Education : le SNUDI-FO dénonce le scandale des mutations refusées

InFO militante par Chloé Bouvier, L’inFO militante

Pour être affectés dans un autre département, les professeurs sont soumis à un système basé sur un barème de points. Mais, depuis plusieurs années, ce système est grippé. Dans le premier degré, les demandes de mutation entre départements ont été refusées à presque 80 % en 2022. Un phénomène qui augmente et conduit à des situations de mal-être pour les agents, estime le Snudi-FO, syndicat dans le premier degré.

C’est un mal trop bien connu des enseignants mais peu évoqué hors de l’Education nationale. Chaque année, des professeurs qui formulent leur demande de mutation se voient opposer un refus, le plus souvent sans qu’on leur en explique les raisons. C’est un scandale ancien, mais l’on constate que le phénomène s’amplifie chaque année, observe Frédéric Volle, secrétaire général du Snudi-FO lors d’une conférence de presse sur le sujet le 30 novembre.

Au niveau du collège et du lycée, le recrutement est national et les lauréats des concours sont affectés sur le territoire national, en fonction des besoins dans leur discipline. Dans le premier degré, les enseignants sont recrutés au niveau académique : les candidats passent le concours dans l’académie et, s’ils sont reçus, ils sont affectés dans l’un des départements qui la composent. Ceux qui souhaitent changer de département ou d’académie par la suite, doivent se soumettre à une demande basée sur un barème de points. Lorsqu’un enseignant commence sa carrière, il en a 14. Le nombre augmente ensuite avec l’ancienneté, paramètre auquel s’ajoute le fait d’avoir enseigné ou non en zone prioritaire ainsi que la prise en compte de la situation familiale.

Lorsque l’on demande une mutation pour rapprochement du conjoint, le nombre d’années d’éloignement est pris en compte, détaille Véronique Maury, trésorière du Snudi-FO. La première année, on comptabilise 50 points contre 450 la 4e année. Mais ce barème demeure flou aux yeux des premiers concernés. D’autant qu’en plus, leur demande de mutation doit être validée par leur rectorat d’origine et le rectorat d’arrivée.

Des « départements prisons »

En 2021, 43 % des 26 000 professeurs demandant à changer d’académie ont obtenu satisfaction, contre un peu plus de 45 % en 2019, et 55 % en 2015, selon les bilans sociaux du ministère. Dans le premier degré, les demandes de mutation entre départements ont été refusées à presque 80 % en 2022. Et le phénomène est en hausse constante depuis dix ans : en 2010, ces refus concernaient 63 % des demandes.

Plus de la moitié des demandes de mutation de l’année 2021 émanaient d’enseignants travaillant en Ile-de-France, notamment dans les académies de Créteil et de Versailles. Ces académies sont les moins attractives, mais également celles où l’on compte le plus d’élèves. Pour les professeurs des écoles qui demandent leur mutation depuis parfois plus de 5 ans sans l’obtenir, les départements franciliens s’apparentent à des prisons, estime Vincent Sermet, secrétaire départemental du Snudi-FO 95. Or, les raisons des demandes de mutations sont multiples et en cas de refus, les conséquences sont lourdes. Il y a par exemple des personnes qui ne peuvent se rapprocher de leur conjoint, d’autres qui aident leurs parents se retrouvent à devoir les aider à distance... énumère le syndicaliste.

Une situation paradoxale alors que le recours aux contractuels augmente

Dans un contexte où l’on voit augmenter le recours aux contractuels dans l’Éducation nationale, ces refus de mutation ont d’autant plus de mal à passer auprès des agents. Lorsqu’un collègue se voit refuser sa mutation par le Dasen du département qu’il demande alors que ce département-là recrute des professeurs contractuels, c’est d’une violence inouïe, pointe Véronique Maury. Et même lorsqu’il n’y a pas assez d’enseignants, contractuels comme fonctionnaires, les mutations sont refusées. On préfère laisser une classe sans enseignants plutôt que de permettre à un agent de voir ses vœux de mutation réalisés, témoigne Stéphanie qui enseigne dans la Haute-Garonne. Le département ne veut pas laisser partir le peu d’enseignants qu’il a.

Certains choisissent de se mettre en disponibilité, un statut qui suspend la carrière et interdit temporairement de travailler pour l’Education nationale. Sandra a fait ce choix, notamment pour suivre son compagnon. Lorsque j’emmène mes enfants à l’école, je vois que l’enseignant est absent mais pas remplacé. Moi, je suis là, je ne demande qu’à travailler dans ce département mais on me le refuse. Et je me retrouve à ne plus enseigner alors qu’on est en pleine crise de recrutement. En 2021, plus de 22 000 enseignants étaient en disponibilité, dont 8 800 pour rapprochement de conjoint. Certains avaient demandé une mutation.

Réinjecter de l’humain dans la gestion des mutations

Ces refus aboutissent à des situations exténuantes pour les enseignants. Tous les jours, Marion qui a suivi son compagnon et ses enfants dans le Puy-du-Dôme, fait un trajet de plusieurs centaines de kilomètres pour aller enseigner dans son école de Gironde. J’ai demandé plusieurs fois ma mutation sans jamais l’obtenir. Avec la route, je suis épuisée. Franchement, je ne demande pas grand-chose, j’aime mon métier. Je veux juste enseigner sans devoir quitter ma famille. Si les enseignants savent, en passant le concours du public, qu’ils ne peuvent choisir leur premier lieu d’exercice, ils sont à mille lieux de penser qu’ensuite, leur situation d’affectation ne peut évoluer, cela de par un mouvement sclérosé.

Pour le Snudi-FO, l’enjeu est donc avant tout de réinjecter de l’humain dans ces décisions. L’histoire de Christelle le montre : l’institution traite ses personnels avec une froideur administrative des plus cruelles. Ce professeur des écoles, qui enseigne en Seine-Saint-Denis, est atteinte d’une maladie rare depuis près de 7 ans. Je suis censé m’éloigner des grandes villes et j’ai donc formulé plusieurs demandes pour quitter le 93. J’envoie mon dossier pour voir la médecine de prévention mais l’on refuse de me voir. On nie mon existence et ma maladie. Les enseignants reconnus en situation de handicap obtiennent 800 points sur le barème pour les mutations, à condition que celle-ci soit reconnue par le médecin de prévention. J’ai sollicité les services départementaux qui me disent que ce n’est pas de leur compétence mais du coup je me retrouve seule, observe l’enseignante, dégoutée.

La gestion des mutations a par ailleurs changé avec la perte de compétences en ce domaine des commissions administratives paritaires/CAP dans lesquelles siégeaient les syndicats, qui intervenaient dans le processus de mutation. Cette suppression de prérogatives des CAP (au profit de lignes directrices de gestion, soit un système individualisé) a été actée par la loi de la Transformation de la Fonction publique du 6 août 2019. Si cette loi n’a pas franchement pesé sur les chiffres, elle a créé davantage de méfiance pour les collègues envers le système qui est plus opaque, souligne Vincent Sermet. On est passé d’une gestion collective à une gestion plus individuelle, entre chaque collègue et son rectorat. Le rôle du syndicat, même différent, est toujours aussi important pour accompagner chacun dans les méandres de ce nouveau système.

Un poids sur l’attractivité du métier

Alors que la solution la plus logique serait le recrutement d’enseignants supplémentaires, notamment afin de fluidifier le mouvement, cette gestion des mutations bloque les aspirations des futurs enseignants. Elle constitue de plus en plus un frein au recrutement, note la médiatrice de l’Education nationale, Catherine Becchetti-Bizot, dans son rapport de 2021. Certains étudiants en master Meef (métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation) choisissent le privé pour éviter cette assignation territoriale. D’autres choisissent, sans passer le concours, de devenir contractuels pour être recrutés dans le département de leur choix. Le serpent continue donc de se mordre la queue et l’institution organise, consciemment ou non, sa propre dégradation.

Il faudrait remettre à plat le système d’affectation et de mutation, sereinement et sans idéologie, et être capable de reconnaître les compétences et l’expérience acquise, alors que de plus en plus de professeurs possèdent une première carrière professionnelle dans un autre secteur, estime Catherine Becchetti-Bizot. Pour sa part, le Snudi-FO demande de véritables actions, susceptibles d’avoir un impact positif sur la question des mutations. Pourquoi ne pas accorder systématiquement la mutation d’un collègue lorsqu’il la demande depuis quatre ans ?, questionne, en forme de proposition, Véronique Maury. Et déjà, quatre ans c’est énorme...

Chloé Bouvier

L’inFO militante Le bimensuel de la Confédération

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