L’ascenseur social est-il en panne ? Non, il descend pour certains

Mobilité sociale par Nadia Djabali

InFOgraphie : F. Blanc (CC BY-NC 2.0)

Est-ce que les enfants d’ouvriers restent ouvriers et les enfants de cadres supérieurs, cadres supérieurs ? Les questions de mobilité sociale ne sont que trop rarement étudiées, pourtant elles nous renseignent sur l’organisation de nos sociétés. Avant la publication en 2016 de l’étude du sociologue Cédric Hugrée, l’Insee avait fourni des chiffres en 2003. Et depuis plus rien. L’institut doit cependant lancer une enquête sur le sujet en 2018 avec des résultats en 2020.

Le sociologue Cédric Hugrée s’est penché sur les enquêtes emplois 2010-2014 de l’Insee et les a étudiées sous le prisme de la mobilité sociale qui prend en compte deux facteurs. Le premier concerne les évolutions de la structure de l’emploi. La disparition progressive du nombre d’emploi d’ouvriers explique en partie le fait qu’il y ait de moins en moins d’enfants ouvriers qui restent ouvriers.

À l’inverse, quand des types d’emplois sont de plus en plus nombreux comme par exemple les cadres informaticiens, ou même les emplois de service à la personne, il est logique que les recrutements s’élargissent au-delà de la catégorie sociale traditionnelle de recrutement.

Deuxième aspect à prendre en compte : la « fluidité sociale ». C’est elle qui mesure l’égalité des chances d’accéder aux diverses positions sociales. Cette fluidité peut être le résultat de l’allongement de la scolarisation et la hausse du niveau de diplôme parmi les milieux les moins favorisés.

Mais une récente étude de la Dares (ministère du Travail) sur l’évolution des métiers depuis 30 ans indique l’élévation du niveau de diplôme des personnes s’est poursuivie à un rythme plus rapide que la montée en qualification des emplois. Avec pour conséquence une transformation des normes de qualification. Traduction, pour certains emplois, ce n’est pas parce que vous avez plus de diplômes que vous serez forcément mieux payés.

Les Trente glorieuses, c’est du passé

Qu’a constaté Cédric Hugrée ? Les enfants d’agriculteurs ne sont que 17 % à rester agriculteur. La moitié d’entre eux exercent des professions d’employés (25%), le plus souvent dans la fonction publique ou d’ouvriers (25%) le plus souvent qualifiés.

Les enfants de cadres supérieurs restent le plus souvent cadres supérieurs (41%) ou cadres moyens/professions intermédiaires (28%). Mais la part d’enfants de cadres devenus cadres à leur tour est passée de 52% en 2003 à 41% en 2010-2014. Soit une baisse de plus de 10 points.

32% des enfants des professions intermédiaires (cadres moyens) restent dans la même catégorie. Des enfants qui deviennent cependant plus souvent qu’avant des employés avec 24% d’employés contre 9% en 2003. Un ascenseur, ça monte et ça descend. Et l’ascenseur social n’échappe pas cette mécanique générale.

Le secteur public, voie de promotion sociale

Quant aux ouvriers : 32% restent ouvriers (contre 46% en 2003) et 34% deviennent employés (contre 12% en 2003). Mais le constat est fait que les enfants d’ouvriers sont moins souvent ouvriers du fait de la diminution générale du nombre d’ouvriers. Ils basculent dans la catégorie des employés de la fonction publique ou encore sont employés (pour les filles) dans les services à la personne.

Le sociologue constate également que le secteur public demeure la principale voie de promotion sociale pour la partie la plus qualifiée des classes populaires.

Ce sont les enfants des professions libérales qui demeurent les mieux lotis avec 52% d’entre eux qui font partie du groupe « cadres et professions intellectuelles supérieures ».

Vous avez dit méritocratie ?

L’étude de l’Insee de 2003 avait déjà conclu qu’après avoir progressé entre 1977 et 1993, la mobilité sociale a régressé entre 1993 et 2003. Les recherches de Cédric Hugrée confirment qu’en ces temps de désindustrialisation ce sont les plus favorisés s’en sortent mieux. De quoi mettre du plomb dans l’aile au très républicain concept de méritocratie qui suggère que l’ascension sociale relève entièrement de facteurs purement individuels.

Sans doute un moyen à la disposition des catégories sociales les plus aisées pour justifier leurs hauts niveaux de revenus par leur intelligence et leurs compétences.

Nadia Djabali Journaliste à L’inFO militante