi
, explique Marcus Kahmann. Pendant la crise de 2009, le gouvernement adopte une mesure de prime à la casse pour l’achat d’une voiture neuve. Le syndicat IG Metall (2,2 millions d’adhérents dont un tiers dans l’automobile) demande du temps pour la transition industrielle
, indique le chercheur. Puis, lorsque la situation économique devient plus favorable, dans les années 2010, IG Metall soutient l’électrification des moteurs. Aujourd’hui, le syndicat prône une double transformation, numérique et écologique.
La difficulté entre défense de l’environnement et défense de l’emploi est aussi particulièrement visible par exemple en Belgique. Chercheur en sociologie à l’Université libre de Bruxelles, Douglas Sepulchre travaille sur la Confédération des syndicats chrétiens (CSC) et sur la Fédération générale du travail de Belgique (FGTB). Ces deux syndicats, indique-t-il, s’emparent des questions environnementales dans les années 1980, d’abord par le biais des questions de santé. Puis à partir des années 1990, ils adoptent des approches plus larges de « développement durable » et de « transition juste ». Autour des années 2010, une critique du productivisme commence à poindre dans les discours syndicaux analyse Douglas Sepulchre. Dans les entreprises, les syndicats disposent de nouvelles compétences environnementales à partir des années 1990, mais elles se limitent à de l’information-consultation et ne doivent pas toucher aux marges des entreprises
, explique le chercheur.
Pour FO, la nécessité de politiques publiques
Invitée à intervenir lors de ce colloque de l’Ires, Béatrice Clicq, secrétaire confédérale au secteur de l’Egalité et du Développement durable, rappelle que l’expression de la préoccupation de FO pour les questions environnementales date de la fin des années 1970. L’engagement de la confédération va ensuite crescendo en même temps que le dérèglement climatique se confirme et que se multiplient les rapports d’experts
. La transition
, explique Béatrice Clicq. D’autre part, la transition vers davantage de sobriété ne peut pas concerner tout le monde de la même manière puisque certains consomment déjà beaucoup
et d’autres moins. Pour FO, l’enjeu est de concilier les actions pour sauver l’humanité et les intérêts des travailleurs
. Cela suppose des politiques publiques pour accompagner la transition, de la Recherche pour améliorer les systèmes de production afin qu’ils consomment moins et de ne pas être défaitiste
.
Béatrice Clicq évoque ainsi les cas des centrales à charbon de Cordemais (Loire-Atlantique) et de Saint-Avold (Moselle), où FO s’est fortement investie. Ces centrales doivent fermer en 2027. FO met ce temps à profit pour accompagner les salariés et les sites
, explique-t-elle. A Cordemais, l’État est d’accord pour reconvertir l’usine vers de la biomasse, suite à la mobilisation des salariés et des collectivités locales
. Pour la reconversion de Saint-Avold, il y a deux options : la biomasse ou l’hydrogène vert
. Des emplois vont être sauvés sur ces deux sites, mais quand ces situations vont se multiplier au niveau national, il faudra l’aide de l’État
», plaide-t-elle.
Béatrice Clicq rappelle par ailleurs plusieurs actions de FO vers ses militants, élus dans les entreprise. Créé en 2019, un groupe de travail confédéral sur le climat et l’environnement va de publier un guide sur le sujet. Un autre sur la mobilité durable verra prochainement le jour. De même, FO, suite à la loi Climat et résilience du 22 août 2021 qui ajoute aux CSE de nouvelles missions environnementales, y a répondu en mettant en place des formations dans le cadre du Centre de formation de militants syndicalistes pour aborder le rôle des élus et leur donner les moyens d’actions.
Béatrice Clicq souligne aussi le fait que si FO n’a pas signé l’accord national interprofessionnel sur la transition écologique et le dialogue social du 11 avril 2023, c’est parce qu’il manque d’impulsion
. Sa mise en œuvre repose en effet sur la bonne volonté des entreprises. Ce qui ne convient aucunement à FO.