Sûreté nucléaire : une fusion dans la confusion

InFO militante par Thierry Bouvines, L’inFO militante

© Gilles ROLLE/REA

La fusion de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) dans l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a été retoquée en première lecture par les députés. Militant FO à l’ASN, Matthias Farges met en garde contre une fusion qui se ferait sans les salariés.

Il faut rapidement aborder les conditions de travail des salariés de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), que le gouvernement veut fusionner dans l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), si on ne veut pas qu’ils s’en aillent. C’est la position qu’a défendue le Syndicat national des ingénieurs de l’industrie et des mines (Sniim-FO) devant le cabinet de la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, début mars.

Nous ne sommes pas contre cette fusion, mais nous craignons une déstabilisation de la structure s’il y a des départs de personnels, explique Matthias Farges, secrétaire général adjoint du Sniim, le syndicat du corps des ingénieurs de l’industrie et des mines, membre de l’Union nationale des syndicats professionnels (UNSP) FO, et seul syndicat représentatif à l’ASN.

Le 8 février, par un simple communiqué, le gouvernement annonce que les compétences techniques de l’IRSN seront réunies avec celles de l’ASN. La fusion doit être actée par la loi d’accélération du nucléaire. Les députés l’ont retoquée en première lecture le 15 mars mais le texte va poursuivre son cheminement parlementaire. Une réforme rapide, introduite dans le projet de loi par amendement alors que le texte avait déjà été examiné par le Sénat en première lecture. Trop rapide, compte tenu de l’importance du sujet.

L’ASN (...) n’a pas la force de frappe de l’IRSN

L’IRSN est un établissement public industriel et commercial (Epic) à qui le législateur a confié des missions d’expertise et de recherche dans divers domaines du nucléaire. L’institut doit notamment apporter un appui technique à l’ASN. Concrètement, l’ASN, chargée du contrôle de la sûreté nucléaire (550 salariés, fonctionnaires en majorité) saisit l’IRSN (1 700 salariés de droit privé, essentiellement des chercheurs, des ingénieurs et des doctorants) lorsqu’elle a besoin d’un avis technique. L’ASN dispose d’une expertise interne mais n’a pas la force de frappe de l’IRSN, explique Matthias Farges.

Le projet du gouvernement de créer un « pôle unique » renforce donc l’expertise de l’ASN. Il s’agit, explique-t-il dans son communiqué, de renforcer l’indépendance du contrôle en matière de sûreté nucléaire ; de fluidifier la prise de décision de l’ASN ; d’augmenter les synergies en matière de recherche et développement ; de garantir l’excellence des équipes techniques et scientifiques. Pour Matthias Farges, l’objectif principal poursuivit par le gouvernement est d’accélérer l’instruction des dossiers en sollicitant une seule institution au lieu de deux, dans un contexte de relance du nucléaire.

Rendre le transfert attractif

Mais pour que la fusion fonctionne et engendre les effets espérés, encore faut-il que les salariés de l’IRSN acceptent d’être transférés à l’ASN. Ce n’est pas le cas pour le moment. Plusieurs centaines se sont mis en grève et ont manifesté contre le projet, qu’ils estiment précipité et portant atteinte à leur indépendance, rapporte l’AFP. Les salariés sont inquiets parce qu’ils sont dans le flou, analyse Matthias Farges. Le militant FO souligne l’écart entre les statuts des salariés des deux institutions. Fonctionnaires habilités pour des missions régaliennes d’un côté ; salariés de droit privé avec une forte expertise de l’autre. En passant à l’ASN, les salariés de l’IRSN intégreraient la fonction publique comme contractuels « de droit privé » et non de droit public, précise Matthias Farges. Au cours de ce transfert, les salariés perdraient leur comité d’entreprise et l’épargne salariale. Les salariés risquent d’être perdants socialement et professionnellement, je comprends qu’ils n’aient pas envie de venir à l’ASN, déclare Matthias Farges. Certes le gouvernement garantit que leurs rémunérations seront préservées. Mais les salaires à l’IRSN ne sont plutôt bas, explique-t-il.

Pour rendre l’ASN attractive, le Sniim-FO propose de prendre le meilleur des deux statuts. Sur concours ou par titularisation, les salariés de l’IRSN intégreraient le corps des mines ; ils seraient ainsi habilités à réaliser des missions de contrôle nucléaire ; leurs rémunérations seraient plus élevées qu’actuellement ; leur carrière assurée. L’équivalent d’un comité d’entreprise serait créé à l’ASN ainsi qu’un intéressement sur la performance du service.

Dans cette période de flottement, faut-il craindre une fuite des cerveaux ? Trop de départs réduirait l’expertise à disposition de l’ASN et sa crédibilité, explique Matthias Farges. Les industries du nucléaire (Orano, EDF) recherchent des compétences, qu’elles sont prêtes à bien rémunérer. Mais si les salariés de l’IRSN avaient voulu partir pour aller dans l’industrie, ils l’auraient déjà fait, objecte Matthias Farges. Selon lui, les décisions seront plutôt fonction de l’intérêt du poste.

Thierry Bouvines

L’inFO militante Le bimensuel de la Confédération