En quoi consiste l’activité du médecin du travail ?
Jacques Delon : Notre activité de médecin est presque exclusivement préventive. Notre rôle est de veiller à la santé des salariés dans l’entreprise et de conseiller l’employeur sur l’amélioration des conditions de travail. Il s’agit notamment d’adapter le travail à la personne – et non l’inverse – et d’adapter le poste de travail à la physiologie humaine.
Qui emploie les médecins du travail ?
Jacques Delon : Depuis une loi de 1946, toute entreprise est obligée d’adhérer à un service de médecine du travail pour faire surveiller la santé de ses salariés. Ce sont ces services qui emploient les médecins du travail. Ce sont des services privés, des associations de loi 1901 auxquelles les employeurs cotisent. Mais ils sont réglementés par la loi et placés sous le contrôle du ministère du Travail. Par ailleurs, une minorité de médecins du travail exercent dans des services de santé internes à l’entreprise.
« Le médecin s’appuie aussi sur le Code du travail »
Les médecins du travail sont-ils indépendants ?
Jacques Delon : Ce sont les médecins qui définissent et exercent leurs missions, et non les employeurs. Ceux-ci ont en revanche l’obligation de leur fournir les moyens d’exercer celles-ci. L’indépendance du médecin du travail repose par ailleurs, comme pour l’ensemble des médecins, sur le code de déontologie, notamment avec le secret médical. Le médecin s’appuie aussi sur le Code du travail, qui protège le salarié et donc le malade dans l’entreprise, par exemple avec l’arbitrage de l’inspecteur du travail en cas de désaccord de l’employeur. Enfin, nous sommes des salariés protégés et ce statut permet de garantir notre indépendance.
À quelles problématiques les médecins du travail font-ils face aujourd’hui ?
Jacques Delon : Depuis une vingtaine d’années, nos gouvernants ont choisi de faire avec des effectifs en chute libre plutôt que d’ouvrir le numerus clausus et de former des médecins du travail. Nous assistons parallèlement à une destruction organisée du Code du travail, en faveur des employeurs. Les moyens des médecins ne cessent de diminuer. Pour ne citer qu’un exemple, le temps médical, c’est-à-dire le temps minimum dont le médecin pouvait disposer pour surveiller une population de salariés en fonction des risques professionnels, a été supprimé en 2004. Tout cela alors que nous assistons à une aggravation des risques au travail.
« Les personnels subissent eux aussi la pénurie de médecins du travail »
La réforme en cours répond-elle à ces problèmes ?
Jacques Delon : Hélas non. Nous subissons des « contre-réformes » depuis vingt ans. Celle qui arrive ne fera qu’accentuer la destruction du Code du travail et de la médecine du travail. Son objet premier est de diminuer les obligations des employeurs, et donc les droits des salariés à protéger leur santé. On risque d’aboutir à une médecine de contrôle, voire d’exclusion des salariés. C’est incompatible avec notre rôle, qui est d’adapter les postes aux personnes.
Quel est l’impact des réformes en cours sur des personnels non médecins au sein des services de santé au travail ?
Jacques Delon : Les personnels subissent eux aussi la pénurie de médecins du travail. Des tâches qui étaient dévolues aux médecins sont reportées sur eux, comme les études de poste ou les visites médicales effectuées par les infirmières. Petit détail, ces personnels ne sont pas des « salariés protégés » par le Code du travail, et de ce fait leurs (bons) conseils ne s’imposent pas aux employeurs… Les « réformes » en cours ne feront qu’aggraver la pression sur eux, tout en mettant en danger la santé des salariés surveillés !
« Les visites médicales sont en théorie obligatoires tous les deux ans »
L’espacement des visites médicales à cinq ans pour les salariés est la mesure phare proposée dans le rapport Issindou remis au gouvernement. Que pensez-vous de cette disposition ?
Jacques Delon : Aujourd’hui, les visites médicales sont en théorie obligatoires tous les deux ans. Dans les faits, en raison de la pénurie de praticiens, la périodicité des visites par médecin dépasse dans certains endroits le seuil des cinq ans.
Actuellement, 80 % des salariés consultent pour la première fois pour de gros problèmes, et 20 % seulement viennent en visite périodique. Or la visite périodique permet de connaître le patient, d’établir une relation de confiance et d’anticiper certains problèmes prévisibles…
Quelles seraient les solutions ?
Jacques Delon : La solution passe par l’arrêt de la destruction du Code du travail, à l’œuvre via les lois Macron, Rebsamen, et bientôt le futur projet de loi El Khomry. Si l’on détruit les prérogatives de l’inspection du travail et celles des élus du personnel, comment va-t-on faire entre le déficit en médecins et l’aggravation des risques ?
L’arrêt du numerus clausus, que l’on réclame depuis vingt ans, serait bienvenu ! Avant, les représentants syndicaux dans les entreprises s’interrogeaient sur l’indépendance du médecin du travail. Maintenant, ils me disent : « Il n’y a plus de médecin dans l’entreprise, qu’est-ce que je fais ? » Et moi, qu’est-ce que je peux leur répondre si le Code du travail est détruit ?
Propos recueillis par Françoise Lambert pour FO Hebdo.