Discrimination liée aux origines : l’emploi privé en première ligne

InFO militante par Béatrice Clicq, Elie Hiesse

HAMILTON/REA

Dans un rapport dénonçant la dimension systémique en France des discriminations liées aux origines, le Défenseur des droits rappelle qu’elles sont les plus massives dans l’emploi privé. Il déplore l’insuffisance des politiques publiques et propose de mettre plus à contribution les entreprises.

C’est un constat très sévère qu’a livré, dans son dernier rapport sur les discriminations liées à l’origine, le Défenseur des droits Jacques Toubon avant de quitter l’autorité administrative indépendante après un mandat de six ans. Publié dans un contexte de mobilisation mondiale contre le racisme, fin juin, le document de 80 pages tire la sonnette d’alarme sur la situation hexagonale : il pointe la dimension systémique en France des discriminations liées aux origines et des politiques publiques incapables de se saisir du sujet, notamment sur le marché du travail, premier champ à être concerné.

Des discriminations persistantes depuis une dizaine d’années

Toutes les études scientifiques convergent : la sphère professionnelle, que l’on désigne l’accès à l’emploi ou le déroulement de carrière, est le domaine où les discriminations liées à l’origine sont les plus massives. Plus de 50% des discriminations déclarées s’y produisent. Les saisines du Défenseur des droits l’attestent. En 2019, parmi toutes celles reçues pour discrimination liée à l’origine, 35,5% relevaient de l’emploi privé et 24,4%, de l’emploi public.

La situation n’a pas évolué dans le bon sens depuis la crise de 2008. Au contraire, note le rapport, le Baromètre de la perception des discriminations dans l’emploi, réalisé annuellement par le Défenseur des droits et l’Organisation internationale du travail, atteste de la persistance des discriminations liées à l’origine dans le domaine professionnel depuis une dizaine d’années.

Toutes les étapes de la vie professionnelle affectées

Ces discriminations affectent les différentes étapes de la vie professionnelle, dès l’accès au stage ou contrat d’apprentissage. Elles se traduisent par une insertion compliquée sur le marché du travail, des rémunérations inférieures, des conditions de travail dégradées, des chances plus faibles d’accéder à une promotion ou aux emplois mieux rémunérés.

Au point d’obliger ces travailleurs discriminés à des stratégies de contournement, qu’ils s’orientent vers une profession en tant qu’autoentrepreneur ou libéral, un emploi dans des secteurs ayant une forte proportion de personnes immigrées ou descendantes d’immigrés. Ou bien, pour certains, vers l’expatriation dans des pays plus ouverts à la différence.

L’insuffisance des politiques publiques

Pour le Défenseur des droits, face à cette situation, les politiques publiques contre les discriminations liées à l’origine n’ont pas apporté de réponses adaptées.

Il pointe leur insuffisance et déplore qu’elles se soient effacées au profit de concept flou, comme la promotion de la diversité (qui n’est pas une notion juridique). Pour quel résultat ? Une reconfiguration trop peu contraignante du répertoire d’action des entreprises et des administration, martèle-t-il, évoquant la signature de chartes ou la candidature à un label.

FO engagée de très longue date

Ce constat est partagé par Béatrice Clicq, secrétaire confédérale FO au secteur de l’égalité, chargée de la lutte contre les discriminations. Les dispositifs de lutte contre les discriminations liées à l’origine en entreprise sont trop peu contraignants. Ils privilégient l’affichage à l’action, en s’appuyant sur des politiques volontaires et des outils de « soft law » (droit mou, ndlr) tels les chartes ou le label, commente la militante.

Elle privilégie la mise en place de véritable plan d’action avec des objectifs précis et des méthodes d’actions concrètes dans le cadre d’accords négociés. Engagée de très longue date dans la lutte contre les discriminations et le racisme, signataire en 2006 de l’Accord national interprofessionnel (ANI) sur la diversité, FO mène cette lutte dans les entreprises et a paraphé 68 des 168 accords diversité recensés. FO mène également le combat au sein de l’organisation, par la formation des militants syndicaux sur les discriminations liées à l’origine.

Le non-recours massif aux voies judiciaires

Dans son rapport, le Défenseur des droits souligne encore les limites des voies contentieuses. Parmi les personnes ayant rapporté avoir vécu une discrimination dans l’emploi en raison de leur origine, seuls 12% environ ont entamé une démarche judiciaire, rappelle-t-il. En cause : la difficulté à prouver la discrimination, la faiblesse des sanctions et des indemnités.

Pour sortir de cette situation, l’autorité indépendante fait plusieurs propositions, dont un allègement de la preuve de la discrimination en matière pénale, un renforcement de la statistique publique, des campagnes nationales de « testing » ou encore, dans les entreprises, la mise en place obligatoire d’indicateurs non-financiers, permettant de mesurer l’état des discriminations liées à l’origine, qui soient accompagnés de plans d’actions pluriannuels.

L’urgence d’agir

Pour le Défenseur des Droits, la lutte contre les discriminations liées à l’origine doit devenir une politique prioritaire ambitieuse, à l’image de celle initiée en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes.

Et il y a urgence d’agir, pour reprendre le titre du rapport. Exacerbées pendant la crise sanitaire, les discriminations subies par les personnes d’origine étrangère (ou qui sont perçues comme telles) risquent de s’amplifier avec la crise de l’emploi post-covid.

Béatrice Clicq Secrétaire confédérale au Secteur de l’Egalité et du Développement durable

Elie Hiesse Journaliste à L’inFO militante

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