Inclusion à outrance = maltraitance.
Sur les pancartes visibles dans la manifestation parisienne du 25 janvier, la détresse des professeurs et des accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH) était criante. Ils étaient des milliers, venus de toute la France à l’appel de FO, à s’être déplacés pour dénoncer l’immense écart existant entre le discours du gouvernement sur « l’école inclusive » et l’absence de moyens alloués à cette politique.
Cette démarche, qui consiste à prôner l’accueil à l’école de tous les enfants quels que soient la nature et le degré de leur handicap, est une utopie
, estime Clément Poullet, secrétaire général de la Fédération nationale de l’enseignement, de la culture et de la formation professionnelle (FNEC-FP-FO). Il faut en finir avec ce dogme, qui se heurte aujourd’hui à la réalité, poursuit-il. En fonction de leur handicap, tous les enfants ont droit à des soins et à des enseignements spécialisés. Nous devons arrêter la maltraitance institutionnelle.
Les établissements spécialisés saturés
Dans le cortège, un jeune professeur des écoles (qui souhaite rester anonyme) acquiesce : L’école n’est pas en mesure de proposer un cadre serein à certains élèves en souffrance, qui font des crises à longueur de journée en impactant les apprentissages des autres.
Face à ce quotidien intenable pour les enfants comme pour les salariés, FO formule plusieurs revendications, à commencer par le retrait de l’acte 2 de l’école inclusive, par lequel le gouvernement veut accélérer la dynamique à partir de septembre 2024.
Cela ne signifie pas que nous serions contre l’inclusion,
La défense de l’enseignement spécialisé figure donc parmi les priorités de FO : plusieurs structures, telles les Instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques (ITEP) et les Instituts médico-éducatifs (IME), sont saturées et ne peuvent plus prendre en charge tous les jeunes qui en auraient besoin. Défendre les structures adaptées revient à défendre les élèves les plus en difficulté et à défendre l’école publique
, poursuit Frédéric Souillot.
Classes perturbées et professeurs déboussolés
23 000 enfants à qui la MDPH
Claire Retault, professeure des écoles remplaçante depuis huit ans, a constaté la dégradation de la situation. Il y a quinze jours, j’ai travaillé dans une classe ULIS
Non loin d’elle, une pancarte résume le problème : Je suis prof : assistante sociale, psy, aide-soignante, éducatrice, flic, nounou épuisée… et rarement, j’enseigne.
Nathalie, AESH : J’aime mon métier, mais…
Outre le retrait de l’acte II de l’école inclusive et la défense de l’enseignement spécialisé, un troisième mot d’ordre est scandé par la foule tout au long de la manifestation : Un vrai statut et un vrai salaire pour les AESH.
Actuellement contractuels, ces professionnels – des femmes en grande majorité – travaillent dans des conditions de plus en plus dégradées et pour un salaire déplorable : 950 euros par mois pour 24 heures hebdomadaires. On est confrontées à des enfants de plus en plus difficiles, et nombreux, et on n’obtient aucune reconnaissance de l’État : ni statut, ni salaire convenable
, déplore Alexandra Rauzier, qui doit faire des ménages entre midi et 14 heures en plus de son travail, pour pouvoir vivre. Certaines gardent des enfants le soir après la classe, d’autres encore peuvent compter sur un conjoint dans une situation moins précaire.
Au titre de la mutualisation, les AESH sont amenées à accompagner plusieurs élèves à la fois. On a parfois jusqu’à sept enfants à gérer dans la semaine, pas toujours dans la même école, donc on ne peut pas leur accorder les heures décidées par la MDPH
, explique Valérie Ouvrard. Nathalie Prince, elle aussi AESH, abonde dans ce sens : J’aime mon métier, j’aime le contact avec les enfants. Mais quand je dois passer une heure et demie avec quatre élèves différents dans la même journée, je vois bien que je ne sers plus à rien.
Au-delà des soixante heures initiales au moment de leur embauche, aucune formation ne leur est dispensée. Certaines fabriquent elles-mêmes du matériel d’adaptation pour leurs élèves ayant des besoins spécifiques, se renseignent sur Internet sur la prise en charge des enfants avec autisme, bref : elles bricolent avec des bouts de ficelle, sans soutien de leur hiérarchie.
Force ouvrière demande que ces professionnelles soient reconnues comme fonctionnaires et que les 24 heures hebdomadaires qu’elles assurent soient considérées comme un temps plein, leur permettant de vivre décemment. Faute de se sentir entendues et respectées par l’État, de nombreuses AESH font part de leurs doutes : si rien ne change, certaines envisagent de quitter l’Education nationale.