Nouveau coup dur pour le pouvoir d’achat des salariés français. 2023 débute par l’explosion de leur facture d’énergie, en raison du réajustement du bouclier tarifaire mis en place en 2021 par l’exécutif pour contenir les conséquences de la flambée des cours des prix du gaz et de l’électricité dans le contexte d’inflation et de guerre en Ukraine. La note est salée, entre la fin de la « remise carburant » de 10 centimes par litre, le relèvement de 15 % du tarif réglementé du gaz et, en février, de 15 % de celui de l’électricité. Autre peine, la menace de pénurie et de coupures d’électricité tournantes, agitée depuis l’automne, n’est pas totalement écartée. RTE (l’opérateur national de transport d’électricité) reste prudent : son dernier bilan abaisse le niveau de risque de élevé
à moyen
pour la première partie de janvier. Sous réserve, cependant, que les Français continuent à faire des efforts de sobriété
énergétique (ne pas chauffer à plus de 19°C, éteindre leurs appareils non utilisés,...), comme les y enjoint l’exécutif. Complet retournement au pays du nucléaire : voilà les petits éco-gestes individuels devenus les garants de pouvoir passer l’hiver
, au chaud et éclairé !
Explosion de 189 % de la facture énergétique française
Cette situation inédite, qui interroge la souveraineté énergétique française, a de multiples raisons. Conjoncturelle : l’envolée des prix du pétrole et du gaz, qui est liée à la guerre en Ukraine et aux conséquences des sanctions à l’égard de la Russie (premier fournisseur de l’Europe de l’Ouest), n’a pas épargné la France qui ne produit aucune de ces trois énergies fossiles et importe la quasi-totalité de sa consommation. Sa facture énergétique a flambé de 187 %, à 96 milliards d’euros en 2022, a appris la commission d’enquête parlementaire, en cours, sur les raisons de la perte de souveraineté énergétique
. Rien de surprenant : les produits pétroliers représentent 42 % de l’énergie finale consommée par les Français, le gaz 20 % et le charbon 1 %. Le reste relève de la production nationale, notamment l’électricité qui représente 25 % de l’énergie finale consommée. Exception tricolore, celle-ci est produite à plus de 92 % par des sources n’émettant pas de gaz à effet de serre, parmi lesquelles le nucléaire à 69 %, l’hydraulique à 12 %, l’éolien et le solaire à 10 %.
Autre secousse : ce volume total d’électricité décarbonée a dévissé en 2022, alors qu’il était globalement stable
depuis les années 2000 selon RTE. Car le nucléaire a manqué à l’appel. En septembre, 28 des 56 réacteurs exploités par EDF étaient à l’arrêt pour maintenance programmée ou travaux (problèmes de corrosion sous contrainte sur certains réacteurs). La production d’EDF, déjà descendue de 430 à 361 térawattheures (TWh) entre 2005 et 2021, en raison d’opérations de maintenance et de la fermeture définitive en 2020 des deux réacteurs de 900 MW de la centrale de Fessenheim (Haut-Rhin), a chuté d’un nouveau palier, à 280 TWh en 2022. Le plus bas seuil depuis trente ans, équivalent à près de 60 % de la capacité de production théorique du parc !
La France, historiquement exportatrice d’électricité, contrainte d’en importer
Un séisme n’arrivant jamais seul, les barrages ont souffert de la sécheresse. Avant même les pics de l’été, EDF constatait que la production d’électricité hydraulique – étale depuis trente ans – était inférieure de 23 % à celle de 2021. Mais impossible de s’appuyer, pour suppléer, sur le solaire et l’éolien : bien qu’en progression continue depuis le milieu des années 2000, ces productions représentaient à peine 51,1 TWh en 2021, à elles deux. Il est vrai qu’elles auraient dû être plus élevées. Sauf que, parmi tous les États membres de l’Union européenne, la France est le seul à ne pas avoir atteint en 2020 l’objectif de porter à 23 % la part d’énergies renouvelables dans sa consommation finale brut d’énergie...
Face au scénario du pire, l’exécutif, qui avait fait fermer depuis 2021 trois des quatre unités encore actives de production d’électricité à partir du charbon et programmé la fermeture des autres ou leur conversion, afin de tenir son engagement de sortie du charbon d’ici 2022, a décidé de rouvrir la centrale mosellane de Saint-Avold. Pour six mois, officiellement. Autre béquille, la France, historiquement exportatrice d’électricité depuis la construction de son parc nucléaire (mis en service entre la fin des années 1970 et le début des années 2000, NDLR), a dû acheter de l’électricité. Elle qui fournissait les pays voisins en quantité (40 à 60 TWh net exportés annuellement ces dix dernières années) est devenue importatrice d’électricité sur les onze premiers mois de 2022 (15 TWh importés).
L’échec révélé de la libéralisation du marché européen
Ajoutez-y le renchérissement brutal des prix de l’électricité et le tableau est complet. La flambée historique des tarifs sur les marchés de gros (de 50 euros du MWh début 2021 à plus de 1 600 euros en décembre), si elle est liée à la guerre en Ukraine, est surtout une conséquence de la libéralisation du marché pour FO. La crise ukrainienne a montré, en amplifiant ses effets, le danger du système énergétique global voulu par la Commission européenne et validé depuis quarante ans par les gouvernements français
, dénonce Alain André, secrétaire général de FO-Énergie et Mines. Dans l’esprit de ses promoteurs, le passage à un seul marché intégré était censé, par le jeu de la concurrence, assurer un prix juste aux consommateurs. Le résultat est inverse ! Face aux critiques, la présidente de la Commission européenne a annoncé une réforme structurelle du marché de l’électricité
.
Presque tous les objectifs déclarés de la dérégulation de l’énergie ont échoué
, appuie le militant FO. Mais les dégâts sont connus. La dérégulation a ouvert la porte à une multitude de fournisseurs privés, concurrents des opérateurs historiques, lesquels ont été éclatés, filialisés, voire privatisés. En France, l’ouverture totale à la concurrence, effective depuis 2007, a été assortie de mécanismes complexes, servant surtout les intérêts privés. Ainsi, l’obligation faite à EDF de céder à ses concurrents 25 % de sa production, alors qu’ils n’ont pas l’obligation de produire d’énergie (loi Nome de 2010). Ainsi, la création en 2015 du dispositif d’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh), lequel permet aux concurrents d’EDF d’accéder à sa production à un prix régulé de 42 euros le MW, resté fixe pendant dix ans et donc en dessous du coût de production. Une mesure censée leur permettre d’investir dans les moyens de production, mais restée sans effet. Sauf sur les comptes d’EDF, plombés en 2021 à hauteur de 8 milliards d’euros…
L’énergie n’est pas un bien de consommation comme un autre
, martèle le secrétaire général de FO-Énergie et Mines, pour qui la crise doit être l’occasion d’une refondation de la filière française de l’énergie
, saisissant à pleine main la question de la transition énergétique, par la recherche de complémentarité entre toutes les ressources. Pour la fédération, cela passe déjà par un changement radical des principes de fonctionnement du marché européen de l’énergie et, en France, notamment par une planification sur vingt-cinq ans des différents moyens de production d’énergie décarbonée et la création d’un « Pôle public nationalisé de l’énergie décarbonée ». La fédération s’en explique dans un quinze pages envoyé cet automne à tous les parlementaires. Car 2023 s’annonce stratégique pour la France, qui doit adopter, d’ici l’été, la nouvelle Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), autrement dit son plan, sur cinq ans, d’objectif de production et de consommation.
Charbon : la centrale de Saint-Avold remise en service pour six mois, officiellement
Voilà la centrale à charbon de Saint-Avold (Moselle) redevenue un maillon essentiel de l’approvisionnement français en électricité ! Alors qu’elle avait fermé ses portes le 31 mars, pour répondre à la promesse de campagne 2017 du candidat Macron d’en finir avec la production électrique issue du charbon sur le sol français d’ici 2022, elle a été rallumée le 28 novembre. Cette décision illustre le manque d’anticipation et de courage politique de l’exécutif, qui ne dit pas ce qu’il veut
, dénonce Jean-Pierre Damm, délégué syndical FO, organisation majoritaire. De fait, avant la fermeture, en janvier-février 2022, le site tournait à plein régime, à sa demande
, rappelle-t-il. Pis, deux jours avant l’arrêt, l’exécutif avait reconnu que la centrale pourrait être rappelée à la rescousse. Décision confirmée fin juin, après les élections présidentielle et législatives, par le ministère de la Transition énergétique, lequel a précisé que la mesure était conservatoire
, autrement dit provisoire.
Conditions de travail dégradées et emploi précaire
Rien d’une surprise pour Jean-Pierre Damm : Soyons clairs, FO ne s’accroche pas au charbon. Mais avant de sortir de la production d’électricité par le charbon, il faut s’être assuré que celle-ci est remplacée par un mode de production pilotable, donc maîtrisé !
Dans l’immédiat, le DS FO dénonce les conséquences directes, sur le site, de l’absence de visibilité : des conditions de travail dégradées et l’explosion de la précarité dans la sous-traitance. Élu au comité social et économique de GazelEnergie (exploitant du site et filiale du groupe EPH appartenant au milliardaire Daniel Kretinsky), il a émis plusieurs réserves sur la remise en service.
D’abord sur le sous-effectif, qui met les équipes sous tension extrême
. La centrale tourne aujourd’hui avec 25 % de salariés de moins qu’à la fermeture : 68 contre 89 ! La quasi-totalité sont d’anciens salariés licenciés, ayant été réembauchés en CDD jusqu’au printemps 2023. Un vivier contraint, certaines compétences exigeant dix-huit mois de formation. Mais l’appel aux volontaires n’a pas fait le plein, malgré la prime obtenue par FO (3 000 à 5 000 euros brut mensuels). Beaucoup ont refusé de revenir. Ils anticipaient l’état déplorable des installations après des mois à l’arrêt
, note le militant qui déplore le refus de GazelEnergie d’embaucher des jeunes
.
Autre situation inacceptable
pour FO : la précarité chez les sous-traitants travaillant à l’alimentation en charbon. Parmi la centaine de salariés, 50 % sont intérimaires, certains sur un contrat d’une semaine. Cela permet d’ajuster les effectifs à l’intermittence de l’activité.
De fait, bien qu’autorisée à fonctionner 2 500 heures entre octobre 2022 et mars 2023, la « tranche charbon » de 600 MW (mégawatts-heure) n’a encore tourné que trois semaines 24 heures sur 24 (entre le 28 novembre et mi-décembre). On devrait reproduire cela mi-janvier, lors de la prochaine vague de froid
, prévient le DS FO, qui anticipe un redémarrage l’hiver prochain. Sur nouvelle demande de l’exécutif.