La Tribune - De nouvelles journées d’action contre la loi Travail sont programmées pour les 5 et 9 avril, estimez-vous que l’on entre dans un scénario façon « contrat première embauche » (CPE) d’il y a dix ans ?
Jean-Claude Mailly- Le 5 avril, c’est surtout la journée d’action contre la loi des étudiants et des lycéens mais nous les soutenons. En revanche, le 9 avril, ce sont les sept organisations [ CGT, FO, FSU, Solidaires, Unef, UNL et FIDL] qui ont mobilisé le 31 mars qui appellent de nouveau à agir. Et organiser cela un samedi va permettre d’élargir le mouvement à des gens qui n’avaient pas la possibilité de manifester en semaine.Oui, c’est exact qu’il y a quelques similitudes avec le CPE : même manque de dialogue de la part du gouvernement, même bagarre menée conjointement par des organisations de salariés et de jeunes, même scénario d’un mouvement qui s’installe dans la durée...
Vous appelez toujours à un retrait pur et simple du texte, mais est-ce crédible ?
– Je dis que le gouvernement peut annoncer une remise à plat du texte, ce serait un recul dans l’honneur. Les premiers reculs annoncés par le Premier ministre le 14 mars restent pour nous insuffisants. Ils ont cependant été obtenus grâce à notre mobilisation du 9 mars, c’est pour cela qu’il faut poursuivre le mouvement.
Mais ne serait-il pas plus réaliste de demander le retrait des points durs ?
– Non, car ce n’est pas une question de quelques points durs mais plutôt une question de philosophie générale du texte qui ne nous convient pas, qu’il s’agisse de l’inversion de la hiérarchie des normes, même si elle n’est pas présentée comme cela dans le projet, du referendum, des licenciements économiques, etc. Tous les députés que nous rencontrons se disent troublés par le texte. Et, pour encore mieux faire passer notre point de vue, les sept organisations vont cosigner une lettre commune qui sera adressée dès la semaine prochaine à la totalité des 577 députés.
Comprenez-vous que les TPE/PME se sentent les grandes oubliées du projet ?
– Il y a plusieurs moyens pour favoriser la négociation collective et le dialogue social dans les petites entreprises. D’abord, on peut faire des accords de branche d’application directe dans les entreprises, on peut aussi désigner un représentant syndical dans les PME, je suis même prêt à ce qu’il ne dispose pas d’heures de délégation, on peut aussi pratiquer le mandatement d’un salarié. Je ne comprends pas que les organisations patronales refusent cela alors qu’elles se disent favorables au dialogue social. Ceci dit, je peux comprendre l’employeur de TPE qui a un problème avec un salarié ou avec son chiffre d’affaires. Mais, là aussi, des solutions existent ou peuvent être apportées. Je rappelle qu’il est tout de même possible de mener des licenciements économiques dans ce pays. Comme il est possible de pratiquer une rupture conventionnelle, il y en a eu 360.000 en 2015, tout de même.
Quant aux prud’hommes, je rappelle que 80% des demandes émanent de salariés de PME. Il faut favoriser la conciliation, en exigeant la présence obligatoire de l’employeur lors de cette phase, ce qui est rarement le cas actuellement. Et je ne comprends toujours pas pourquoi les organisations patronales n’assurent pas une assistance juridique aux patrons de PME. Nous, nous le faisons avec les salariés.
Vous soutenez que cette loi ne permettra pas de créer des emplois...
– Oui, car personne n’a jamais apporté la preuve qu’il y avait un lien entre plus de flexibilité et de précarité et les créations d’emplois... C’est l’OCDE qui le dit. On retrouve d’ailleurs ce débat chez les économistes divisés entre les libéraux, dont Jean Tirole, et les keynésiens comme Daniel Cohen. Je pense même que cette loi va détruire des emplois en facilitant les licenciements et précariser davantage en permettant de baisser les salaires.
Voyez-vous un lien entre la loi Travail et la négociation sur l’assurance chômage ?
– Bien sûr, car nous sentons une radicalisation du patronat dans la négociation, notamment sur les questions liées aux intermittents où sa position s’est raidie sur les économies demandées. S’agissant du régime général, Myriam El Khomri a évoqué une surtaxation pour les contrats courts. A FO, nous préférons continuer de défendre notre idée de bonus-malus par branche : on regarde le taux moyen d’utilisation des CDD courts dans une branche, les entreprises qui sont au-dessus doivent payer davantage de cotisation chômage et celles qui sont en dessous moins.
Propos recueillis par Jean-Christophe Chanut